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Manquer de nature, un souci de santé publique

Vendredi 29.09.2023

Introduit en 2005 par l’Américain Richard Louv, le « syndrome de manque de nature » se présente comme une notion encore à préciser, mais néanmoins d’importance pour la santé publique.

Introduit en 2005 par l’Américain Richard Louv, le « syndrome de manque de nature » se présente comme une notion encore à préciser, mais néanmoins d’importance pour la santé publique.

Réflexion par Jean Martin

Cute children playing and laughing on autumn walk. Happy brothers throwing autumn leaves outdoors. Autumn vacation. Fashionable kids in park. Kids fashion. Boys playing with leaves.© DepositphotosLe concept de « Syndrome de manque de nature » (Nature Deficit Disorder – NDD) a été introduit par l'auteur américain Richard Louv dans un livre de 2005, Last Child in the Woods. Il y discute le fait que les humains, et notamment les enfants, se trouvent de plus en plus confinés en milieu urbain, avec la promiscuité et les pollutions que cela implique, passent de moins en moins de temps en plein air, et se voient ainsi susceptibles de développer divers troubles. Louv a publié par la suite d’autres ouvrages, dont Vitamin N (N pour Nature). 

Une telle entité n'a pas encore droit de cité dans les traités médicaux, mais n'est-elle pas bien plausible et pertinente, empiriquement ? Ne constitue-t-elle pas un enjeu grandissant de santé publique, avec des effets sur la santé aussi bien psychique que physique ? On peut attribuer à une aliénation de la nature (Louv) un moindre usage de nos capacités sensorielles, des difficultés d’attention, et une contribution à des pathologies comme l'obésité — au « syndrome de manque de nature » est bien sûr liée une « épidémie » d'inactivité physique. La surprotection des enfants par leurs parents dans les occupations quotidiennes est évoquée comme facteur favorisant, comme aussi l’artificialisation des locaux et places de jeu.

De leur côté, Nowak et Van den Bosch, dans un article publié en 2019 dans la revue Santé Publique [1], se penchent sur la question des services écosystémiques fournis par la nature, les arbres particulièrement, via leurs « effets modérateurs sur le climat, la réduction du CO2, l’amélioration de la qualité de l’air, la protection contre les rayons ultraviolets et l’érosion du sol, la baisse du niveau sonore ». Sans compter les opportunités de loisirs et les bienfaits liés à la beauté du milieu naturel et son observation. « Nature Deficit Disorder is really a thing », reprend le journaliste M. McKivigan dans un article publié dans le New York Times du 23 juin 2020 [2] — en relevant à l'époque que le problème était accentué par la pandémie covid.

Dans le passé récent, le Shinrin-yoku, la thérapie japonaise des bains de forêt, a retenu l'attention de manière croissante, dans la grande presse comme aussi dans des revues spécialisées. Santé publique et la Revue forestière française ont publié en 2019 un numéro spécial sur le sujet, avec une revue de la littérature — études asiatiques notamment [3]. Par ailleurs, le centre académique pour la médecine de famille et la médicine sociale et préventive Unisanté, à Lausanne, mène actuellement une étude sur les effets de la marche méditative en forêt sur la tension artérielle [4].

Connaître mille logos mais pas de feuilles d’arbres

L'ingénieur forestier suisse Ernst Zuercher, enseignant dans plusieurs Hautes écoles, dont les EPF de Zurich et de Lausanne, s'intéresse assidûment aux relations des végétaux, particulièrement les arbres, entre eux et avec le milieu ambiant, notamment dans Les arbres, entre visible et invisible (Actes Sud, 2016). Dans le fraîchement paru Le pouls de la Terre (Ed. de la Salamandre, Neuchâtel, 2023), il aborde aussi la question des co-bénéfices, thème majeur quant à la relation entre santé humaine et climat. « Cela amène la question du rôle que pourrait/devrait jouer l'humain dans la nature qui l'entoure et le traverse. Nous attendons d'elle de multiples bienfaits. A contrario, pourrait-on imaginer que la nature attende quelque chose de nous, dans un sens de coévolution qui veut qu'il y ait un équilibre entre le recevoir et le donner ? » (p. 72). Louv pense que le NDD a des impacts non seulement pour la santé des populations, mais aussi sur celle de la Terre elle-même.

Comme initiatives pratiques en rapport avec le NDD, on peut mentionner aux Etats-Unis le « Children & Nature Network » et la « No Child Left Inside Coalition ». En France, le FRENE (réseau d'éducation à la nature) a publié un document descriptif et pédagogique substantiel sur le syndrome de manque de nature [5].

Tout récemment Estelle Delamare, jeune médecin genevoise, cite le philosophe et naturaliste Baptiste Morizot qui parle d'une crise de la sensibilité au vivant, un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre et tisser comme relations à l'égard du vivant. Cette crise se manifeste par une « extinction de l’expérience de la nature » : alors qu'un enfant nord-américain sait reconnaître mille logos de marques, il n'est pas en mesure de différencier dix feuilles d'arbres de sa région [6].

« Moi-même j’ai réalisé il y a peu, écrit-elle, que je n’avais jamais prêté attention aux chants d'oiseaux alors même que j’ai grandi à la campagne. Je viens de vivre mon premier printemps à les écouter et je ne saurais mettre des mots sur le vide duquel j'ai l'impression d'être sortie après vingt-quatre ans de sourde indifférence. » Ces effets positifs sont confirmés par des travaux scientifiques [7].

Références

  • Louv, R. Last Child in the Woods ; Saving Our Children from Nature-Deficit Disorder. Algonquin Books, 2005, 304 pages
  • Louv, R. Vitamin N. Algonquin Books, 2016, 336 pages
  • Zuercher, E. Les arbres, entre visible et invisible. Actes Sud, 2016
  • Zuercher, E. Le pouls de la Terre Ed. de la Salamandre, Neuchâtel, 2023

[1] D. J. Nowak et M. Van den Bosch, « Les effets des arbres et de la forêt sur la qualité de l’air et la santé humaine dans et autour des zones urbaines: », Santé Publique, vol. S1, no HS1,‎ 13 mai 2019, p. 153–161 (DOI 10.3917/spub.190.0153, consulté le 15 juin 2023).

[2] https://www.nytimes.com/2020/06/23/parenting/nature-health-benefits-coronavirus-outdoors.html

[3] Li, Q. (2019). Effets des forêts et des bains de forêt (shinrin-yoku) sur la santé humaine [archive]: une revue de la littérature. Sante Publique, 1(HS), 135-143.

[4] https://www.reiso.org/actualites/fil-de-l-actu/9078-impact-des-bains-de-foret-participant-e-s-recherche-e-s

[5] FRENE, le réseau français d’éducation à la nature et à l’environnement. https://frene.org/wp-content/uploads/2021/07/Syndrome-manque-nature-FRENE.pdf. Voir aussi  https://sante-enfants-environnement.com/sante-des-enfants-comment-la-proteger-du-syndrome-du-manque-de-nature-14/

[6] Delamare E. Ecouter pour mieux soigner. Revue médicale suisse, 5 juillet 2023. 1349.

[7] Stobbe E. et al. Birdsongs alleviate anxiety and paranoia in healthy participants. Sci. Rep. 2022 (Oct.); 12(1):16414.

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