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L’addiction sexuelle est rare, mais elle se révèle déstructurante pour celui qui en est atteint. Cette thématique a été débattue en septembre passé à Genève par le Forum addictions, qui réunit plusieurs fois par an des professionnels du social et de la santé, sous l’égide de l’association Première ligne (réduction des risques), d’ARGOS (toxicomanie), des Hôpitaux universitaires et de l’Hospice général. Les actes de cette rencontre viennent d’être publiés.
Il apparaît que la définition de l’addiction au sexe est des plus floues. Il n’existe pas de critères spécifiques pour la délimiter. « Le déroulement du forum ne s’est toutefois pas révélé moins complexe que sa préparation », écrivent ses organisateurs. En effet, il n’est pas facile d’évoquer – même pour des thérapeutes et des travailleurs sociaux – la sexualité en tant que telle, sans réserves personnelles ou allusions plus ou moins ludiques.
Se droguer pour oublier son corps
Gaëlle Martinez, collaboratrice socio-sanitaire à Première ligne a fait apparaître que le recours aux drogues diverses par les prostituées est avant tout un moyen de conjurer leurs angoisses et de favoriser leur désinhibition. La consommation de drogue fonctionne comme un « outil de travail » qui leur permet de dissocier la tête et le corps. « Les femmes vont consommer de l’alcool pour pouvoir travailler, de la cocaïne avec le client et ensuite elles vont prendre des médicaments (somnifères, antidépresseurs) pour pouvoir se reposer ou supporter cette situation ». Pour ces femmes, parler de consommation de drogues est difficile. « Elles ne veulent pas être associées aux femmes toxicomanes et vivent déjà difficilement le fait de pratiquer la prostitution ». Par ailleurs, il existe des « échanges de services sexuels » entre prostituées et dealers. Enfin, une rivalité oppose les consommatrices de drogues qui se prostituent aux prostituées qui consomment des psychotropes.
L’abus sexuel et l’abus d’abstinence
Le psychiatre Georges Abraham a mis en évidence le fait que les comportements addictifs en matière de sexualité ne sont souvent que des réponses à divers besoins. Considérant les abus de comportements sexuels, il souligne que l’abstinence peut être tout aussi tyrannique que l’addiction ! Quant aux sources de cette addiction, elles peuvent être diverses. L’angoisse de la perte d’appétit sexuel constitue par exemple une angoisse pouvant aller jusqu’à la perte du goût de vivre.
L’impact des maltraitances
Pour le docteur Bron, chef de clinique a la consultation interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence aux HUG, la maltraitance et l’abus de drogues sont liés. Par ailleurs, il est également apparu que la consommation de drogues rend les auteurs de maltraitances aussi vulnérables que leurs victimes.
Stéphane Herzog / Source : Sexualité et addictions : zoom sur un sujet tabou, 18ème Forum des addictions, Genève.
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Policier de quartier, romancier, formateur spécialisé en éthique, Yves-Patrick Delachaux est un flic atypique avec une vision sociale de son travail. Aujourd’hui, il démissionne de la gendarmerie genevoise et s’en explique.
Vous quittez la police genevoise après seize ans d’exercice, pourquoi ?
Si je restais en poste dans les conditions actuelles, j’aurais au sens strict du terme l’impression de "démissionner", c’est-à-dire de ne plus pouvoir remplir la mission que l’on m’avait initialement confiée. Depuis deux ans, j’observe la nouvelle direction de la Police et je constate que les policiers souffrent de l’absence d’un certain nombre d’outils en matière d’immigration, d’accueil, d’intégration des étrangers. Ils ne sont ni formés, ni encadrés pour intervenir efficacement dans un contexte social et sécuritaire de plus en plus complexe. Actuellement la police genevoise est surtout utilisée comme une police d’intervention à qui l’on demande de réagir à chaud à des situations d’urgence. A mon avis, elle n’est pas en mesure d’anticiper, de réparer, d’innover, d’inventer.
Pour que la Police genevoise commence à travailler autrement, il faudrait que les institutions d’État s’engagent avec courage dans une réforme du management qui n’a, à mon avis, été réalisée pour l’instant que dans l’Administration fiscale. J’ai interpellé ma direction à plusieurs reprises dans mes textes et expertises, notamment dans Présumé non coupable. Mais aucun responsable n’a souhaité entrer en matière. Pire : les rares processus de formation sur la migration et la discrimination dans un contexte policier, dont j’avais la charge, ont été abandonnés. D’où ma décision de démissionner.
Entre police d’intervention (de répression) et police de résolution des conflits (de proximité), le débat est récurrent. Quel est votre point de vue sur la mission de la police ?
Je suis inquiet du développement sécuritaire de la police, inquiet de la mise en place de groupes de sécurité, comme les BAC en France, qui ont pour missions de faire augmenter le nombre des interpellations pour justifier un accroissement des moyens sécuritaires. A Genève, comme en France, il a été question de l’utilisation par la police de drones, ces avions sans pilote conçus pour l’espionnage sur les champs de batailles. Comment pouvons-nous imaginer régler des conflits sociaux à l’aide de ce type de matériel ?
A Genève, l’idée d’installer une police de proximité est présente depuis quatorze ans. Aujourd’hui, nous avons en tout et pour tout une trentaine d’îlotiers. Ceux-ci font un travail fantastique, grâce à des personnalités hors du commun, mais leurs objectifs ne sont pas clairement précisés. Ils n’ont suivi aucune formation adéquate et on ne leur propose aucune vision d’avenir. Il serait temps d’engager une véritable politique en matière de police de proximité.
Depuis dix ans vous proposez des formations à l’éthique, à la lutte contre la discrimination raciale au sein de la gendarmerie genevoise … qu’est ce qui a concrètement changé dans les pratiques ?
Certains corps de police, comme la police municipale de Lausanne, ou encore de Neuchâtel et Fribourg se sont intéressés aux pratiques policières de lutte contre les discriminations. Ils ont travaillé à la refonte de leurs programmes de formations, élaboré des chartes et mis en place de nouvelles formes de management. J’ai aussi, à plusieurs reprises, collaboré avec des corps de police en Belgique et en France. Nous avons réfléchi à des formations donnant aux policiers des outils pour améliorer leur pratique quotidienne, notamment en matière de résolution de conflits. Je constate donc que ma direction m’envoie auprès d’autres polices, suisses ou européennes, et auprès de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (octobre 2007) pour présenter des pratiques et réflexions… que nous n’appliquons pas à Genève. Pourquoi ?
Comment voyez-vous les relations entre les policiers et les travailleurs sociaux ?
Il n’est plus possible d’envisager le travail policier sans une certaine pluridisciplinarité et des échanges avec les professionnels dont les pratiques visent aussi à la régulation sociale et l’amélioration du vivre ensemble.
Il y a aujourd’hui de meilleures relations entre les travailleurs sociaux et les policiers, mais je constate qu’il s’agit surtout d’efforts individuels, pas encore de véritables processus pluridisciplinaires qui engagent les directions. Je constate avec regret que si les policiers et les travailleurs sociaux se trouvent régulièrement côte à côte dans la rue, ils ne sont jamais réunis en formation. Là encore, ce serait à nos directions d’être novatrices, inventives, audacieuses.
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