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L’édition européenne de The Conversation a publié un podcast, en anglais, pour réfléchir aux conséquences de la sous-représentation de certains groupes sociaux dans la recherche médicale.
« Une taille unique de vêtements ne sied pas à tout le monde ». C’est avec cette métaphore — plus largement développée dans l’article —, que les créateurs de l’édition du 9 février 2023 du podcast « The Conversation Weekly » résument les enjeux liés à la recherche médicale. Dans ce programme, Jennifer Miller, professeure de médecine à l’université de Yale, Julia Liu, professeure à l’école de médecine de Morehouse, et Keith Yamamoto, de l’Université de Californie à San Francisco énumèrent les conséquences pour la santé des individus, du manque de diversité dans la recherche.
Tous trois rappellent que celle-ci s’est basée, jusqu’à récemment, quasi uniquement sur des hommes blancs, jeunes et en bonne santé ; Elle n’a que peu compté, dans les panels de recherche, des femmes et des personnes de couleurs. Pour la première catégorie, cela peut s’expliquer en partie par les lignes directrices de la US Food and Drug Administration, édictées en 1977 : ces textes ont banni la participation des femmes en âge de procréer aux essais cliniques.
En ce qui concerne les personnes afro-descendantes, ce manque de représentativité découle, selon la chercheuse Julia Liu, d’un « mythe, en médecine, qui veut que les personnes noires n’aiment pas participer à la recherche médicale en raison des abus que le système médical américain leur a infligé, comme la fameuse expérience Tuskegee » [1]. Pourtant, Julia Liu témoigne que la majorité des personnes noires auxquelles elle a proposé de prendre part à des essais cliniques ont accepté.
S'il existe une prise de conscience de la nécessité, pour la recherche médicale, d'être plus inclusive, seules 4% des études américaines récentes sont basées sur un échantillon représentatif de la population, selon Jennifer Miller. L'enjeu ? Que les traitements médicaux soient adaptés de manière plus pointue et plus efficace à celles et ceux qui les prennent.
En Suisse, la question d’intégrer la notion de genre, notamment, dans les études et la recherche est également en cours : un nouveau référentiel pour les études de médecine basé sur les compétences existe depuis 2017 [2]. « Un certain nombre des compétences sont en lien avec le genre, ainsi que d’autres diversités, comme par exemple l’ethnie, l’âge, les aspects culturels ou l’orientation sexuelle. Toutefois elles sont enseignées de manière incomplète et méritent d’être renforcées », peut-on cependant lire sur la page internet de la Commission de l'égalité de la faculté de médecine de l'Université de Genève. Face à ce constat, l'institution genevoise a créé, en janvier 2020, un groupe de projet « Médecine, Genre & Equité ».
Autre initiative, celle de la création de la plateforme gems, Gender Education in Medicine for Switzerland. Depuis 2021, elle a pour objectif de « contribuer au renforcement de la justice sociale et à la transformation des stéréotypes et des normes de genre préjudiciables. » [3] Ce projet réunit les différentes écoles de médecine suisses, ainsi qu’une école de soins infirmiers. Les universités de Zurich et de Berne propose un CAS « Sex- and Gender- Specific Medicine » [4]. Enfin, et de manière non-exhaustive, à Lausanne, l’Unité santé et genre d’Unisanté s’intéresse aux différences dans la prise en charge clinique induites par le genre des patient·e·s.
(Céline Rochat)
Ecouter le podcast (en anglais)
[1] Les traductions des citations contenues dans cet article sont celles de l’autrice de cette actualité ; L’étude de Tuskegee sur la syphilis a enrolé quelque 600 métrayers afro-américains pendant plus de 40 ans alors qu’ils avaient été informés d’une durée d’étude de six mois. En outre, ces personnes n’ont jamais été soignée avec de la péniciline. Ce scandale est à la base des principes fondamentaux de la bioéthique sur l’expérimentation humaine aux Etats-Unis. (Source : Wikipédia)
[2] UNIGE, Groupe médecine, genre & équité
[3] https://www.gems-platform.ch/fr/a-propos
[4] https://www.gender-medicine.ch/en/course-program/aims-of-the-cas/
Complexe, la relation entre le sans-abrisme et la consommation de drogues figure au centre d’un document édité par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.
Édité par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, le mini-guide Sans-abrisme et drogues : réponses sanitaires et sociales donne un aperçu des éléments à prendre en considération lors de la planification ou de la mise en œuvre de réponses sanitaires et sociales pour les personnes sans-abri qui consomment des drogues. Il passe en revue les interventions disponibles et leur efficacité, et examine également les implications pour les politiques et les pratiques.
Ce mini-guide fait partie d’un ensemble plus large, qui comprend notamment les Réponses sanitaires et sociales aux problèmes de drogue : un guide européen.
(Source : EMCDDA, European monitoring centre for drugs and drug addiction).
Une étude révèle que la majorité des 14 à 25 ans ont déjà testé la cigarette électronique jetable et un·e jeune sur huit en consomme fréquemment. Pour protéger la jeunesse, les réglementations doivent être renforcées.
Quelque 1’362 jeunes de14 à 25 ans ont répondu à un sondage lancé par Unisanté et Promotion santé Valais en août 2022. Les résultats montrent que 91% d’entre elles et eux disent connaître les puffs ; 59% avouent en avoir déjà consommé au moins une fois et 12% en consomment fréquemment, c’est-à-dire plus de dix jours durant le dernier mois. Rappelons que 19% des 15-24 ans fument quotidiennement en Suisse (OBSAN, 2017). Conçu pour un public jeune, l’attrait pour ces cigarettes électroniques jetables repose sur les goûts (63%), l’absence d’odeur de tabac (40%) et la facilité d’utilisation (30%). Elles sont surtout consommées dans les soirées ou les fêtes (59%) et à domicile (40%).
Le sondage met en lumière une autre problématique : les jeunes ont facilement accès aux puffs. Plus de la moitié (54%) relatent avoir acheté leur dernière puff dans un kiosque, sans différence notable entre les cantons ayant restreint ou non la vente de cigarettes électroniques aux mineurs. Par ailleurs, un·e jeune sur cinq rapporte consommer des puffs dont le taux de nicotine, qui peut engendrer rapidement une forte dépendance, dépasse le maximum légal (20 mg/ml). Ces résultats rappellent la nécessité de mettre en place des réglementations et des contrôles visant à protéger la jeunesse.
Un·e jeune sur deux a déjà été confronté·e à la publicité pour des puffs, majoritairement sur les réseaux sociaux. Les 14-17 ans y sont davantage exposé·es que les 18-25 ans. En Valais, la loi sur la santé interdit la publicité pour les puffs dans l’ensemble des lieux qui sont accessibles aux mineur·es, comme les kiosques et les commerces. Dans le canton de Vaud, le Conseil d’État vient de soumettre au Grand Conseil un projet de modification de trois lois afin que les produits tels que la cigarette électronique ou les puffs soient soumis au même cadre légal que les cigarettes conventionnelles et le tabac — la publicité et la vente de ces produits aux mineur·es seront ainsi interdites.
Finalement, les 3/4 des jeunes sont conscient·es des risques pour la santé, du potentiel de dépendance et de l’impact environnemental des puffs. Parmi les consommateurs·trices, 2/3 souhaitent arrêter.
(Source : communiqué de presse)
Informations
Un nouveau document de référence est destiné aux personnes, professionnelles ou non, accompagnant des personnes âgées en situation de handicap. Il vise notamment à mieux évaluer les symptômes.
De nombreuses personnes âgées ayant des déficiences intellectuelles présentent un état de santé souvent plus dégradé que celui du reste de la population. Cet état de fait s’explique entre autres par le manque de connaissances médicales des personnes qui les accompagnent. Des prestations d’assistance adaptées sont nécessaires pour permettre de maintenir et d’améliorer la santé des personnes âgées ayant des déficiences intellectuelles.
Les personnes qui accompagnent et soutiennent les personnes âgées avec un handicap trouveront ces informations dans le nouveau document de référence des associations de branche d’Artiset, Curaviva et Insos.
Ce guide fait office de document de référence et aide à évaluer les symptômes. Cela peut être vital, tout particulièrement pour les personnes qui rencontrent des difficultés à communiquer et dont l’autonomie ou les capacités de discernement sont restreintes.
(Source : Artistet)
Un document produit par une instance régionale de promotion de la santé, en France, donne des repères pour mieux comprendre les liens entre inégalités environnementales et les inégalités sociales de santé.
Afin d’expliquer le concept d’inégalités environnementales en lien avec la santé, l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) Auvergne-Rhône-Alpes vient de publier une fiche « Repères en prévention & promotion de la santé ». Ce document de six pages, richement référencé, commence par définir les inégalités environnementales, avant de proposer des pistes pour agir.
Il est notamment rappelé que les inégalités environnementales ne sont pas « une nouvelle sorte d’inégalités, « mais de la dimension environnementale des inégalités socioéconomiques » qui traversent la société à l’échelle d’un territoire, d’un pays et de la planète ». L’auteur de cette fiche mentionne également cinq domaines que touchent ces inégalités, parmi lesquels : L’exposition aux risques environnementaux, l’accès aux ressources naturelles et l’impact du mode de vie sur l’environnement.
(croc)
Ce livre s’adresse à toutes les personnes soucieuses de trouver quelques clés de compréhension pour penser la santé dans l’environnement et entamer une nécessaire transformation socioécologique des services de santé.
Par Jean Martin
« La question des liens entre santé et environnement nous renvoie à notre propre vulnérabilité » (François Gemenne, membre du GIEC, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université de Liège, dans la préface).
Un ouvrage majeur en matière de santé environnementale ; Une somme imposante, qui traite de manière approfondie de dimensions toujours plus importantes dans la pratique des soins. Récemment paru, Santé et environnement — Vers une nouvelle approche globale s’arrête sur ces aspects qui doivent aussi intégrer l'enseignement des professions de la santé.
Cette publication collective met en lumière les relations entre médecine/système de santé et le milieu dans ses multiples facettes, notamment en rapport avec les impacts sur la santé du dérèglement climatique et de la chute de la biodiversité, qui accroissent fortement notre vulnérabilité. La santé humaine dépend de la santé des écosystèmes, on le sait bien maintenant — c’est « l’interdépendance du vivant ».
Le patron de l'entreprise, Nicolas Senn, est professeur et responsable de la formation en médecine de famille à Lausanne. Avec son équipe, il s'est investi pour conceptualiser et décrire les problématiques auxquelles il s'agit de faire face. Il a entre autres mené des recherches sur l’impact des cabinets médicaux en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Pour réaliser cet ouvrage, ses trois collègues et lui-même ont rassemblé quelque septante autrices et auteurs suisses, français·es et quelques Anglo-saxon·ne·s d’horizons disciplinaires différents. Il en résulte plus de quarante chapitres regroupés en cinq grandes parties :
Parmi les sujets majeurs traités figurent l’importance de se référer au neuf limites planétaires, le modèle du donut de Kate Raworth qui veut trouver des solutions entre un plancher social de base à garantir et un plafond écologique à ne pas dépasser ou le concept de « One Health » (ou aussi « Planetary Health »), incluant les aspects sanitaires humains et animaux (zoonoses), de même que les questions sociales et économiques, formulées par notre compatriote Jakob Zinsstag. On y trouve aussi la mise en évidence de « La Grande Accélération », particulièrement manifeste depuis les années 1950, dont les multiples évidences ont été étudiées et popularisées par W. Steffen et coll. Les services écosystémiques, qui peuvent être définis comme « le bien-être fourni par la nature pour l’humain » - Nature's Contributions to People, voir p. 132 ss. ou les dangers croissants de la pollution de l’air et les risques toxicologiques, y compris l’écotoxicologie des médicaments, sont traités. Le sont également les questions d’écoanxiété ou solastalgie [1], de plus en plus présente, et d’autres aspects de santé mentale. Enfin, l’ouvrage porte sur les problématiques migratoires, les bénéfices liés à la mobilité active, à l’alimentation, au contact régulier avec la nature, ainsi que sur la science de la durabilité dans les services de santé.
Devant le défi climatique, il importe que la médecine et le système de santé assument leurs responsabilités de contribuer à des pratiques soutenables, donc de garder à l’esprit les exigences de sobriété, voire de frugalité. Cette posture demandera, à divers niveaux, de faire des choix non aisés. Santé et environnement apporte à cet égard des bases solides, avec une multiplicité d’éclairages et d’angles d’attaque. Un tel contenu doit aujourd’hui faire partie du bagage des étudiant·e·s en médecine et des professions soignantes, ainsi que de tous les jeunes professionnel·le·s (étant entendu que l’ouvrage apportera beaucoup aux collègues moins jeunes aussi !).
Dans leur introduction, les directeurs et directrices de publication relèvent que « ne pas considérer l’influence des déterminants environnementaux de la santé dans la prise en charge peut même être vu comme un manque de professionnalisme, tant les preuves de leur influence sont abondantes ». Plus généralement d’ailleurs — et c’est ce sur quoi insiste la dernière partie du livre —, il faut réaliser que la prise en compte de ces facteurs questionne le fonctionnement même d’un système de santé productiviste, organisé autour d’une approche trop strictement biomédicale.
[1] « La solastalgie est une détresse profonde causée par les changements perçus comme irréversibles de notre environnement. En évoluant dans un monde qui semble s'autodétruire, certaines personnes finissent par être envahies d'un sentiment d'impuissance étouffant. (...) En quelque sorte, on peut dire que la solastalgie est un stress pré-traumatique. Cette sensation accablante pousse à divers symptômes : tristesse, anxiété, insomnie, anorexie, dépression » (Futura-Sciences.com)
Sous la dir. de Nicolas Senn et al. «Santé et environnement — Vers une nouvelle approche globale», Chêne-Bourg/Genève: RMS Éditions, 2022, 502 pages
Un rapport français compare les approches de communication en santé environnementale en périnatalité de cinq pays ayant la réputation d’être précurseurs en matière de santé environnementale. La Suisse en fait partie.
Des exemples concrets tirés du terrain destinés à inspirer d’autres démarches de prévention de santé publique en matière de périnatalité. Tel est le but d’un rapport réalisé en France par l’organisme Objectif santé environnementale. Pour ce faire, les actions de communication menées dans cinq pays ont été analysées.
Les expert·e·s ont ainsi examiné des actions issues d’Allemagne et de Suède, « deux pays européens historiquement très investis en matière de protection de l’environnement », du Canada et de la Suisse « deux pays hors-UE faisant des efforts dans le domaine de la santé environnementale », ainsi que du Japon, « pays asiatique ayant une démarche autour de la santé et du bien-être très élaborée, pragmatique et exhaustive ». Un des objectifs de cette étude était de déterminer si la communication en santé environnementale dans les cinq pays retenus pourrait être une source d'idées et une base de réflexion pour mieux informer, inciter à agir et promouvoir la culture en santé environnementale dans la population française, notamment auprès des futurs et jeunes parents.
Pour mener la recherche, les scientifiques ont analysé les actions qu’ils et elles ont réparties en onze catégories, telles que portails internet, hotlines, affiches publicitaires et expositions ou formations en ligne. A la suite de cette enquête, un top 10 des outils de communications potentiellement reproductibles et transposables en France a été compilé. Cette liste comprend notamment des actions d’affichage publicitaire en ville ou sur les bus, la labellisation de pharmacies « amies de bébés », les parents référents des quartiers et parrains / marraines des futurs et jeunes parents, ainsi que les ateliers papa / second parent.
Selon le rapport, « la Suisse est bien classée sur l’index de performance environnementale (EPI) ». Et de souligner l'influence du fédéralisme sur les campagnes de prévention : « Étant découpée en partie francophone et germanophone, avec aussi une forte implication des administrations des cantons, les actions mises en place sont souvent spécifiques à ces derniers et n’ont pas le même résultat que des directives nationales. A l’instar de l’Allemagne (étant un État fédéral), il n’y a pas qu’une seule approche définie par l’État, mais des approches très hétérogènes. » Puis de souligner l’engagement de notre pays en matière d’environnement : « Il est aussi important de noter que beaucoup d’actions sont moins visibles en Suisse, car la population est déjà sensibilisée, possédant une véritable culture générale en santé environnementale. En effet, la Suisse, comme l’Allemagne, a engagé des actions concrètes avec un pic d’actions il y a déjà plus de vingt ans, notamment à la suite du Sommet de la Terre de Rio, en 1992. »
Dans les actions menées en Suisse relevées par les expert·e·s figurent des fiches d’information créées par la Ligue contre le cancer, des campagnes de sensibilisation menées auprès du personnel des lieux de vie enfantine, ou encore l’application développée par la Fédération romande des consommateurs permettant de scanner les produits cosmétiques pour en connaître la composition.
(croc)
Ragnar Weissmann et al., «Approches de communication en santé environnementale dans cinq pays — femmes enceintes et petite enfance». France, 2021, 17 pages
Coïncidences trompeuses, biais de confirmation, stéréotypes influencent nos jugements et décisions. Pascal Wagner-Egger, enseignant en psychologie sociale et en statistiques à Fribourg, explique comment déjouer ces mécanismes.
(Reiso) Dans votre livre, « Méfiez-vous de votre cerveau », vous passez en revue trente biais cognitifs qui faussent notre jugement. Que sont-ils et à quoi sont-ils dus ?
(Pascal Wagner-Egger) Les biais cognitifs sont des erreurs de jugement commis par notre cerveau ou nos comportements sociaux. L’hypothèse est que l’évolution a mis en place un système de pensée intuitif et rapide assurant la survie de l’organisme qui engendrerait ces biais cognitifs et sociaux. Celui de la corrélation illusoire, par exemple, crée un lien entre deux évènements qui se sont produits par simple coïncidence. Si vous êtes insomniaque à plusieurs reprises pendant la pleine lune, vous allez être tenté·e d’attribuer votre mauvais sommeil à cette phase lunaire. Cependant, les fois où vous ne dormez pas et qu’il fait nuit noire, vous n’allez pas penser : « Quelle belle absence de pleine lune ce soir ! », et n’allez pas non plus vous rappeler des nuits — avec ou sans pleine lune — pendant lesquelles vous ne vous êtes pas réveillé·e. Pour savoir si la présence de la lune influence le sommeil, il faudrait faire de longues et difficiles études scientifiques (lesquelles montrent que les phases de la lune n’ont pas d’effet sur le sommeil).
De par notre cerveau « archaïque », sommes-nous destiné·e·s à être victimes de ces biais ?
Non, car nous pouvons lutter mentalement pour ne pas tomber dans le panneau. Le système de pensée rapide n’est pas le seul que nous avons. Nous disposons aussi d’un esprit critique, d’une pensée scientifique. Nous pouvons plus facilement inhiber ces biais cognitifs lorsque nous les connaissons et savons ainsi les reconnaître. Cela étant, tous les biais cognitifs ne sont pas négatifs, certains peuvent avoir une utilité. L’effet placebo est un bon exemple.
Ces erreurs de jugement peuvent-elles être dangereuses ?
Lorsque certaines personnes utilisent les biais cognitifs pour manipuler autrui, oui. Les gourous des sectes savent bien les combiner. Par exemple, le biais de supériorité illusoire peut être utilisé avec des adeptes en devenir. Leur faire croire qu’ils·elles sont à haut potentiel, mais que leur famille les a dénigré·e·s est un bon moyen de les rallier à la cause. L’effet de conformisme porte également ses fruits dans un tel contexte. Chaque adepte va être poussé·e à ressembler aux autres en gommant son individualité, et à accepter comme les autres les dogmes du·gourou. Le récent drame de Montreux, où une famille entière s’est défenestrée et tuée, est un triste exemple du pouvoir des biais cognitifs et des croyances…
Dans un autre contexte, l’escalade d’engagement peut ruiner quelqu’un·e. Ce processus social et cognitif pousse une personne à des comportements de plus en plus extrêmes, comme celui de jouer à un jeu d’argent des sommes de plus en plus fortes afin de « se refaire ».
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
Méfiez-vous de votre cerveau, Gilles Bellevaut et Pascal Wagner-Egger, Editions 41, 2022, 152 pages
Un document rédigé par des spécialistes de la santé au Canada éclaire comment une approche intersectionnelle permet d'établir des programmes de santé publique efficaces, qui biffent les iniquités.
L’intersectionnalité, c’est quoi ? Ce terme, peu connu du grand public, est expliqué dans un document créé par le Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé canadien qui regroupe des expert·e·s du domaine de la santé publique et des discriminations.
On peut y lire : « L’intersectionnalité renvoie à un concept, à un cadre, à une approche, à une méthode analytique ou à un mouvement servant à mettre en évidence l’injustice sociale et à prendre des mesures pour y remédier. Une approche intersectionnelle de la santé publique repose sur la reconnaissance de la complexité́ et de la diversité́ de l’expérience humaine. Elle nous aide à considérer les manières dont s’entrecroisent les systèmes de pouvoir et d’oppression comme le racisme, le classisme et le sexisme. Elle jette une lumière sur l’influence de ces systèmes sur la santé et le bien-être des individus, une influence exercée différemment selon la position sociale et l’identité́ sociale, comme le genre, la race et la classe, et qui diffère et se chevauche pour chaque personne. »
En d’autres termes, les iniquités augmentent encore lorsque les différentes formes de discriminations interagissent entre elles. Le document donne l’exemple des femmes noires du Canada pour lesquelles l’effet du racisme et du sexisme les rend particulièrement vulnérables au VIH : « En santé publique, une intervention intersectionnelle viserait par conséquent à agir sur l’ensemble de ces nombreuses formes d’oppression et des interconnexions sous- jacentes, non pas sur chacune isolément. »
Le document fourni des pistes pour une meilleur évaluation des situations et ainsi une meilleure orientation des interventions.
(YT)
Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé. « Intersectionnalité: Parlons-en ». Antigonish (NS): CCNDS, Université St. Francis Xavier, 2022, 15 pages
Un groupe de sept associations belges abordent les questions liées au sexe, aux drogues et au respect dans une série de documents audio intéressants.
C’est quoi le consentement ? Peut-on être consentant·e malgré la consommation de substances psychotropes ? Comment se faire respecter en soirée ? Ces questions et bien d’autres sont abordées dans une série de podcasts réalisées par le groupe de travail belge baptisé « Sexe, drogues et consentement » qui réunit sept associations actives dans ce domaine.
Les trois épisodes audio — un sur le consentement, un sur les limites, un sur la communication — donnent la parole à des jeunes. Sans tabou, ils et elles parlent de leurs expériences, bonnes ou mauvaises. Ils et elles parlent de leurs propres limites, de comment les faire respecter et comment être attentif·ve aux limites des autres. Ainsi, une jeune femme explique qu’elle n’a pas insisté lorsque son copain lui a dit qu’il n’avait pas envie d’un rapport sexuel. « Il était choqué que j’accepte son non ! Son ex-copine lui aurait fait une scène m’a-t-il dit ! »
Les podcasts regorgent d’information, de définition, d’explications sur ces questions parfois encore taboues tout en laissant parler les jeunes avec leur langage fleuri et leurs expériences variées.
(Yseult Théraulaz)
En trente minutes, les cinq formes principales de cette maladie sont expliquées dans un document audio. Avec des conseils à la clef.
La Ligue suisse contre le rhumatisme propose un podcast sur cette maladie qui touche plus de deux millions de personnes en Suisse. Le premier épisode donne la parole à la Dre Diana Dan, médecin spécialisée en rhumatologie au CHUV.
La spécialiste commence par expliquer la notion de rhumatisme, qui comprend plus de deux cents maladies, classées en cinq catégories : rhumatismes inflammatoires, des parties molles, du dos, des os et tissus conjonctifs, dus à la dégénérescence du cartilage.
Ces maux ne touchent pas que l’appareil locomoteur, mais également la peau, les yeux, entre autres organes. Elles peuvent se manifester par des douleurs mineures, mais aussi avoir des conséquences très invalidantes avec des déformations des articulations et des atteintes aux organes internes.
La médecin précise que l’entourage des malades n’est pas toujours conscient de la situation car souvent le rhumatisme ne se voit pas, bien qu’il puisse être très douloureux.
Le podcast, d’une durée d’environ 30 minutes, apporte un éclairage utile sur la question, tant pour les personnes atteintes, que leurs proches. Il fournit également des conseils pour prévenir certaines de ces maladies rhumatismales.
(YT)
La sociologie, ça sert à quoi ? La question a guidé la création d’une bande dessinée vouée à « démystifier » la discipline. Trois questions à l’un de ses auteurs, Thomas Jammet, adjoint scientifique à la HETS-Fribourg.
(REISO) Dans la genèse de l’histoire, le personnage explique vouloir créer une bande dessinée sur la sociologie pour que l’ouvrage soit lu. La sociologie est-elle donc si méconnue dans la population ?
(Thomas Jammet) Cette première scène expose en effet l’ambition de l’ouvrage et rappelle l’origine du projet, qui a amené deux « jeunes » sociologues à réfléchir à un moyen de promouvoir leur discipline d’une manière originale et accessible. Le fait est que la sociologie est largement méconnue du grand public. D’une part, les ouvrages et articles scientifiques publiés par des sociologues sont rarement lus au-delà du cercle (relativement fermé) des spécialistes de la discipline. D’autre part, dans de nombreux pays, dont la Suisse, la sociologie n’est pas enseignée au gymnase/lycée, et demeure donc mystérieuse pour les étudiant·e·s qui commencent leur cursus de formation. Plus largement, les connaissances produites par les sciences sociales sont souvent critiquées dans l’arène médiatique, au prétexte qu’elles excuseraient des comportements problématiques dont elles cherchent à comprendre et à expliquer les mécanismes. La bande dessinée nous est apparue comme un bon format pour favoriser l’accès aux savoirs sociologiques : le dessin de LDUD participe incontestablement à rendre les explications plus « parlantes » et permet d’introduire un humour visuel qui renforce l’autodérision dont font preuve les auteurs.
À quel point votre quotidien vous a inspirés dans la création des planches ?
Avec Daniel Burnier, nous avons cherché à ancrer les scènes dans le quotidien pour montrer la manière dont les questionnements des sociologues partent souvent de situations ordinaires, en apparence banales, qui permettent d’interroger diverses facettes de la vie sociale. De nombreuses scènes sont inspirées de situations vécues, que nous avons accentuées et déformées de manière humoristique. C’est notamment le cas de la scène où une journaliste pose des questions étranges sur les animaux de compagnie, ou encore de celle où les deux sociologues s’agacent devant les demandes de révision adressées à l’un de leurs articles.
Notre souhait est que cet ouvrage puisse donner envie à des gens d’en apprendre plus sur les sciences sociales et les questionnements auxquels elles invitent.
La plupart des scènes montrent surtout des événements courants de la vie quotidienne qui suscitent des interrogations chez une petite fille, auxquelles son papa sociologue cherche à répondre… de manière parfois un peu compliquée. Il faut dire aussi que certaines scènes se moquent (gentiment) des petits défauts des sociologues, qui tendent souvent à être très sérieux et peu intelligibles. Ce livre n’est pas un manuel illustré de sociologie, mais plutôt une lecture personnelle et décalée de sa pratique.
Qu’aimeriez-vous que les lectrices et lecteurs conservent en mémoire lorsqu’elles et ils referment votre bande dessinée ?
Notre BD a l’ambition d’être à la fois drôle et instructive. C’est la raison pour laquelle douze notes illustrées figurent à la fin de l’ouvrage, pour présenter une poignée de sociologues qui nous ont marqués ainsi que certaines notions importantes qui peuvent éclairer la compréhension de la société dans laquelle nous vivons. Notre souhait est que cet ouvrage puisse donner envie à des gens d’en apprendre plus sur les sciences sociales et les questionnements auxquels elles invitent.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
Burnier D., Jammet T., et LDUD. « Au secours, mon papa est sociologue ! », Ed. Livreo-Alphil, 2022, 60 pages
Un rapport pointe du doigt la méconnaissance des professionnel·le·s confronté·e·s à ces demandeur·euse·s d'asile dont l'orientation sexuelle et affective est criminalisée dans leur pays d'origine.
L’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·e·s (ODAE) a constaté, dans son dernier rapport, qu’il n’existe pas de reconnaissance systématique du statut de réfugié·e en Suisse romande lorsque l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, ou encore les caractéristiques sexuelles sont criminalisées dans le pays d’origine.
L’ODAE relate une méconnaissance et une absence de formation des professionnel·le·s en lien avec ces thématiques. Il note que les autorités, tout comme le personnel en charge de l’accueil ou de la santé, font souvent preuve de préjugés et de discriminations. L'Observatoire mentionne que les stéréotypes ont la vie dure et que le cadre dans lequel ces personnes sont accueillies n’est pas adéquat, entravant le bon déroulement de la procédure d’asile.
L’Observatoire relève également l’absence de chiffres et de recherches permettant de quantifier les discriminations et violences vécues. Cela a pour conséquence une invisibilisation des personnes de la communauté LGBTIQ+ qui requièrent l’asile et des discriminations lors de leur prise en charge.
Une série de mesure sont préconisées, comme une meilleure protection internationale via une reconnaissance du statut particulier de la personne LGBTIQ+ ; une adaptation des foyers d’accueil cantonaux qui devraient prévoir des hébergements privés ; une prise en charge des soins adéquate et adaptée aux besoins spécifiques de la personne ; un soutien financier à l’intention des associations qui déploient des ressources pour renforcer l’inclusion des migrant·e·s de la communauté, ainsi que la mise en place de statistiques spécifiques sur les demandes d’asiles des personnes LGBTIQ+.
(ODAE/YT)
Voir le rapport complet et les témoignages vidéos réalisés par l'ODAE
Co-auteur du livre Le cerveau pense-t-il au masculin ?, Pascal Gygax s'applique à démontrer au quotidien en quoi l'utilisation du langage inclusif et épicène n'a rien de futile, et contribue à une meilleure égalité des genres. Interview.
S'il déchaîne les passions et que d'aucuns n'y voient aucun intérêt, le langage épicène et inclusif s'inscrit pourtant comme un outil essentiel à une meilleure égalité sociale. Psycholinguiste et psychologue cognitif à l'Université de Fribourg, Pascal Gygax détaille en quoi l'utilisation d'un « masculin générique » pose des problèmes au cerveau humain en termes de représentativité des genres.
(REISO) Avant de commencer, mettons-nous d’accord : quelle sont vos définitions du langage épicène et inclusif ?
(Pascal Gygax) Le langage inclusif est une expression globale qui comprend tous les outils linguistiques se détournant de l’utilisation du masculin comme valeur par défaut. Par exemple, au lieu d’écrire Les lecteurs qui lisent ce texte vont remarquer qu’il est écrit en langage inclusif, on peut choisir Vous qui lisez ce texte allez remarquer qu’il est écrit en langage inclusif (ce qu’on appelle l’adressage direct), Les personnes qui lisent ce texte vont remarquer qu’il est écrit en langage inclusif (ce qu’on appelle le langage épicène), ou encore Les lectrices et lecteurs qui lisent ce texte vont remarquer qu’il est écrit en langage inclusif (ce qu’on appelle un doublet). Ces trois formes de langage inclusif sont possibles ici. Notez, pour la petite histoire, que l’expression écriture inclusive nous vient de théologiennes protestantes nord-américaines des années 1970 qui souhaitaient proposer des reformulations plus inclusives de passages de la Bible (par ex., parler de l’enfant de Dieu au lieu du fils de Dieu). Julie Abbou a d’ailleurs écrit un article passionnant sur l’histoire de l’expression.
D’aucuns estiment que l’utilisation exclusive du masculin dans son sens dit « neutre » suffit à inclure les représentations d’autres genres que les hommes dans le langage. Pourtant, les recherches montrent que ce n’est pas le cas, n’est-ce pas ?
Il faut en effet comprendre que la forme grammaticale masculine, par son ambiguïté sémantique, pose des problèmes à notre cerveau. La forme masculine est ambiguë, car elle peut vouloir dire (1) un ou des hommes (sens dit spécifique), (2) une ou plusieurs personnes dont on ne connaît pas le genre (son sens dit neutre), (3) une femme et plusieurs hommes (un sens dit mixte, pour la forme plurielle), (4) un homme et plusieurs femmes (un autre sens dit mixte, pour la forme plurielle également) ou (5) un homme, une femme, et plusieurs personnes non binaires (encore un autre sens dit mixte, pour la forme plurielle également). Or notre cerveau rencontre souvent des difficultés avec n’importe quelle ambiguïté, et pour résoudre cette ambiguïté, il aura tendance à spontanément choisir le sens le plus simple et le plus fréquent, ici, masculin = homme. Pour résumer les cinquante ans de recherche sur l’interprétation du masculin, nous pouvons affirmer que la notion même d’un masculin générique, qui ne se référerait pas directement à un ou des hommes, est tout simplement incompatible avec la manière dont fonctionne le cerveau humain. Il est intéressant de constater qu’il n’existe pratiquement aucune controverse là-dessus dans les études empiriques sur le sujet. En terme sociologique, l’utilisation du masculin va donc nourrir un prisme masculin, ou androcentré, c’est-à-dire un prisme où les hommes sont constamment mis en avant et placés au centre de notre société, comme une valeur par défaut.
À la question « Le langage inclusif est-il essentiel ? », la réponse est donc simple : cela dépend de ce que vous souhaitez faire. Si sortir du prisme masculin – dans le travail social et les soins notamment, pour promouvoir une égalité entre les genres dans les pratiques – est une priorité, alors oui.
Parmi les réticences quant à l’adoption du langage inclusif, vous parlez de freins linguistiques et de freins sociétaux. Le sont-ils réellement ?
Arrêtons-nous d’abord sur l’aspect linguistique. Parmi les outils disponibles à un langage plus inclusif, nombreux sont ceux qui existent déjà en français, comme ceux déjà évoqués. Il n’y a là aucun frein linguistique. Par contre, certains outils sont nouveaux, à l’image des formes contractées (ou abrégées) des doublets, qui présentent parfois de nouvelles typographies, comme le point médian (par ex., les assistant·es social·es). On peut aimer, ou pas, ces nouvelles typographies, mais elles ne représentent qu’une petite partie de l’écriture inclusive, et ne sont pas forcément indispensables. On peut tout à fait écrire un texte en écriture inclusive sans points médians, comme le présent texte. À ce sujet, il s’agit de relever que ces formes ne sont pas si novatrices que ça, puisque le français accepte depuis longtemps l’utilisation de formes contractées ou abrégées, telles que par ex., M. et Mme Dupond, 300fr., ou le(s) verre(s). D’autres formes nouvelles se réfèrent à des notions que notre société a, jusqu’à maintenant, peiné à exprimer (et à accepter !), comme la non-binarité de genre. Ici, le français a besoin d’évoluer. Le « x » dans les formes contractées (l’assistant·e·x), ou certains néologismes (par ex., les collaborateurices) en font partie. Alpheratz [1], linguiste à la Sorbonne, a écrit un livre fascinant sur ces nouvelles possibilités lexicales, ainsi que sur des nouveautés grammaticales possibles.
Il existe effectivement un problème d’invisibilité pour toutes les personnes ne s’identifiant pas à la catégorie homme, et cela perdurera si nous continuons à asseoir notre langue sur le masculin. Maintenant, cette invisibilité se mêle à d’autres facteurs qui, ensemble, vont impacter la prise en charge de bénéficiaires de l’action sociale.
Mais justement, on trouve de nombreuses réticences à ces nouvelles formes linguistiques. Est-ce une forme d’incarnation du « c’était mieux avant » ?
En quelque sorte, oui. On entend souvent des arguments qui visent à protéger un français « pur », mais ce genre d’arguments vient souvent d’une mauvaise compréhension de l’évolution de la langue. Le français est une langue vivante, qui a toujours bougé, souvent d’ailleurs pour des raisons politiques. Par exemple, comme le montre Eliane Viennot, l’accord masculin par défaut s’impose (progressivement) car les grammairiens du 17ème siècle y voient le signal que « le mâle est plus noble que la femelle ». On entend aussi parfois que si l’Académie française ne valide pas ces nouveaux usages, ils ne devraient pas exister. Pourtant, cette institution n’a pas vraiment son mot à dire. Dans leur livre Le français est à nous !, où elles rappellent notamment la manière dont le français a toujours été politisé, Maria Candéa et Laélia Véron l’expliquent en détail. De fait, l’Académie française n’a qu’un seul mandat, celui de publier un dictionnaire des usages. Elle a essayé, en 1932, de publier une prise de position sur la grammaire française, mais a dû essuyer une vague d’indignation, tellement il y avait d’erreurs. C’est, en fait, assez normal, puisque l’Académie n’a (presque) jamais invité des spécialistes du langage. Notons également que son dernier dictionnaire date de 1935, ce qui n’est pas très récent ! Et dans sa nouvelle version annoncée pour parution prochainement, dont une partie est déjà accessible en ligne, on trouve des définitions assez anachroniques. Une ambassadrice, par exemple, n’y est (toujours) rien d’autre que la femme de l’ambassadeur…
Dans votre livre, les freins sociétaux sont notamment décortiqués dans un chapitre intitulé « Pourquoi tant de haine ? »...
Nous avons en effet intitulé ce chapitre de la sorte en référence aux nombreuses études scientifiques menées, par le passé et actuellement, sur ces freins sociétaux. En deux mots, les recherches montrent que trois facteurs semblent être déterminants dans notre rapport à l’écriture inclusive : le sexisme, le conservatisme, et la croyance dans un monde juste. Ce dernier facteur est particulièrement intéressant : il implique que certaines personnes pensent qu’il existe une sorte de force universelle et naturelle, seule responsable de la conjoncture du monde. Pour elles, l’écriture inclusive vient bouleverser ce monde juste. D’une certaine manière, ces personnes pensent que l’androcentrisme est dans l’ordre naturel des choses. On constate d’ailleurs que des partis politiques sont plus enclins à vouloir freiner toute forme d’écriture inclusive. Quelques politiciens en France ont même proposé des peines de prison pour toute personne utilisant un langage inclusif (j’imagine qu’ils pensaient au point médian, car il est écrit sur toutes les cartes d’identité françaises né(e) le, ce qui engorgerait sûrement les prisons…). Donc oui, il existe des freins sociétaux, principalement liés au conservatisme et au patriarcat, probablement. Mais comme déjà précisé, beaucoup de recherches sont encore en cours.
En étant invisible dans le langage, les femmes risquent-elles, notamment en matière de travail social ou de soins, d’être traitées ou prises en charge différemment que les hommes ?
C’est une vaste question. Ce qui est certain, c’est que le langage ne va pas à lui seul résoudre toutes les problématiques liées au travail social. De fait, aucune mesure isolée n’y parviendra. Néanmoins, il existe effectivement un problème d’invisibilité pour toutes les personnes ne s’identifiant pas à la catégorie homme, et cela perdurera si nous continuons à asseoir notre langue sur le masculin. Maintenant, cette invisibilité se mêle à d’autres facteurs qui, ensemble, vont impacter la prise en charge de bénéficiaires de l’action sociale. Comme pour bien d’autres domaines, le travail social — et de manière plus globale les politiques sociales — souffre d’androcentrisme, de stéréotypies et de rapports de pouvoir. La langue est une entrée intéressante pour réfléchir à ces questions, mais elle doit être complémentaire à beaucoup d’autres actions et réflexions.
En quoi la modification des habitudes de langage aujourd’hui, que ce soit à l’écrit et à l’oral, est-elle importante pour demain ?
On peut reformuler la question de la manière suivante : en quoi la déconstruction du prisme androcentré de notre société (dont l’histoire est très longue !) est-elle importante pour demain ? Et là, encore une fois, tout dépend de ce que l’on souhaite pour demain. Si notre intérêt porte sur une plus grande diversité des aspirations professionnelles des enfants et sur une vision plus égalitaire de toutes les catégories possibles de genre, par exemple, certaines habitudes langagières — mais pas seulement — méritent d’être modifiées, en tout cas d’être rediscutées. Ce qui est important ici, c’est que les enfants s’accommodent probablement assez facilement de différentes formes d’écriture inclusive, et même de modifications grammaticales plus inclusives et logiques. Par exemple, l’accord de proximité (le fait d’accorder au plus proche, comme dans l’expression « certaines régions et départements ») sera plus simple et plus logique pour des enfants, en tout cas plus logique que l’accord au masculin par défaut (par ex., « certains régions et départements »). Pour les filles, qui intègrent très vite que le masculin se réfère plutôt aux garçons (puisqu’on leur parle à elles au féminin), la notion du masculin qui l’emporte est quand même un peu étonnante.
Mais encore une fois, le prisme masculin semble également satisfaire une certaine partie de la population, qui souvent ne se rend pas forcément compte des rapports de pouvoir et de la notion même de privilèges.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
Pour aller plus loin
Pascal Gygax et Sandrine Zufferey, co-auteur et co-autrice du passionnant livre Le cerveau pense-t-il au masculin ? — Cerveau, langage et représentations sexistes avec Ute Gabriel viennent de participer à deux épisodes du podcast Les couilles sur la table intitulés « Masculin neutre : écriture exclusive », tout juste publié sur la plateforme Binge audio. Créé en 2017, ce programme emmené par la journaliste française Victoire Tuaillon comptabilise plus de 15 millions d'écoutes. Il vise à questionner les masculinités et ses conséquences sur la société, grâce notamment à l’intervention de scientifiques.
Bibliographie
[1] Pour en savoir plus, voir son site, fascinant lui aussi https://www.alpheratz.fr/
À lire également :
La FARES a mandaté une enquête destinée à connaître davantage les conditions de vie des personnes de plus de 80 ans. Résultat ? La majorité d’entre elles et eux s’estime en bonne santé et la société doit se rapprocher de ce groupe d’âge.
Ils et elles vivent souvent dans un ménage privé, s’en sortent financièrement et beaucoup d’entre elles et eux fournissent des prestations bénévoles : on parle là de personnes de plus de 80 ans. Cependant, ce groupe d’âge n’apparaît que rarement dans le discours officiel, regrette la Fédération des Associations des retraités et de l’entraide en Suisse (FARES), qui estime même que « c’est plutôt une retenue silencieuse qui se produit ».
Afin de documenter cette situation, cette organisation de seniors a commandité un questionnaire sur les conditions de vie des plus de 80 ans en Suisse. Les réponses des quelque 1’134 octogénaires apportent ainsi un éclairage sur les conditions de vie de ces plus de 450'000 personnes en Suisse et contredit les clichés concernant les « personnes âgées ».
Si ce groupe d’âge est à peine présent dans les discours, il apparaît presque toujours en rapport avec la politique de la santé lorsque l’on en parle. Pourtant, les répondant·e·s se considèrent comme en bonne santé et se montrent actif·ve·s.
La FARES estime que cette situation est inhérente au fait que la société n’attend rien de ce groupe d’âge, ce que la fédération estime comme injustifié.
Pour la FARES, l’enquête révèle que la politique doit davantage se concentrer sur le grand âge que jusqu’à présent. Il est à ce propos important « de s’engager pas seulement pour le grand âge mais avec le grand âge », souligne Bea Heim, co-présidente de la fédération. Toutes les catégories d’âge, y compris celle des plus âgé·e·s, doivent être associées aux processus politiques. « Ils ne doivent pas être tenus à l’écart des administrations ou des associations, mais c’est leur engagement qui doit être utilisé », insiste l’ancienne conseillère nationale socialiste.
Forte de ces résultats, la FARES demande de mieux soutenir les personnes âgées qui sont dans des situations précaires, en facilitant l’accès aux prestations complémentaires et en combattant les discriminations. Selon Bea Heim, le monde politique doit mettre en place des bases légales contre les préjudices frappant les plus âgé·e·s. « Les nouvelles générations ne le font pas que pour les aînés, mais aussi pour eux-mêmes. Tous seront vieux un jour. »
(Source : FARES)
En Suisse, nombre d’enfants de parents séparés vivent tantôt chez l'un, tantôt chez l’autre. Un rapport documente le quotidien de ces familles. Il montre ce qui peut compliquer leur situation, mais aussi contribuer à les soutenir.
Les situations familiales après une séparation ou un divorce figurent parmi les thèmes prioritaires de la Commission fédérale pour les questions familiales. Afin de documenter le quotidien de ces familles, jusqu'ici resté dans l'ombre, cette instance a commandité une étude réalisée auprès de 2’868 mères et pères vivant séparément et de 244 enfants. Cette recherche présente entre autres les circonstances favorables à un arrangement familial multilocal, ainsi que les obstacles existants. Elle montre notamment que le bien-être des enfants se révèle surtout influencé par la qualité de la relation entre leurs parents et leur capacité à gérer les conflits et qu’il n’est pas moins élevé que celui des enfants dont les parents vivent ensemble.
S’appuyant sur les résultats de l’étude, la commission s’est penchée sur ce qui pourrait être amélioré dans le cadre juridique, mais aussi dans la vie quotidienne, pour soutenir au mieux ces familles. Elle adresse ainsi neuf recommandations, regroupées en trois thématiques, à différents acteurs et actrices, qui sont les suivantes :
Ainsi, selon elle, un droit de la famille adapté aux réalités actuelles doit s’affranchir du statut du mariage. Dans une famille recomposée, la responsabilité de la prise en charge doit également pouvoir être assumée par des tiers. La Commission fédérale pour les questions familiales invite par ailleurs les écoles et les structures extrafamiliales à communiquer avec les deux parents et enjoint les tribunaux et les autorités à mettre en œuvre de manière effective le droit de participation des enfants.
(Source : Commission fédérale pour les questions familiales)
Voir le rapport « Quand les parents ne vivent pas ensemble — Parentalité et quotidien des enfants »
Voir les neuf recommandations de la COFF
Lire l'article de la revue en ligne de l'Office fédéral des assurances sociales CHSS : « Comment équilibrer le quotidien familial après une séparation »
Une série dessinée réalisée en Bretagne pose un regard bienveillant sur la sexualité des seniors. Cet outil simple rappelle notamment les bienfaits des relations affectives et charnelles, même après 60 ans.
Incompatibles, l’âge et la sexualité ? Pour contribuer à déconstruire des préconçus liés à la vie affective et sexuelle des seniors, l’ireps Bretagne, Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé, a conçu une série dessinée et de vidéos intitulée « On ne finit jamais de fricoter, chroniques olé olé pour personnes âgées (mais pas que !)… ». Ces dix courts épisodes effleurent de manière thématique le corps, la famille, l’amitié, l’amour, la retraite, le désir, le plaisir, les séparations, les nouvelles relations et l’avis des autres. Et de rappeler aux lectrices et lecteurs que : « La sexualité est un facteur d’épanouissement. Ce serait dommage de s’en priver sous le seul prétexte qu’on est âgé. »
Un épisode est publié de manière hebdomadaire entre le 4 octobre et le 6 décembre 2022. Les dix volets sont réalisés et racontés par Hélène Pouille, facilitatrice graphique et Gérard Ribes, sexologue et auteur du livre Sexualité et vieillissement. Cette chronique repose également sur les apports amenés par les participant·e·s à des ateliers intitulés Les amours après 60 ans, animés plus tôt dans l’année par l’association Santé Bigoudène et par l’Ireps Bretagne.
Le contenu de ces épisodes contribue à rappeler des faits de base en matière affective et sexuelle, et représente une opportunité d’ouverture à la communication. Deux regrets, cependant, émergent à la lecture de ces ressources dont le titre attise la curiosité : le contenu aurait pu être un brin plus poussé — pour susciter davantage de réflexion en réponse à cette curiosité éveillée — et l’utilisation d’une iconographie et d’un langage plus inclusifs se serait avérée bienvenue.
(CROC)
Pour aider les enfants à prendre conscience des stéréotypes de genre contenus dans les contes, deux Britanniques ont renversé les rôles de douze récits traditionnels. Exit la princesse passive en attente d’être sauvée par son prince.
Pour mettre à mal les stéréotypes perpétués par les contes de fées, deux Britanniques ont développé un algorithme spécial qui inverse les codes de genre. Ainsi, dans Le bel au bois dormant : et autres contes où les princesses volent au secours de leur prince, Karrie Fransman et Jonathan Plackett proposent douze récits classiques « renversés » : s’il existe un personnage masculin dans l’histoire d’origine, le procédé le remplace et insère un personnage féminin, et vice versa.
Dans ces histoires, donc, le genre féminin supplante le genre masculin. « Il » devient « elle », « la belle au bois dormant » devient « le beau au bois dormant », et « la princesse au petit pois » devient « le prince au petit pois ». Malgré certains changements potentiellement déstabilisants, le texte dans son ensemble reste fluide. Aucun récit ni personnage n’a été réinventé, seuls les genres ont été intervertis et la symbolique du conte reste la même.
Le livre contient de belles dorures colorées. Les images peintes à l’aquarelle agrémentent chaque histoire de teintes différentes et forment un ensemble harmonieux. Les récits, comprenant plus de dix pages chacun, conviendront bien aux enfants à partir de 8 ans.
La revisite de ces contes bouscule les codes de notre jeunesse et fait réfléchir les petit·e·s sur la question du genre et de sa place dans les récits héroïques. La préface juste et fine sur la condition fille-garçon dans la société contemporaine est signée Marie Darrieussecq.
Il ressort de cette refonte un magnifique recueil de contes, où la princesse n’est plus seulement belle, fragile et passive, mais où elle fait preuve de courage et d’audace, et n’hésite pas à monter sur son destrier pour sauver son prince.
(Source : CREDE)
Le bel au bois dormant: et autres contes où les princesses volent au secours de leur prince, Fransman, K., Plackett, J. Paris: Stock, 2021, 192 pages
Spécialiste de l'âge avancé et de la prise en charge des malades Alzheimer, Marianna Gawrysiak publie un ouvrage basé sur son expérience et les témoignages recueillis auprès de personnalités de plus de 75 ans.
Recension par Jean Martin
C’est le livre d’une personne étonnante, une artisane de la relation et de la convivialité que viennent de publier les éditions de l’Aire. Née en 1961 dans une bonne famille de Budapest, Marianna Gawrysiak arrive en Suisse à 22 ans. Après une licence en psychologie, elle se spécialise au Centre interfacultaire de gérontologie de Genève, puis s’engage durant plus de trente ans à l’hôpital psychiatrique de Marsens. Elle s’attache aux problématiques liées à l’âge avancé et en particulier à la prise en soin des malades Alzheimer et de leurs proches — à l’éventail des situations lourdes, frustrantes souvent, dans lesquelles ils et elles se trouvent. On le sait, c’est un sujet majeur de santé publique, maintenant déjà, et de manière accrue à l’avenir.
Intéressée par les moyens modernes de communication, elle a développé un site internet sur lequel elle partage son expérience professionnelle et relationnelle [1]. Dans ces « Propos d’une gérontopsychologue » (sous-titre du site), elle parle de son travail et apporte des conseils. « Aux connaissances théoriques acquises au cours des études, écrit-elle, s’ajoute l’enseignement retiré chaque jour de mes rencontres avec des personnes âgées, de leurs histoires de vie, de leurs souffrances, mais aussi de leur courage. »
Parallèlement, Marianna Gawrysiak a développé un questionnaire qu’elle adresse à des personnalités (dont deux anciens membres du Conseil fédéral) ayant dépassé l’âge de 75 ans, sollicitant leur sentiment sur plusieurs aspects du fait de vieillir. Si ce questionnaire ne s’avère pas aussi connu à ce stade que ceux de Marcel Proust ou de Bernard Pivot, on ne sait pas de quoi l’avenir est fait...
C’est ce double contenu, enrichi au cours du temps, qui constitue l’ouvrage récemment publié, L’Avancée en âge ; Ses richesses, ses écueils. Les sujets sont variés, les approches diverses, toujours avec le souci d’être utile aux lecteurs et lectrices. Il est un éventail substantiel sur ce qui se joue dans l’âge avancé, les difficultés comme les joies. L’autrice aborde des sujets allant de l’amitié et l’amour à la créativité, de l’humour à la dépression, des chutes à la douleur et aux médicaments, en passant par les modes de vie sains. Le chapitre sur la santé mentale et la migration, insistant sur la nécessité d’une approche transculturelle (ethnopsychiatrie), est particulièrement touchant. Puis est traité le sujet délicat de la fin de vie, avec la problématique Exit dont il ne faut pas craindre de parler.
Au sujet des patients Alzheimer, Marianna Gawrysiak affirme : « Soutenir l’espoir, prendre ses distances avec toute prédiction/« condamnation » hâtive (…) Contre les clichés dévastateurs et majoritairement négatifs de la maladie d’Alzheimer, il est primordial de reconnaitre que les compétences affectives et intellectuelles perdurent durant des années chez les personnes diagnostiquées assez tôt ».
L’autrice délivre aussi ses règles de « bonne conduite » (!), pour maintenir son potentiel d’activité et de plaisir, et inclut des textes sur l’entrée et la vie en EMS, tel que « Mon EMS idéal ». Elle a inclus des chapitres culturels, comme celui consacré aux livres-témoignages et aux films qui ont mis en scène des personnes souffrant d’Alzheimer et leurs proches [2].
En tout, ce bouquin, se compose de textes bien informés, sur un mode pratique. Il est à la fois une lecture agréable voire distrayante, riche de vingt-huit séquences nourrissantes, bien écrites, avec en contrechant, à chaque fois, la réponse d’une personnalité au « Questionnaire » et un large panorama des enjeux dans une société vieillissante. Un ensemble, dit l’autrice, qui doit faire éviter « qu’on oublie ce que l’âge — et le grand âge — recèle de richesses, et même d’enchantements ».
Marianna Gawrysiak signe là le travail d’une passeuse de son expérience, de tonus et de plaisir à vivre, même quand c’est difficile, motivée par ce mot du comédien américain George Burns : « Je m’intéresse à la vieillesse, parce que c’est là que je vais passer le reste de ma vie ».
« L’Avancée en âge ; Ses richesses, ses écueils », Marianna Gawrysiak, Vevey : Éditions de l’Aire, 2022, 380 pages
[1] Voir le site de Marianna Gawrysiak
[2] On notera aussi que Marianna Gawrysiak a été la cheville ouvrière de la création et de la vie de l’espace culturel « Le Vide-poches » du Réseau fribourgeois de santé mentale.
L’Organisation mondiale de la santé a publié un résumé d’orientation de ses lignes directrices en matière de santé mentale au travail. Ce document émet notamment douze recommandations.
« Grâce à ces nouvelles recommandations de l’OMS, les lignes directrices devraient faciliter les actions menées au niveau national et sur le lieu de travail en matière d’élaboration de politiques, de planification et de prestation de services dans les domaines de la santé mentale et de la santé au travail. Ces lignes directrices visent à améliorer la mise en œuvre d’interventions fondées sur des bases factuelles en faveur de la santé mentale au travail. » C’est en ces termes, entre autres, que l’Organisation mondiale de la santé définit ses Lignes directrices de l’OMS sur la santé mentale au travail, récemment publiées.
Les douze recommandations contenues dans le résumé d'orientation concernent les interventions organisationnelles, la formation du personnel d’encadrement, la formation des travailleurs et travailleuses, les interventions individuelles, le retour au travail après une absence associée à des problèmes de santé mentale et, enfin, l’obtention d’un emploi à l’intention des personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
Dans son introduction, l’OMS indique en outre qu’il est estimé que 15% des adultes en âge de travailler souffrent d’un trouble mental.
Interview d’Alexandre Lambelet, doyen de la filière Travail social de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne, auteur du livre « Le défi de l’accompagnement des personnes âgées en institution ».
(REISO) Au niveau professionnel, tant d’un point de vue du travail social et que de celui de la santé, y’a-t-il de nouveaux défis en ce qui concerne l’accompagnement des personnes âgées en institution ?
(Alexandre Lambelet) Mon ouvrage s’intéresse en premier lieu au défi « ordinaire » de l’accompagnement des personnes âgées en institution. Pour ces personnes, cela signifie d’accepter, en échange d'une sécurité et de différentes aides, de voir certaines libertés limitées ou envies non réalisées. A l’inverse, c’est aussi trouver dans ces institutions un soutien pour réaliser des envies que la vie à domicile ne permettait plus. Pour les professionnel·le·s, le défi est de devoir simultanément aider les aîné·e·s pour les actes de la vie quotidienne tout en réussissant à proposer des activités significatives ou à recréer des liens, dans les limites des cadres légaux, administratifs ou financiers qui tendent à homogénéiser les pratiques. Plus largement enfin, c’est le défi pour chacun·e, professionnel·le·s, résident·e·s, famille, de faire face au vieillissement de la personne accueillie, qui plus est lorsqu’il s’accompagne de troubles cognitifs.
Les éléments que vous mentionnez ont déjà fait l’objet d’études et de recherches. Quelle valeur ajoutée apportez-vous avec cette publication ?
Cet ouvrage veut offrir différents outils pour mieux faire face à cet éternel défi. C’est ainsi, d’abord, une synthèse des savoirs que devraient détenir tout·e professionnel·le, me semble-t-il, au moment de s’engager dans un métier de l’accompagnement des personnes âgées, dans les institutions. Depuis 20 ans, beaucoup de travaux, de réflexions et d’expérimentations ont effectivement été écrits ou menés en Suisse et à l’international. Si une large littérature scientifique existe donc à ce sujet — tout comme les projets visant à proposer un accompagnement qui soit « centré sur les personnes » —, il manquait à mon sens une synthèse de ces connaissances facilement accessible aux professionnel·le·s qui travaillent auprès de ce public. Ce texte a pour but de les soutenir dans leurs réflexions sur l’accompagnement qu’elles et ils entendent proposer.
Les attentes des personnes âgées hébergées en institution évoluent avec la société. Selon vous, comment conjuguer leurs attentes et leurs besoins avec les exigences politiques et économiques actuelles ?
Sans nier les difficultés financières et les ressources budgétaires limitées avec lesquelles doivent faire face les institutions (et une enquête de l’Université de Bâle que je cite rappelle assez combien des « rationnement implicites » sont déjà évoqués par les professionnel·le·s quand ils et elles sont interrogé·e·s sur leur travail), mon livre émet l’hypothèse qu’avec les moyens aujourd’hui à disposition, une amélioration qualitative de l’accompagnement peut déjà être réalisée. Parce que des institutions, ici, en Suisse romande, le proposent déjà. La perspective qui sert de fil rouge à cet ouvrage, celle d’une approche centrée sur la personne, montre combien l’amélioration de l'accompagnement, si elle peut bénéficier de moyens financiers supplémentaires, est d’abord le résultat d’un « geste politique », pour reprendre une expression de Carl Rogers.
Selon vous, quelles sont donc les pistes pour améliorer cet accompagnement de manière significative ?
Il s’agit bien sûr de ne plus partir d’une offre préconçue, mais de questionner le type de « pouvoir » ou de « contrôle » que les professionnel·le·s désirent avoir ou au contraire restituer aux résident·e·s. C’est aussi avoir le souci de lutter contre le « risque asilaire », inévitablement présent dans toute institution. La recherche scientifique offre bien sûr des pistes, à travers des résultats probants quant aux effets bénéfiques ou négatifs de certaines formes d’accompagnement. Le livre en rend compte. De même, de belles expériences sont menées dans des EMS comme des réflexions très riches y sont développées. Il existe une intelligence collective dans les institutions qui se traduit par des pratiques concrètes dans l’accompagnement des résident·e·s et qui sont aussi valorisées dans cet ouvrage.
Il est indiqué de votre ouvrage que « Les perspectives qu’il offre permettent de (ré-)ouvrir des possibles pour faire face à ce défi qu’est l’accompagnement des personnes âgées en institution » : quels sont ces possibles ?
Je vais donner un seul exemple, celui de la place des proches. Cette question est difficile dans nombre d’institutions. Mais cette complication n’est-elle pas liée au fait que la répartition du pouvoir entre professionnel·le·s, résident·e·s et familles n’est pas clarifié, discuté ? Que l’intention des professionnel·le·s vis-à-vis de ces familles n’est pas assez explicitée ? Comme l’interrogeait une professionnelle d’un EMS vaudois, citée dans l’ouvrage : « Quand vient le moment de faire un soin, ou une activité avec M. Bolomey et que son épouse est présente, va-t-on dire : « Madame Bolomey, vous pouvez sortir pendant que l’on fait la toilette de votre mari ? » ou « Madame Bolomey, vous voulez nous aider à faire la toilette de votre mari ? » ». Voilà une question, qui, me semble-t-il rouvre des possibles, d’autres manières d’être en lien, en soin.
Si l’on vous comprend bien, cette publication a donc aussi pour objectif d’encourager les professionnel·le·s de l’accompagnement à prendre du recul sur leurs pratiques ?
En effet. Lorsque l’on est pris dans le quotidien de son activité, il est parfois difficile de penser à d’autres possibles, de questionner ses propres pratiques, ou de suivre l’actualité de la recherche. L’habitude devient parfois la norme. De mon côté, cela fait des années que je possède un petit carnet dans lequel je note, à chaque fois que je visite une institution, ce qui me semble être des bonnes idées ou des pratiques inspirantes. J’y compile ainsi des manières de faire ou des dispositifs qui permettent aux résident·e·s de gagner en autonomie, en pouvoir, en indépendance, qui les aident à mieux se situer dans l’espace, de mieux inscrire ce nouveau lieu dans leur histoire, ou je ne sais pas quoi encore. Je conçois mon travail de professeur en travail social non seulement comme celui d’un chercheur qui mènerait différentes enquêtes, mais aussi comme celui d’une personne dont le rôle est peut-être d’abord de faire circuler l’information, les idées ou les bonnes pratiques. Et j’espère que cet ouvrage y contribue.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
« Le défi de l’accompagnement des personnes âgées en institution », Alexandre Lambelet, Ed. HETSL, 2022, 143 pages
Une conférence pour le vernissage de l'ouvrage
Vernissage de l’ouvrage le mardi 1er novembre à la HETSL, dès 18h30, en présence de François Matt, Directeur de l’EMS Le Home-Les Pins. Entrée libre, sur Inscription (sur cette page). Cet événement peut également être suivi par visioconférence.
Le vernissage est précédé, à 17h, d’une conférence intitulée « Une expérience piklérienne au home Les Charmettes à Neuchâtel : le soin, support de la relation avec les personnes âgées ». L’approche Pikler repose sur une vision forte de l’individu et sur quelques principes de base : il s’agit d’une éthique du sujet dont découle une éthique du soin. La méthode piklérienne dans les soins en établissements médico-sociaux montre combien cette approche questionne la manière dont les soins et l'accompagnement des actes de la vie quotidienne sont pensés et peuvent être réalisés, encourageant à percevoir ces activités non pas comme des nécessités fonctionnelles mais relationnelles. Les réflexions et discussions sur les pratiques à la lumière de l’approche Pikler ont pu montrer la plus-value de cette vision pour les résident·e·s et les soignant·e·s, mais également les difficultés auxquelles les professionnel·le·s sont confronté·e·s.
Cette conférence est donnée par Agnès Rákóczy, éducatrice de la petite enfance, et Alexandre Lambelet. Entrée libre, sur inscription (sur cette page). Il est également possible de suivre cette conférence à distance.
Afin de prévenir les infections et maladies sexuellement transmissibles, deux guides consacrés au safer sex sont réédités: l’un est destiné aux femmes/personnes ayant une vulve, l’autre aux personnes trans.
L’association Les Klamydia’s, qui s’occupe de la santé sexuelle des femmes qui aiment les femmes, réédite deux guides de prévention en matière de sexualité. L’un est destiné aux femmes/personnes ayant une vulve entretenant des rapports intimes avec des paires, l’autre s’adresse aux personnes trans.
Le premier document rappelle notamment que « le sexe entre femmes / personnes ayant une vulve n’est, hélas, pas inoffensif ». De nombreuses infections, telles que des mycoses, le papillomavirus, des chlamydias ou de l’herpès, peuvent être transmises durant ces relations sexuelles. Il transmet ainsi de manière factuelle des recommandations de préventions et des informations sur la sexualité entre femmes.
Le guide destiné aux personnes trans contient davantage d’informations. Outre les éléments factuels liés à la prévention des infections sexuellement transmissibles, il s’arrête également sur des notions plus globales, comme la contraception, le consentement, les substances psychoactives ou le suivi médical. Ce guide compile aussi les ressources d’aide et de soutien au niveau suisse.
(CROC)
« Brisons le silence ! » met en avant la parole des victimes de violences au sein du couple à travers de récits poignants, tirés de témoignages authentiques. Une démarche de prévention et de sensibilisation essentielle.
Sept épisodes pour sept récits glaçants. Sept histoires qui, bien que différentes, mettent en évidence des similitudes dans les situations de violences dans les couples. Au début, la gentillesse, le dévouement, puis, plus ou moins rapidement, la pression, les exigences, le dénigrement, l’éloignement social. Aux violences psychologiques suivent les coups. Les bleus. La peur. L’isolement. Les viols.
Porté par l’Association DécadréE, en partenariat avec plusieurs associations engagées dans la lutte contre les violences de genre, « Brisons le silence » est un projet de sensibilisation sur la multiplicité des violences au sein du couple. Que l’on soit jeune, plus âgé·e, issu·e de la migration ou Suisse·sse, chacun·e peut devenir victime d’un manipulateur, d’un pervers narcissique ou d’une personne violente. « Je n’aurais jamais pensé que cela puisse m’arriver à moi », témoigne ainsi l’une des femmes, « féministe et militante », qui se sentait pourtant « très alerte sur ces questions ».
Les sept capsules sont illustrées par autant d’artistes romand·e·s. De ces propos poignants ressortent encore d’autres constantes : la manipulation du bourreau qui cherche à inverser les rôles en se faisant passer pour la victime, l’emprise et la menace, mais aussi, pour les victimes, la nécessité de collecter des preuves (photos, témoins, dossier médical) pour se défendre, l’impératif de fuir pour sauver sa vie, la violence psychologique encore beaucoup trop souvent niée par la justice.
Mais de chaque récit émerge aussi l’espoir : s’en sortir est possible, de l’aide existe. « Au centre d’accueil, ils m’ont dit que j’avais le droit de ne pas rentrer et qu’ils avaient une chambre pour moi », se souvient l’une des témoins. Qui précise ensuite : « Je n’ai pas honte. La honte, c’est à lui de la porter. » Et cette autre personne de rappeler que les victimes ne sont jamais responsables et qu’elles ne se résument pas à ce qu’elles ont subi : « cette période de violences, c’est un événement ponctuel de ma vie, mais ce n’est pas moi. »
Pour accompagner les vidéos, des ressources pédagogiques sont proposées aux professionnel·le·s du travail social, de la santé et de l’enseignement sur le site internet dédié. Des conseils sur la sécurité en ligne et des adresses utiles y figurent également.
(Céline Rochat)
Pour un parent dévouant sa vie à son enfant handicapé, la perspective de mourir est source d’inquiétude. Un documentaire émouvant dévoile le quotidien d’une institution qui offre l’opportunité d’une fin de vie rassurante.
C’est un film touchant, entraînant le public entre éclats de rires et grosses larmes que livre le réalisateur Martin Blanchard. Diffusé sur Arte et accessible en rediffusion, Mon enfant après moi plonge dans le quotidien de couples « parent âgé-enfant adulte en situation de handicap » qui vivent ensemble à la Maison d’accueil familial du Boistissandeau, en France.
Le documentaire débute dans l’appartement d’Annie. À 74 ans, cette dynamique retraitée s’occupe seule de Marie-Madeleine, 33 ans, atteinte de trisomie 21. La jeune femme, adoptée à trois mois, ne parvient pas à se libérer du « stress » conséquent à son agression, subie dans l’institution où elle résidait auparavant. Inquiète à l’idée de laisser sa fille seule et désemparée à son décès, Annie cherche longuement une solution d’hébergement pour elles deux. À la découverte de l’existence du Boistissandeau, c’est sans tergiverser qu’elle propose à Marie-Madeleine de déménager en Vendée.
Dans cette structure unique en son genre, ouverte en 2007, chacun·e dispose d’une chambre individuelle et des espaces communs. Anne, 84 ans, et son fils Arnaud, 50 ans, resté lourdement handicapé après l’opération d’une tumeur cérébrale à 4 ans, y habitent aux côtés de Pascal, 63 ans, et de sa maman Odette, 103 ans. Après avoir retrouvé la joie de vivre et passé du bon temps auprès des autres résident·e·s, cette truculente centenaire, bien que « peinée de laisser son enfant », décède en paix grâce à ce contexte rassurant. « Je suis soulagée de le savoir bien encadré », témoigne-t-elle peu avant de s’endormir.
Comme d’autres binômes, mère et fils avaient rejoint le Boistissandeau pour casser la solitude pesante de longues journées, passées sans croiser âme qui vive : « c’était plus possible pour nous de rester où on était », rapporte Pascal. Il précise : « Un jour, on voulait ouvrir le gaz. On voulait mettre fin à nos jours, ma mère et moi. Car y’a pas pire que la solitude ». Pour les parents, savoir leur enfant entre de bonnes mains et avoir pu l’accompagner à se sentir bien dans un lieu où il·elle poursuivra seul·e son chemin représente un soulagement qui vaut le sacrifice de l’indépendance. « J’ai eu beaucoup d’énergie et j’en ai encore, témoigne pudiquement Anne. Mais je ne me vois pas séparée de mon fils, même si cela suppose de vivre en collectivité, avec beaucoup d’autres personnes handicapées ».
Je ne me vois pas séparée de mon fils, même si cela suppose de vivre en collectivité, avec beaucoup d’autres personnes handicapées.
Avec sensibilité et finesse, le réalisateur montre le soulagement de parents ayant consacré leur vie à s’occuper de leur enfant. Il sublime les contacts humains retrouvés, l’esprit autorisé à se décharger petit à petit d’une responsabilité assumée si longtemps seul·e. Porté·e par des images cadrées à juste distance, on ressent le chagrin, l’angoisse, l’isolement mais aussi l’espoir, la joie d’être ensemble, ainsi que l’immense bienveillance des professionnel·le·s de la structure. Et l'on perçoit l’amour infini de ces duos singuliers : « On est tous les deux, on va s’en sortir », promet Michèle, 78 ans, à sa fille Armelle, 56 ans, rejetée par le reste de sa famille en raison de son handicap mental et effrayée à l’idée de perdre sa mère.
Au-delà d’être si touchant, Mon enfant après moi questionne. Ce documentaire ouvre des perspectives et des réflexions à entreprendre quant aux formes d’habitat offertes aux personnes en situation de handicap accompagnées durant toute leur vie par leur(s) parent(s). Pour permettre aux un·e·s et aux autres de vivre ensemble jusqu’au bout, et aux aîné·e·s de partir l’esprit serein.
(Céline Rochat)
Dix-sept documentaires sur les mutations de la société
Pour la quatrième année, Arte prend le temps de se pencher sur des histoires singulières à la portée universelle qui racontent les mutations profondes en jeu dans nos sociétés modernes. Dans un monde où tout s’accélère, où du chaos de l’actualité découlent des images tournées hâtivement, la collection documentaire La vie en face s’intéresse à des enjeux intimes, en prenant le temps. Le temps d’être au plus près d’hommes et de femmes, de leur donner la parole là où rarement on la leur laisse, de les laisser vivre devant la caméra.
Cette collection accessible en rediffusion raconte sans fard ces existences, une poignée de vies face à de grands défis contemporains, qu’il s’agisse de sexualité ou de son absence, de la souffrance des mondes paysan et maritime, des aidant·e·s et des emplois précaires et sous-payés, de la violence ou de ses repentis, du désir d’enfant en passant par la complexité de se construire entre deux cultures ou de trouver des solutions pérennes pour son enfant handicapé.
(Arte.tv)
Éditée par l’Hospice général, l’édition 2022 du guide destiné aux personnes au budget serré ou à celles adeptes du « seconde main » vient de paraître.
C’est une entière mise à jour que l'Hospice général vient d’opérer sur sa brochure « Adresses futées pour budget serré ». Ce guide pratique regroupe toute une série de bons plans et adresses pour manger, s'habiller ou se divertir à moindre frais à Genève.
Éditée cette année sous forme de dépliant, cette version plus pratique se destine aussi bien aux personnes en difficulté qu’aux « consom’acteurs » et « consom’actrices » qui cherchent à lutter contre le gaspillage. Ce document est également disponible en format pdf.
(Source : Hospice général)