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Recension / « 83 mots pour penser l’intervention en travail social », C. de Jonckheere

Dimanche 07.03.2010

83 mots pour penser l’intervention en travail social

Claude de Jonckheere, Editions ies, Collection « Le social dans la cité », Genève, janvier 2010, 503 pages.

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Dans son dictionnaire « 83 mots pour penser l’intervention en travail social », Claude de Jonckheere donne l’envie et les moyens d’agir plus sereinement. Il convie ses lecteurs et lectrices à une éthique de l’action.

C’est effectivement dans l’action que nous emmène cet ouvrage qui s’adresse aux travailleurs sociaux en priorité mais qui sera découvert avec grand profit par les enseignants, les soignants et, en fait, par toute personne travaillant avec d’autres personnes.

Dans ce dictionnaire singulier, l’auteur se réfère à de nombreux philosophes pas toujours accessibles au grand public. Sous sa plume pourtant, les concepts, le percept et l’affect deviennent des notions familières ; l’identité, l’expérience ou l’existence retrouvent un sens précis ; la puissance, le pouvoir ou le jugement prennent des contours clairs. Claude de Jonckheere ironise aimablement sur la mode de la « pratique réflexive ». Et il se méfie de l’usage politique de certains termes : « efficacité », « contrat » ou « projet ». Mais surprise : éclairés sous de nouveaux angles, ces mots polysémiques perdent un peu de leur autoritarisme administratif et prennent des couleurs moins antipathiques.

D’autres mots du dictionnaire sont franchement sympathiques. Nos trois préférés : « Bégaiement », « Bricolage » et « Rhizome ».

Bégaiement, extrait, page 69 : « Que seraient les savoirs d’un travailleur social sans cette compétence [de bégaiement], sans hésitation, sans doute. Des certitudes massives et grandiloquentes qui ne pourraient s’accorder avec l’incertitude des personnes vulnérables dont ils ont la charge, ou des certitudes universelles qui ne pourraient s’accorder avec la singularité des situations dans lesquelles ils ont quelque chose à faire. »

Bricolage, extrait, page 74 : « Dans le travail social, bricoler un mode d’intervention représente une garantie pour les bénéficiaires contre les tentatives de capture de leur existence, des modes d’intervention “tout faits”, prêts à l’emploi et exigeant d’être appliqués tels quels. Cependant, le bricolage a mauvaise réputation et parfois, tout en bricolant, il est nécessaire de montrer que l’on applique rigoureusement une méthode. Les systèmes d’évaluation n’intègrent que difficilement le bricolage. »

Rhizome, extraits, page 389 : « Le concept de “rhizome” attire l’attention vers la multiplicité des liens qui se tissent entre un individu et son environnement. (…) Le rhizome connecte des éléments apparemment disparates et multiples. Il ne contient ni sujet ni objet, mais “des déterminations, des grandeurs, des dimensions qui ne peuvent croître sans qu’elles changent de nature.” »

Ce dictionnaire de 83 mots est aussi singulier parce que tout y est mouvant, tout change, évolue, se transforme au fil des rencontres, des lieux, du temps. Et chaque lecteur va reconnaître ses doutes d’aujourd’hui, ses contradictions d’hier, ses paradoxes de demain. Le comble ? Claude de Jonckheere ne donne aucune solution. Son livre nous oblige tout simplement à essayer de construire posément et sensément les problèmes. Un livre de chevet dans lequel chaque lecteur peut puiser au hasard et, quelle que soit son humeur, trouver des ingrédients pour mieux penser sa présence au monde et aux humains et agir plus sereinement.

Marylou Rey