2012-2015 : les enjeux sociaux en Suisse
Ces quatre prochaines années, les débats seront vifs sur toutes les composantes du système social suisse : l’AVS, le deuxième pilier, la maladie, le chômage, l’invalidité et la pauvreté. Etat des lieux et des enjeux.
Par Stéphane Rossini, professeur à la Haute Ecole de travail social et de la santé –Vaud et à l’Université de Genève [1]
Si les récentes élections fédérales ont été thématiquement dominées par les questions économiques et énergétiques, les problématiques sociales restent de toute évidence un souci majeur de la population. Elles retrouveront ces prochains mois une place prépondérante dans l’agenda des Chambres fédérales. Entre évolutions des besoins sociaux et contraintes financières, entre réformes et maintien des acquis, le chemin sinueux de l’équilibre et du progrès ne sera guère aisé à baliser. Les tenants de l’équation « réformes = mesures d’économies » restent majoritaires au Parlement fédéral dès lors que l’on évoque les politiques de solidarité. Pourtant, une autre vision devrait donner au débat une dynamique plus constructive et innovante : celle qui postule que pour éviter une pression unilatérale sur les prestations, il importera d’oser entreprendre des processus de rationalisation et de modernisation de notre système social, dans le but de répondre à la fois à l’exigence d’une allocation optimale des ressources et à un accroissement de la qualité des prestations.
En matière de protection sociale, plusieurs dossiers d’importance seront à l’ordre du jour de la prochaine législature 2011-2015. Tour d’horizon.
Assurance vieillesse (AVS). Après le double échec de la 11e révision, devant le peuple (2004) et le Parlement (2010), le Département fédéral de l’Intérieur a annoncé un message sur la 12e révision pour fin 2012. En marge de ce processus, la majorité bourgeoise de la Commission du National a décidé, par voie d’initiative parlementaire, d’élever l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Les associations patronales avaient évoqué quant à elles un âge de la retraite à 66 ans. Désormais, l’idée d’Avenir Suisse de fixer un âge de la retraite dépendant de l’espérance de vie des différentes classes d’âge fait aussi des émules. La flexibilisation de l’âge de la retraite sera incontestablement au centre des revendications et discussions. Tout comme la question du niveau des rentes AVS, qui ne peut être dissociée des objectifs assignés au système des Trois piliers dans la Constitution fédérale. En effet, au moment où les marchés péjorent la situation de la LPP, la situation de l’AVS mérite une attention particulière.
Prévoyance professionnelle (LPP). Pour la troisième fois en dix ans, les marchés exacerbent les risques inhérents au principe de capitalisation et démontrent la fragilité du système. Des dizaines de milliards ont été perdus en quelques mois. On ne peut décemment banaliser une telle situation. Le racourcissement des cycles économiques et le niveau très bas des taux interfèrent dans la nécessité de stabilité du système et l’exigence de rendements du 2e pilier. En conséquence, le Conseil fédéral a baissé le taux minimum pour 2012 à 1.5% (pour mémoire, 4% de 1985 à 2002), ce qui diminuera les rentes. Il faut s’attendre à ce qu’il propose au Parlement, début 2012, de poursuivre l’abaissement du taux de conversion, au-delà du niveau de 6.8% qui sera atteint en 2014. Si, théoriquement, cette baisse est « neutre », elle frappera plus particulièrement celles et ceux qui ont une espérance de vie plus courte, soit les catégories socio-professionnelles inférieures, composées des personnes aux métiers pénibles et des bas revenus. Une telle situation, qui se répète à cycles rapprochés, impose de repenser le lien entre LPP et AVS pour respecter les objectifs constitutionnels, à savoir couvrir les besoins vitaux avec le 1er pilier et assurer le niveau de vie antérieur avec l’addition du 2e pilier. Cette injonction constitutionnelle est socialement fondamentale, car on ne peut décemment réinventer la pauvreté au sein de la population des rentiers de ce pays.
Santé et assurance maladie (LAMal). Les enjeux d’actualité en matière de politique de santé seront nombreux. Lois sur les épidémies, la prévention, les produits thérapeutiques ou l’assurance maladie ; initiatives populaires sur le tabagisme passif, la médecine de famille ou la caisse publique d’assurance maladie ; référendum sur le Managed Care ou introduction des DRG (forfait par cas) et du nouveau financement hospitalier traduisent la pluralité des champs d’action et l’ampleur des discussions. L’accès aux soins, la solidarité et les inégalités des financements, le niveau de l’offre et la qualité des prestations, mais encore la problématique des conflits d’intérêts annoncent des débats engagés et sous haute tension. Et puis, la discussion systémique et institutionnelle ne pourra plus être exclue du débat politique. Fédéralisme, harmonisation des législations d’assurances sociales sont désormais des enjeux fondamentaux pour garantir une allocation optimale des ressources publiques et collectives.
Assurance invalidité (AI). Alors que les comptes s’équilibrent suite aux 5e et 6e (6a) révisions qui déploient leurs effets, le processus d’assainissement financier se poursuit à un rythme soutenu, imposé par la majorité du Parlement. Ainsi, la révision 6b, traitée au Conseil des Etats en décembre 2011, devrait au plus tard être présentée au plénum du Conseil national en juin 2012. Dans ce domaine, l’équation est claire : « réformes » = « économies ». Par ailleurs, dans une perspective de politique sociale, la dureté du propos relatif aux bénéficiaires de l’AI dérange. Portés par cet esprit né de la 5e révision, la pratique de certaines assurances privées (perte de gain maladie) est révélatrice des pressions sur les assurés. Concrètement, on observe que des employés malades, dont l’incapacité de travail n’est pas contestée par l’assureur perte de gain, se voient menacés de suspension des prestations s’ils ne s’annoncent pas à l’assurance invalidité. De nombreux courriers sont ainsi envoyés par les assureurs à des personnes subissant des traitements lourds pour des maladies graves dont le traitement requiert un minimum de repos (cancer). La pensée comptable stigmatise et humilie, sans état d’âme, sous le couvert de l’efficacité. C’est problématique au sein d’institutions sociales et il faudra que le Département de l’Intérieur sorte de son formalisme juridique pour éviter ce que l’on peut considérer comme des abus de pouvoir.
Assurance chômage (LACI). Conjoncturelle, cette assurance verra, en regard des perspectives économiques, le nombre des chômeurs et donc de bénéficiaires augmenter fortement ces prochains mois. Les restrictions d’accès au régime (durée de cotisation exigée) et les réductions des prestations opérées dans le cadre des deux dernières révisions se répercuteront sur les personnes concernées. Pour les personnes sans emploi, moins de prestations de substitution et moins de places de travail disponibles provoqueront indéniablement une forte augmentation du chômage de longue durée et, par voie de conséquence, un recours accru aux prestations cantonales de l’aide sociale. Dans cette perspective, il conviendra de reprendre les discussions sur les liens organiques entre les différents régimes sociaux (LACI – AI – Aide sociale) et revoir les actuelles mesures d’économies qui frappent notamment le domaine des mesures du marché du travail. En effet, de nombreuses associations qui les mettent en œuvre ont vu leurs ressources diminuer en raison des mesures d’économie appliquées dans la LACI, quand bien même le nombre des personnes à prendre en charge n’a pas diminué, ce qui s’avère paradoxal et aberrant du point de vue social. C’est donc une pression plus forte sur le personnel socio-éducatif et les conditions de travail qui en découle. Enfin, la problématique de la formation continue, aussi à l’agenda politique (projet de loi fédérale sur la formation continue en consultation), devra intégrer ces éléments dans une dynamique d’action préventive, en particulier pour les catégories socio-professionnelles inférieures.
Pauvreté. Sur le thème de la pauvreté enfin, le Conseil fédéral se contente actuellement d’observer, en acteur passif, la prise en charge de la pauvreté et de l’exclusion, conjuguée au nombre des politiques cantonales, sans vision d’ensemble ni objectifs d’actions et d’allocation de moyens. Or, il est urgent qu’en matière de perte de gain maladie, de prestations complémentaires pour familles, d’harmonisation de l’aide sociale ou des avances de pensions alimentaires, la Confédération prenne acte des évolutions de positionnement et d’appréciation des cantons et des villes. Les signaux d’ouverture en faveur d’une véritable concertation entre les niveaux institutionnels en faveur d’une modernisation des législations concernées (dont une loi-cadre fédérale d’aide sociale) sont de plus en plus clairs.
Tout cela avec en prime un changement à la tête du Département fédéral de l’Intérieur en charge de la sécurité sociale et de la santé, puisque le nouvel élu au Conseil fédéral, Alain Berset, assumera cette délicate mission de renforcer la cohésion sociale et de moderniser les institutions sanitaires et sociales de notre pays.
[1] Dans la Revue d’information sociale (REISO), Stéphane Rossini s’exprime en tant que professeur de politique sociale. Rappelons qu’il est par ailleurs conseiller national socialiste et président de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national.