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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Parmi les éclairages variés et de styles différents de ce livre, je choisis, subjectivement, quelques extraits des auteurs théologiens. Ainsi, Claude Schwab, le pasteur, titre « Nous me suicidons », pensant à la problématique de la personne dans la société. « Toute réflexion sur le suicide assisté ne peut échapper aux questions fondamentales : l’être humain, entité autonome ou partie d’un tout ? Entre l’affirmation claironnée d’une autonomie sans bornes et le dogme d’un droit imposé par la société, il y a un chemin à trouver ; [notamment] en actualisant le personnalisme, inspiré par Kant et Péguy. A l’individu, il oppose la personne, qui se sait reliée à une communauté (…) L’être humain est relationnel ou il n’est pas. »
Faisant référence à certaines assistances à la survie : « Quand on met fin à une vie, est-ce à cette vie individuelle ou à la prothèse de cette vie ? On a renoncé à l’absurdité de l’acharnement thérapeutique mais il restera toujours des situations-limites où la question se pose dans la douleur et la perplexité ». Pratiquement, relevant les analogies entre plusieurs interrogations éthiques : « Sur l’avortement, les Eglises protestantes ont adopté une position d’équilibre entre la banalisation et l’interdiction. Elles ont plaidé pour une ‘décision responsable’, elles acceptent d’entrer sur le terrain du moindre mal, se méfiant des absolus et du piège des idéaux de perfection ». Plus loin : « Le débat est ouvert mais il y a un argument contre le suicide assisté qui est irrecevable : celui de la souffrance rédemptrice ».
Le prêtre Philippe Baud évoque une vraie difficulté : « Personne ne peut réellement traiter de la mort qu’il n’a pas connue ; de la souffrance, oui. » Il pose la question, à toujours garder à l’esprit, de possibles pressions sociétales : « Une société qui commerce le ‘jeunisme’ s’accommode mal de la maladie et du déclin. La rapide disparition des rites funéraires en témoigne. Dans un tel contexte, demander à s’en aller pour échapper à la dépendance est vite salué comme un acte de courage ; si l’on n’y prête garde, cela deviendrait bientôt un devoir moral (…) L’argumentaire pointera la perte des capacités psychiques et corporelles, l’humiliante dépendance et l’inutilité de la souffrance. Autant le dire que toutes les souffrances seraient stériles. [Pourtant] la sagesse populaire ne marche pas unanimement dans cette direction, celle des soignants non plus. La souffrance ne fait pas que détruire. » Le lecteur intéressé approfondira ce point sur lequel les deux personnalités sont en désaccord, ou semblent l’être.
Philippe Baud ajoute : « Mais il y a des souffrances qui sont telles que l’on ne peut plus rien désirer d’autre que de mourir : l’envie de ‘n’être plus’ existe (…) Au corps médical, au personnel accompagnant, revient la tâche délicate et difficile de faire tout le possible pour que ce désir intense d’un ‘ailleurs’ n’engloutisse pas le malade ». Et il précise : « Qui, dans nos maisons de long séjour, rappelle aux pensionnaires cette voie où puiser un peu de courage pour avancer jusqu’au bout de cette vie ? [Par exemple] l’aide-soignante marocaine qui se retourne et glisse brièvement, avec un sourire, ‘ Je prierai pour vous’ ».
« Mourir dans la dignité, c’est demander de renoncer à vouloir prolonger artificiellement une vie qui s’en va. [Quid de] la grossissante cohorte de ceux qui, les yeux encore grand ouverts mais de plus en plus hagards vont comme perdus dans le brouillard. Ils ont connu le sentiment accablant d’être à charge, et la perte d’estime de soi. Bientôt sans force, sans mots, ils trébuchent, errent, à la dérive ». Les défis liés aux états démentiels ne sauraient être abordés par le suicide assisté (la loi interdit de telles directives anticipées), mais ils sont présents à l’esprit de beaucoup.
A l’évidence, nous n’avons pas fini de parler de la légitimité – ou non, et dans quelle mesure – humaine, éthique, juridique, culturelle, médico-soignante, de l’assistance au suicide.
Cet ouvrage est signé par un collectif de sept personnes : Claude Schwab, théologien ; Jean Martin, ancien médecin cantonal ; Philippe Vuillemin, médecin généraliste ; Philippe Baud, théologien ; Christian Danthe, médecin généraliste ; Christine Maquin-Gleiyse, direction d’EMS ; Filip Uffer, Pro Senectute. Avec plusieurs témoignages de proches ayant été impliqués dans un suicide assisté : Geneviève Heller, Stéphane Lévy, Pascale Lévy-Dalain, Marie-Claude Stricker-Juillard, Sophie Mermod-Gilliéron.
Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Enseignant secondaire vaudois, Yves Delay offre un témoignage hors du commun, à la fois personnel, social et pédagogique. L’auteur évoque enfance, jeunesse, études, puis le début de sa carrière pédagogique. En 1974, professeur d’histoire de 30 ans, il publie un livre sur le rôle du Général Guisan en 1939-45. Dans son enseignement, il s’intéresse particulièrement au XXe siècle et sensibilise ses jeunes audiences aux origines et conséquences des deux Guerres mondiales, à la montée du nazisme en Allemagne, à la Shoah. Son récent ouvrage illustre comment il l’a fait de manière particulièrement pertinente et innovante - mettant mon chapeau de président de la section vaudoise de la Ligue internationale contre la racisme et l’antisémitisme, je souhaiterais que cette période sombre continue à être présentée de telle manière aux jeunes générations.
Yves Delay a été actif dans la démarche des médiateurs scolaires : une initiative qui a fait ses preuves depuis trente ans dans plusieurs cantons, par la formation d’enseignants qui, pour une part modeste de leur temps de travail, sont en première ligne à disposition d’élèves en difficultés (problèmes personnels et familiaux, abus, usage de drogues, soucis à l’école). Une histoire d’amour fourmille d’exemples tirés de l’instructive expérience de l’auteur ; ce qui m’a particulièrement intéressé dans la mesure où, comme médecin cantonal, j’ai été partie prenante à l’époque du programme de médiation et au contact de problèmes de nature médico-sociale dans les établissements scolaires.
Témoignage d’une personnalité hors du commun. Yves Delay est réellement atypique. Entretenant des rapports cordiaux et étroits, y compris par une nombreuse correspondance, avec ses élèves. Il a gardé le contact avec leurs intérêts, notamment en ce qui concerne leur musique - devient un bon connaisseur des scènes rock et rap, depuis Woodstock et par la suite. Il ne craint pas de réveiller par des pitreries ceux qui sommeillent ou s’ennuient en classe. En résumé, un parcours de vie substantiel, plein d’humour, bien écrit, que j’ai lu avec grand plaisir et avec émotion parfois.
Ce livre intéressera et distraira celles et ceux que préoccupe la formation, le bien-être - et les mal-être - des jeunes d’aujourd’hui, et la manière d’interagir empathiquement et constructivement avec eux. Ainsi, Une histoire d’amour retiendra l’attention des enseignants, parents, responsables scolaires et civiques, mais aussi celle des travailleurs sociaux comme des médecins et autres professionnels. Non pas parce que le contenu serait révolutionnaire mais comme illustration d’une action innovante et à l’écoute de la jeunesse.
Devant 150 étudiants en médecine, le conseiller d’Etat socialiste Pierre-Yves Maillard a plaidé pour un contrôle démocratique des prestations de soin.
L’offre et la demande
En forme de préambule, le conseiller d’Etat explique pour quelles raisons la loi de l’offre et de la demande ne suffit pas à réguler le marché sanitaire.
1. Parce que, historiquement, la Suisse a déjà essayé de se fier à cette seule loi du marché il y a un peu plus d’un siècle. Les résultats ont été particulièrement mauvais.
2. Parce que le marché de la santé est paradoxal. La preuve : quand il augmente, c’est l’indignation nationale alors que les applaudissements crépitent lorsque le marché automobile augmente. Il faut donc en déduire que les soins ne sont pas assimilables aux autres biens de consommation.
3. Parce que les prestations de soin sont un besoin existentiel de l’être humain. Ce que la Ferrari n’est pas ! Ainsi, un patient non-solvable a le droit de recevoir des soins qui seront payés par d’autres personnes. Corollaire : il faut mutualiser la santé. Mais cette mutualisation est elle-même limitée et des assurances sociales publiques doivent la compléter.
Le troisième acteur
La régulation du marché de la santé étant considérée comme bel et bien nécessaire, encore faut-il savoir qui doit assumer cette régulation. Quel est l’acteur en charge de vérifier l’adéquation des prestations sanitaires ? Les assurances maladie ? Les patients ? Le personnel médical ? Pour le ministre vaudois de la santé, seul un acteur sur lequel est exercé un contrôle démocratique peut et doit jouer ce rôle. Et parmi les nombreux acteurs de la santé, le seul sur lequel est exercé ce contrôle, par les élections, c’est le politique.
Marylou Rey
Conférence en format mp3
Dans son dictionnaire « 83 mots pour penser l’intervention en travail social », Claude de Jonckheere donne l’envie et les moyens d’agir plus sereinement. Il convie ses lecteurs et lectrices à une éthique de l’action.
C’est effectivement dans l’action que nous emmène cet ouvrage qui s’adresse aux travailleurs sociaux en priorité mais qui sera découvert avec grand profit par les enseignants, les soignants et, en fait, par toute personne travaillant avec d’autres personnes.
Dans ce dictionnaire singulier, l’auteur se réfère à de nombreux philosophes pas toujours accessibles au grand public. Sous sa plume pourtant, les concepts, le percept et l’affect deviennent des notions familières ; l’identité, l’expérience ou l’existence retrouvent un sens précis ; la puissance, le pouvoir ou le jugement prennent des contours clairs. Claude de Jonckheere ironise aimablement sur la mode de la « pratique réflexive ». Et il se méfie de l’usage politique de certains termes : « efficacité », « contrat » ou « projet ». Mais surprise : éclairés sous de nouveaux angles, ces mots polysémiques perdent un peu de leur autoritarisme administratif et prennent des couleurs moins antipathiques.
D’autres mots du dictionnaire sont franchement sympathiques. Nos trois préférés : « Bégaiement », « Bricolage » et « Rhizome ».
- Bégaiement, extrait, page 69 : « Que seraient les savoirs d’un travailleur social sans cette compétence [de bégaiement], sans hésitation, sans doute. Des certitudes massives et grandiloquentes qui ne pourraient s’accorder avec l’incertitude des personnes vulnérables dont ils ont la charge, ou des certitudes universelles qui ne pourraient s’accorder avec la singularité des situations dans lesquelles ils ont quelque chose à faire. »
- Bricolage, extrait, page 74 : « Dans le travail social, bricoler un mode d’intervention représente une garantie pour les bénéficiaires contre les tentatives de capture de leur existence, des modes d’intervention “tout faits”, prêts à l’emploi et exigeant d’être appliqués tels quels. Cependant, le bricolage a mauvaise réputation et parfois, tout en bricolant, il est nécessaire de montrer que l’on applique rigoureusement une méthode. Les systèmes d’évaluation n’intègrent que difficilement le bricolage. »
- Rhizome, extraits, page 389 : « Le concept de “rhizome” attire l’attention vers la multiplicité des liens qui se tissent entre un individu et son environnement. (…) Le rhizome connecte des éléments apparemment disparates et multiples. Il ne contient ni sujet ni objet, mais “des déterminations, des grandeurs, des dimensions qui ne peuvent croître sans qu’elles changent de nature.” »
Ce dictionnaire de 83 mots est aussi singulier parce que tout y est mouvant, tout change, évolue, se transforme au fil des rencontres, des lieux, du temps. Et chaque lecteur va reconnaître ses doutes d’aujourd’hui, ses contradictions d’hier, ses paradoxes de demain. Le comble ? Claude de Jonckheere ne donne aucune solution. Son livre nous oblige tout simplement à essayer de construire posément et sensément les problèmes. Un livre de chevet dans lequel chaque lecteur peut puiser au hasard et, quelle que soit son humeur, trouver des ingrédients pour mieux penser sa présence au monde et aux humains et agir plus sereinement.
Marylou Rey
Tant au niveau européen qu’au niveau mondial, la pauvreté n’a cessé d’augmenter ou de se présenter sous de nouvelles formes, en particulier au cours des vingt dernières années. Pourtant, nous n’en sommes ni à la première déclaration d’intention, ni à la première année marquée par les bonnes résolutions. Petit parcours dans les deux dernières décennies.
Jean-Pierre Fragnière
Ecouter aussi : Babylone, RSR, Espace 2, 27 janvier 2010 : Bel avenir pour la pauvreté ? Avec :
Babylone en format mp3