Habitat protégé : un eldorado pour les aînés ?
Les locataires de structures protégées sont très satisfaits de leur nouvel habitat. Mais ils pointent l’importance d’une intégration dans la vie de quartier et un manque de dialogue entre exploitants et futurs habitants.
Par Camille Sigg, chargée de projet à l’Association Avril, étudiante de master en Sciences sociales à l’Université de Lausanne
Qui aujourd’hui n’a pas entendu parler du logement protégé pour personnes âgées ? Ces structures à mi-chemin entre le domicile et l’établissement médico-social (EMS) rencontrent actuellement en Suisse romande un incroyable engouement. Alliant avantages du domicile et accessibilité aux services de proximité, ce type d’habitat promet un prolongement de la vie chez soi et, de facto, le retardement de l’entrée en EMS. On voit alors fleurir des logements protégés de-ci de-là, à la suite d’initiatives du secteur privé, de communes ou de fondations actives dans le domaine médico-social.
Afin de faire le point sur la satisfaction des principaux intéressés – à savoir les locataires – l’Association Avril [1], sur mandat de l’Etat de Vaud, a mené l’enquête [2] durant l’hiver 2011-2012 auprès des habitant·e·s de neuf logements protégés situés dans le canton.
Habitat protégé ou adapté : quelle différence ?
Avant d’entrer dans les résultats de l’étude, précisons quelques différences entre l’habitat protégé et l’habitat adapté. Tous deux présentent une architecture accessible pour les personnes fragilisées ou en situation de handicap. Toutefois, le logement protégé se différencie du logement adapté dans le sens où il propose des prestations socio-hôtelières et un encadrement sécurisant : repas dans un lieu commun, visite quotidienne à domicile, aide et soins à domicile, entre autres. Ces prestations peuvent être optionnelles ou obligatoires selon les lieux ou les besoins des locataires [3].
Non soumises à une planification cantonale, ces structures dépendent pour l’heure principalement de constructeurs et d’exploitants du domaine privé. Ainsi, leurs infrastructures et leur fonctionnement varient passablement d’un site à l’autre. L’Etat de Vaud a toutefois mis sur pied une convention de remboursement par les régimes sociaux de prestations fournies dans les logements protégés pour les personnes au bénéfice des prestations complémentaires (PC) à l’AVS/AI. Cette convention implique que la structure comporte des appartements avec un loyer équivalent aux normes des prestations complémentaires et les locataires peuvent ainsi obtenir un soutien financier pour des services tels que l’encadrement sécurisant et l’animation socio-culturelle [4].
93% de locataires satisfaits
L’enquête par questionnaire menée par l’Association Avril a sondé la satisfaction de 174 locataires habitant dans 9 sites de logements protégés conventionnés vaudois. Les résultats indiquent que, dans l’ensemble, les habitant·e·s sont tout-à-fait satisfaits de leur lieu de vie : 93% le considèrent comme « excellent » ou « bon » et 90% le recommanderaient à leurs connaissances. Les personnes interrogées sont globalement satisfaites des infrastructures intérieures et extérieures des habitations, et rapportent peu d’obstacles architecturaux. Elles déclarent également entretenir de bons contacts avec leur voisinage et les intervenant·e·s leur apportant une aide ponctuelle. Enfin, les tarifs du loyer et des prestations sont jugés corrects par la majorité des répondant·e·s, malgré une augmentation du budget dédié au logement pour une grande proportion d’entre eux.
L’importance de l’emplacement
Au vu des résultats de l’enquête, un constat s’impose : le choix de l’emplacement de l’habitat protégé concilie difficilement un cadre paisible et arborisé (très apprécié des locataires) avec une proximité aux facilités et services (nécessaires à une vie quotidienne « autonome »). Bien que cet aspect ne soit pas une mince affaire de nos jours, surtout dans l’arc lémanique, la localisation du logement est à nos yeux essentielle. Elle devrait faire l’objet de réflexions approfondies, au même titre que l’adaptation architecturale, par exemple.
Cette réflexion devrait tenir compte du fait que peu de locataires disposent d’une voiture (20%) et que beaucoup rencontrent des difficultés de mobilité (50% utilisent des moyens auxiliaires). Dès lors, si le logement est éloigné des commodités, les locataires dépendent de la disponibilité de leurs proches, de l’organisation de sorties par la structure dans laquelle ils habitent ou de l’accès aux transports publics. Nous avons d’ailleurs constaté qu’une des raisons d’intégrer un logement protégé est justement l’absence de « réseau informel » pour obtenir de l’aide ou une volonté de ne pas solliciter ce réseau. L’accès aux transports publics, et l’organisation de transports le cas échéant, s’avèrent alors primordiaux dans ce type de logement.
Etre autonome, mais pas isolé
Pour une majorité des personnes interrogées, le déménagement dans un logement protégé s’accompagne du désir d’une vie plus solidaire et de la recherche d’un lieu ouvert aux échanges. Ainsi, en lien avec l’emplacement du logement, elles nous ont communiqué leur plaisir ou leur envie d’être situées dans un lieu également habité par d’autres générations. Des familles apportent « de la vie » au quartier et dynamisent l’ambiance dans les alentours de l’immeuble. Dans cette optique, des structures participantes à l’étude ont aménagé des lieux d’accueil de la petite enfance au rez-de-chaussée de l’immeuble ; d’autres ont prévu un certain nombre d’appartements destinés à des familles.
A souligner aussi que les locataires interrogés apprécient la proximité d’un centre-ville ou d’un village. Elle leur offre des opportunités de participation à la vie culturelle et sociale, l’accès aux magasins ainsi que la possibilité de se retrouver autour d’un repas au restaurant et de croiser d’autres habitants du quartier.
« L’architecte n’avait pas de grand-mère »
Nous souhaitons aussi relever que, au-delà de son accessibilité aux personnes rencontrant des difficultés de mobilité, la conception architecturale des infrastructures peut faciliter la création de liens sociaux entre les locataires. En menant une réflexion globale sur l’emplacement et l’aménagement des espaces (lieux communs, entrées, lieux de passage et balcons), la création de liens sociaux entre les habitants des logements protégés et avec les habitants du quartier peut être favorisée.
Ainsi, il nous apparaît fondamental que chaque projet soit réfléchi de manière interdisciplinaire, entre des professionnel·le·s issus de la construction et du domaine médico-social, ces derniers étant sensibilisés aux attentes et aux besoins de la population vieillissante.
Des locataires nous ont aussi fait part de leur motivation à participer à l’élaboration des projets. Ils souhaiteraient être considérés comme des ressources à part entière dans les réflexions, et non seulement comme des bénéficiaires passifs.
Des opportunités et des limites
Finalement, nous constatons suite à cette étude qu’il y aurait un travail à faire sur les représentations collectives liées au logement protégé. Ce concept offre en effet une « sécurisation » à domicile, il participe à prévenir certains risques pour la santé et l’isolement social des personnes qui y habitent. Cependant, il n’est pas en mesure d’offrir toute la sécurité dont certaines personnes souhaiteraient pouvoir bénéficier, comme une présence 24 heures sur 24 par exemple. Outre les prestations d’aide et de soins habituellement délivrés à domicile (par les centres médico-sociaux ou d’autres organisations du même type), l’accompagnement est généralement assuré par des professionnel·e·s du domaine social, afin de maintenir l’autonomie des locataires.
Dès lors, une importance particulière devrait être placée dans la communication à la future clientèle. Pour quelles raisons précises les personnes souhaitent-elles intégrer un logement protégé ? Quelles sont leurs motivations et leurs attentes ? Et, en face, que peuvent offrir les structures de logements protégés et quelles sont leurs limites ? L’instauration d’un dialogue ainsi qu’une transparence entre locataires et exploitants nous apparaît capitale, surtout dans le cadre d’une structure qui promeut des valeurs participatives et communautaires.
[1] Site internet de l’Association Avril
[2] Enquête réalisée par l’auteure de cet article. Télécharger le rapport, 20 pages pdf.
[3] Voir enquête op. cit.
[4] Plus d’informations dans la brochure sur le logement protégé et adapté éditée par l’Etat Vaud, 24 pages pdf illustrées, à télécharger sur cette page du site de l’administration cantonale vaudoise. Ou téléchargement direct. La photo-vignette de sommaire est tirée de cette brochure, © Catherine Leutenegger