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Le CHUV a développé « Smaart », une application permettant de limiter la consommation d'alcool chez les jeunes utilisateurs·trices. Efficacité démontrée auprès de la communauté étudiante de l'UNIL, l'EPFL, l'EHL et l'HESAV.
Malgré que l’ingestion d’alcool demeure l’une des principales causes de morbidité et de mortalité chez les jeunes, une consommation à risque est fréquente chez les étudiant·e·s. En vue d’intervenir de façon précoce, le Service de médecine des addictions du Département de psychiatrie du CHUV innove en créant une application gratuite pour smartphones.
Nommée « Smaart », cette application a été développée avec la participation d’étudiant·e·s de l’Université de Lausanne, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, de l’Hospitality Business School (Lausanne) et de la Haute École de Santé Vaud. Disponible gratuitement sur les plateformes de téléchargement, elle évalue la consommation des utilisateurs·trices et leur signale si cette dernière présente des risques pour la santé.
L’efficacité de Smaart a été évaluée auprès de 1'770 étudiant·e·s volontaires de ces quatre écoles vaudoises. Deux mesures ont été étudiées chez ces participant·e·s : le volume total d’alcool consommé et le nombre de jours de consommation excessive, à savoir quatre verres ou plus dans la même journée pour les femmes et cinq verres ou plus pour les hommes.
Résultats : Smaart a permis de limiter la consommation d’alcool pendant les douze mois de l’étude (diminution du nombre de boissons alcoolisées consommées par semaine et diminution du nombre de jours de consommation excessive). Ces résultats viennent d’être publiés dans le prestigieux « British Medical Journal » (BMJ).
L’étude en question, menée par le Service de médecine des addictions et financée par le Fonds national suisse (FNS), est l’une des premières à montrer l’efficacité d’une application de prévention sélective pour la consommation d’alcool à risque.
En plus de fournir des informations sur l’alcool, Smaart permet d’initier une réflexion sur sa consommation en monitorant cette dernière et son évolution au fil du temps, en la comparant à celles de personnes du même âge en Suisse, en évaluant les risques pour sa santé et en se fixant des limites à ne pas dépasser.
« Ce qui est intéressant avec cet outil digital, c’est qu’il propose une auto-évaluation de sa prise de risque en dehors du cadre d’une consultation, relève le professeur Nicolas Bertholet, médecin adjoint au Service de médecine des addictions du CHUV et premier auteur de l’étude. Il permet de diffuser un message de prévention à un large groupe de jeunes adultes, dont des personnes qui n’auraient pas forcément envie de parler de leur consommation d’alcool à quelqu’un, que ce soit un proche ou un professionnel. »
(Source : communiqué de presse, CHUV)
Lire l’article complet par dans le « British Medical Journal »
Contributeur régulier de REISO avec des recensions d’ouvrages, l’ancien médecin cantonal vaudois Jean Martin a fait l’objet d’un film Plans-Fixes. Vernissage le 19 septembre à la Cinémathèque suisse à Lausanne.
Homme aux facettes multiples, Jean Martin est passé de « serviteur de l’État » à personnalité engagée dans la désobéissance civile. « Je crois que la situation actuelle montre que nous sommes à un tournant qui n’est pas comparable à ce que nous avons connu dans le passé. (...) Nécessité fait loi », explique-t-il ainsi dans les premières minutes du film « Plans-Fixes » qui lui est consacré. Cette réalisation sera dévoilée le mardi 19 septembre 2023 à la Cinémathèque suisse, au Casino de Montbenon [1], puis disponible en libre accès sur le site de l’Association [2].
Médecin cantonal vaudois de 1986 à 2003, après avoir été l'adjoint de son prédécesseur dès 1976, Jean Martin s'est engagé dans des dossiers clés durant sa carrière au service de la santé publique : port obligatoire de la ceinture de sécurité, abaissement de l’alcoolémie au volant à 0,5 pour mille, arrivée du sida, crise de la listériose, prise de position sur les politiques liées à la toxicomanie. Le professionnel de la santé a également soutenu le développement de la santé sexuelle et du planning familial, ainsi que l'évolution de la santé en milieu scolaire. En outre, il a siégé, sur nomination du Conseil fédéral, à la Commission nationale d'éthique pour la médecine humaine.
Auteur prolifique, l’ancien membre du Parti radical-démocratique et membre de l’Assemblée constituante vaudoise évoque, tout au long des 50 minutes du film en noir et blanc, les grands sujets de sa vie. Il se remémore ainsi son enfance, liée à la nature et aux saisons, passée au cœur du domaine vigneron familial, à Echandens. De ces jeunes années, il se souvient d’une éducation « marquée par une bonne tolérance » et fortement ancrée dans la culture religieuse. « Un milieu chaleureux, d’où je tire des valeurs fortes », précise-t-il.
Médecine, écologie, religion, politique,... Outre ces grands sujets marquants de son existence, Jean Martin se souvient aussi de ses études, se confie sur la rencontre avec sa future épouse, Laurence Monod, lorsqu’il était moniteur pour de jeunes Parisien·ne·s venu·e·s en camp de ski, et se rappelle ses missions professionnelles à l’étranger, comme ces deux années passées dans un hôpital péruvien, dans la forêt vierge amazonienne.
Désormais fortement engagé en faveur d’un tournant écologique, notamment à travers le mouvement des Grands-parents pour le climat, il revient sur le sujet en fin de film. « On voit bien que le système libéral est en bout de course, c’est une glissade vers le chaos », estime-t-il. « Il faut que le monde change, on ne s’en sortira pas si on ne réinjecte pas beaucoup plus, dans le fonctionnement de la société, une attention à l’autre, un intérêt pour l’autre et pour son bien-être. » Et de ne pas mâcher ses mots : « Une de mes souffrances, j’ose un grand mot, c’est de voir comment, depuis le début de ma carrière, les inégalités n’ont cessé de croître. » Lui qui pensait, à son arrivée au service de la santé publique, que les inégalités allaient être gommées rapidement a dû, avec peine, se rendre à l’évidence : « Notre système ne permet pas de les résoudre, à l’intérieur des pays et entre les pays. »
(Céline Rochat)
[1] « J’aime ce monde, il faut le changer », Plans-Fixes avec Jean Martin, Casino de Montbenon, Lausanne, mardi 19 septembre 2023, 18 h, en présence de Jean Martin. Entrée libre.
[2] Depuis 1977, l’Association Films Plans-Fixes part à la rencontre de personnalités suisses, qui sont interviewées dans des films tournés en cinq plans fixes et en noir et blanc, en un seul lieu et sans que le ou la journaliste ne soit visible. Voir le site de l’Association
Pour Rahma Bentirou Mathlouthi [1], face aux vulnérabilités climatiques, les instances politiques devraient reconnaître la fragilité des peuples et des écosystèmes. Le point en trois questions.
[2] », vous êtes également juriste de formation et vous occupez des questions de durabilité à la HETS Fribourg. Pourquoi vous êtes-vous intéressée au concept de vulnérabilité ?
(REISO) Rhama Bentirou, Mathlouthi, vous avez dirigé la publication de « Vulnérabilité(s) environnementale(s)(Rahma Bentirou Mathlouthi) Dans le cadre d’un travail de recherche effectué à l’Université de Barcelone entre 2020 et 2022 et soutenu par le Fonds nationale suisse, je me suis penchée sur la question de la vulnérabilité environnementale. Cette notion est récurrente dans les discours institutionnels et politiques, mais elle reste très floue. C’est un concept vague qui traverse plusieurs disciplines. La définition fournie dans cet ouvrage collectif est celle d’un état de fragilité de l’environnement face à des menaces d’origine anthropique, naturelle ou climatique et également celle de la fragilité humaine liée à l’environnement.
En réalité, il n’y a pas qu’une mais bien plusieurs vulnérabilités car elles prennent des formes très diverses. Par exemple, les atteintes à l’écosystème des récifs de Polynésie française. Ou encore les problèmes des peuples autochtones d’Amérique latine qui sont forcés de quitter leurs terres pour des raisons climatiques, en abandonnant ainsi leurs ressources et leurs savoirs. Il y a aussi le modèle d’agriculture familiale au Brésil qui est menacé par les effets du réchauffement. Les femmes ne trouvent plus d’eau près de leur exploitation et doivent se déplacer. Non seulement, elles risquent de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants, mais en s’éloignant elles sont parfois victimes de violences. Cet exemple, parmi d’autres, montre bien à quel point la notion de vulnérabilité est capable de mobiliser différents acteurs de la société civile et des instances politiques à une échelle nationale et internationale. Elle crée des synergies pluridisciplinaires et conceptuelles inévitables entre les sciences sociales, justice, droits humains, nature, société, économie. C’est pour cela qu’il faut une réponse globale à ces problématiques. Chercheur·euse·s, juristes, scientifiques, économistes doivent travailler de concert pour une meilleure appréhension du concept de vulnérabilité et de ses fonctions et ainsi trouver des solutions pour réduire les situations de fragilité environnementale et humaine.
Les vulnérabilités doivent-elles être davantage reconnues juridiquement ?
Sans aucun doute et les choses commencent à bouger, bien que très lentement. La meilleure illustration est la mise en œuvre progressive de la notion de « justice climatique » qui est abordée dans le préambule de l’Accord de Paris de 2015. Cette reconnaissance internationale et officielle devrait permettre de protéger les droits humains des personnes fragilisées par le réchauffement climatique. Désormais, elles doivent avoir accès aux informations concernant les projets susceptibles d’avoir un impact sur leur environnement, elles peuvent participer aux décisions qui concernent de tels projets et enfin elles ont accès à la justice pour réparer les torts qu’elles auraient subies.
Il y a d’ailleurs eu un exemple récent en Suisse de la mise en œuvre de la justice climatique. Des femmes de plus de 65 ans, regroupées au sein de l’association Ainées pour la protection du climat, ont accusé la Confédération d’être responsables de leurs problèmes de santé liés aux émissions de C02. Elles se sont identifiées comme un groupe vulnérable et demandent des comptes à la Suisse. En mars 2023, elles ont déposé une plainte en ce sens à la Cour européenne des droits de l’Homme. Il n’y a pas encore eu de décision définitive, mais les juges sont sensibles à leurs arguments et surtout à considérer les personnes âgées comme étant un groupe vulnérable aux effets des changements climatiques.
Que peuvent faire concrètement les gouvernements pour les peuples fragilisés par les changements climatiques ?
Plusieurs actions sur le terrain sont déjà proposées par les différentes aides humanitaires. Il faudrait cependant aller plus loin et reconnaître le statut de réfugié·e climatique. Malheureusement, les pays ne veulent pas s’aventurer sur ce terrain car ils craignent une augmentation des demandes d’asile basées sur une menace ou une urgence climatique. Aujourd’hui, on reconnaît uniquement les réfugié·e·s de guerre, mais un grand nombre de personnes doivent fuir leur pays à cause des dégâts engendrés par le dérèglement du climat. Heureusement la diplomatie environnementale et la solidarité internationale agissent déjà, mais une réponse juridique englobante, systémique et respectueuse des droits humains et de notre écosystème s’impose face aux vulnérabilités climatiques.
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
[1] Rahma Bentirou Mathlouthi est docteure et professeure à la Haute École de Travail social Fribourg où elle s'occupe également des questions de durablitié (HES-SO).
[2] « Vulnérabilité(s) environnementale(s) », Rahma Bentirou Mathlouthi et Adélie Pomade (dir.), Ed. Harmattan, 2023, 622 pages.
Un livre aborde la notion de frontières entre le domaine du social et du médical, et met en lumière les enjeux d’une meilleure coopération. Interview croisée des trois directeur·trice·s de la publication.
L’intervention sociale aux frontières du médical [1] est un recueil de textes qui décrit les interactions multiples, parfois complexes, entre deux domaines amenés à travailler en complémentarité. Des améliorations bénéfiques aux patient·e·s comme aux professionnel·le·s issu·e·s de ces deux secteurs se dessinent au fil des pages.
(REISO) Plusieurs situations décrites dans l’ouvrage que vous avez dirigé montrent une hiérarchisation importante entre le secteur médical et celui du travail social. Pourquoi la figure du médecin est-elle si forte, au détriment de celle du ou de la travailleur·euse social·e ?
[2]) L’origine de cela est avant tout historique. Le travail social est en partie issu du monde médical. Les deux domaines partagent un vocabulaire commun : diagnostic médical ou social, plan de soins ou d’aide. Par exemple, les assistantes sociales étaient, dans la première moitié du XXe siècle, celles qui assistaient le médecin sur la partie sociale de la problématique médicale.
(Yvette MolinaComment faire bouger les mentalités afin que le domaine social soit davantage valorisé et reconnu ?
(Yvette Molina) C’est avant tout un travail politique. Alors que le prestige médical est bien ancré dans les mentalités, celui des métiers du social est faible. Il faudrait une meilleure reconnaissance de ceux-ci.
(Françoise Tschopp [3]) Il suffit de comparer les salaires entre un·e infirmier·e et un·e assistant·e social·e en Suisse pour voir qu’il y a un grand déséquilibre de statut. L’une des pistes seraient de promouvoir des formations communes. Lors de la création des Hautes écoles spécialisées, il y a eu un débat pour savoir si un tronc commun entre les soins et le social allait être créé. Finalement, cela ne s’est pas fait. Cependant, en formation continue, certaines initiatives de ce genre sont prises et permettent une meilleure connaissance des pratiques de chacun des domaines.
Au-delà des instances publiques et politiques, quelles actions peuvent être mises en place sur le terrain pour une verticalisation moins importantes entre ces deux domaines ?
(Yvette Molina) Plusieurs initiatives de coopération se créent spontanément dans certaines institutions car les professionnel·le·s se rendent bien compte de leur complémentarité et du besoin de croiser leurs pratiques. Une meilleure collaboration et une moins forte hiérarchisation passent par une acculturation réciproque et cela dès la formation. A titre d’exemple, les futur·e·s travailleur·euse·s sociaux·ales sont amené·e·s à faire un stage dans un établissement médical, alors que la réciproque n’existe pas : les futur·e·s soignant·e·s ne vont pas passer du temps dans un foyer ou un centre d’accueil pour personnes vulnérables.
Quels sont les domaines où le médical et le social travaillent déjà de manière plus horizontale ?
[4]) Dans certains services, l’horizontalité fonctionne mieux que dans d’autres, notamment dans ceux qui s’occupent de publics très précaires. Les généralistes, par exemple, y sont très en contact avec les métiers du social. Ils et elles travaillent souvent main dans la main. Ce n’est en revanche pas le cas en santé mentale, où les psychiatres ont du mal à partager leur pouvoir. A noter que, dans certains cas, la tendance est inversée. Je pense notamment aux jeunes médecins qui sont parfois très content·e·s de pouvoir s’appuyer sur l’expérience des professionnel·le·s du social.
(Jean-François GasparLa pandémie a montré qu’il y a pénurie de ressources dans les deux secteurs. Pensez-vous qu’elle ait permis de redorer le blason des métiers du social ?
(Yvette Molina) Malheureusement pas. Alors que le personnel soignant était acclamé aux fenêtres pour son travail, les travailleur·euse·s sociaux·ales n’étaient pas considéré·e·s. Elles et ils étaient pourtant au front, par exemple, à la suite de l’augmentation des violences conjugales, à la multiplication des problèmes psychologiques, à l’isolement et ses conséquences. Là encore, ils et elles ont subi un déficit de reconnaissance.
(Jean-François Gaspar) La pandémie n’a pas changé grand-chose. Partout en Europe, il existe une pénurie de travailleur·euse·s sociaux·ales et médico-sociaux·ales. Il devient de plus en plus difficile de trouver du personnel car il n’est pas soutenu, il est parfois même discrédité. Les gens oublient tout ce qu’ils apportent socialement. Il suffit de s’attarder sur les récents événements en France avec les jeunes auteurs et autrices de troubles dans l’espace public. Le gouvernement s’accorde à dire qu’ils et elles doivent être pris en charge par les services sociaux, mais on oublie que les mesures éducatives préventives ont été supprimées pour des raisons économiques, alors que c’est bien moins cher de prévenir que de réparer !
(Françoise Tschopp) La détresse post-Covid à Genève a entraîné un manque de personnel dans les services de psychiatrie, désormais surchargés. Les professionnel·le·s du domaine médical et de celui social sont épuisé·e·s. Cependant, dans de petites structures, certaines initiatives d’interdisciplinarité voient le jour. Elles devraient améliorer le travail de coopération et, par voie de conséquence, la prise en charge de la patientèle.
Votre ouvrage va-t-il permettre de faire avancer la cause des métiers du social ?
(Yvette Molina) Les nombreux textes présentés dans le livre retracent des situations vécues en Suisse, en France, en Belgique et au Canada. Ils contribuent à rendre visible des problématiques, tout comme des ajustements que les personnes intéressées ne connaissant pas forcément. C’est aussi en attirant l’attention que les choses peuvent bouger. Notre livre parle de frontières, mais elles ne sont pas fermées. Elles doivent permettre la circulation des savoirs et des pratiques.
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
Un vernissage du livre est prévu le 2 octobre à la Haute école de travail social de Genève. Plus d’infos
[1] L’intervention sociale aux frontières du médical, sous la direction de Jean-François Gaspar, Yvette Molina et Françoise Tschopp, Ed. Ies, 2023, 208 pages.
[2] Yvette Molina est docteure en sociologie, directrice du Centre de recherche d’ASKORIA en Bretagne et chercheuse associée au Centre Maurice Halbwachs, à Paris.
[3] Françoise Tschopp est titulaire d’un Master en sciences de l’éducation. Elle a été responsable de la formation continue et chargée d’enseignement à la Haute école de travail social de Genève.
[4] Jean-François Gaspar est docteur en sociologie et responsable du Centre d’études et de recherches en ingénierie et actions sociales, à Namur. Il est également chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique, à Paris.
Les personnes atteintes de fibromyalgie font encore face à un manque de reconnaissance de la société. Une publication vise à renforcer la compréhension de la maladie et tient lieu de guide.
Des douleurs étendues dans les muscles, les tendons et les articulations, des problèmes de sommeil, un épuisement chronique et des troubles cognitifs : ce ne sont là que quelques symptômes parmi une centaine d’autres du syndrome de fibromyalgie. La médecine n’est pas en mesure d’attribuer des lésions organiques, des processus auto-immuns ou d’autres processus pathologiques objectifs à la souffrance subjective des personnes concernées.
Trop de personnes concernées entendent encore qu’elles sont en bonne santé ou qu’elles ont une dépression. Effectivement, trois personnes sur quatre atteintes de fibromyalgie souffrent d’une dépression latente ou marquée. Des troubles anxieux ou de l’agressivité peuvent également survenir. Mais ils correspondent à des schémas de réaction émotionnels face à des conditions de vie compliquées, empruntes de douleurs, de problèmes, d’incompréhension et d’isolement social. La fibromyalgie n’est pas en soi une maladie psychique.
Selon l’OMS, la fibromyalgie ne relève pas du rhumatisme. L’Organisation mondiale de la santé l’a classée en 2022 dans le groupe nouvellement créé des douleurs chroniques primaires. Cette classification (CIM-11) ne change cependant rien au fait que les personnes concernées sont généralement suivies par un·e rhumatologue. Il y a également de la nouveauté concernant le diagnostic. À la différence des lignes directrices précédentes, la fibromyalgie ne constitue plus un diagnostic d’exclusion. Cela signifie que la fibromyalgie peut être diagnostiquée seule ou en complément d’autres diagnostics.
Pendant longtemps, le traitement de la fibromyalgie suivait un plan par étapes, commençant par la formation des patient·e·s. Toutefois, la littérature scientifique des cinq dernières années confirme les avantages d’un traitement multimodal. Il comprend, dès le début, un traitement ou un conseil psychologique, des activités physiques et des entraînements, un traitement médicamenteux ainsi que des soins complémentaires, y compris ceux de la médecine empirique. En principe, tous les traitements et toutes les formes d’autogestion qui soulagent les symptômes de la fibromyalgie de manière avérée et qui freinent la chronification de la maladie entrent en ligne de compte.
Les personnes atteintes d’une fibromyalgie et actives professionnellement rencontrent souvent des difficultés avec l’assurance-invalidité mais aussi avec la caisse-maladie ou l’assurance perte de gain. La Ligue suisse contre le rhumatisme recommande une détection précoce AI préventive et que les personnes concernées exploitent toutes les possibilités de rester actives professionnellement. Il est souvent possible d’adapter les conditions de travail. Le conseil social gratuit de certaines ligues cantonales ou régionales contre le rhumatisme, ainsi que le conseil juridique de Procap, Inclusion-Handicap et Pro Infirmis proposent un soutien professionnel.
Télécharger ou commander la nouvelle brochure (disponible en français, allemand et italien)
Un document donne les informations de base aux personnes concernées par ce trouble, directement ou en tant que proche. Il compte également des ressources utiles en matière de diagnostic, vie sociale, assurances, santé et bien-être.
L’autisme est un trouble qui se manifeste sous des formes très différentes. Certaines personnes ont des déficiences intellectuelles associées, alors que d’autres sont dotées d’un potentiel intellectuel supérieur. Il n’est donc pas toujours simple de comprendre un trouble du spectre autistique (TSA), au vu de sa complexité.
Autisme suisse romande vient de publier un guide [1] clair et accessible pour évoquer ce trouble développemental d'origine biologique dont la prévalence est passée, selon ce document, de 1 sur 150 à 1 sur 40. L’ouvrage s’adresse aux personnes directement concernées ou suspectant de l'être ainsi qu'à leurs proches.
Le guide commence par expliquer les deux critères qui permettent de poser un diagnostic : une altération de la vie sociale et un modèle restreint et répétitif de comportements. Ces deux dimensions doivent être présentes depuis le début, même si elles sont parfois masquées, et entraîner une altération du fonctionnement de l’individu.
L’ouvrage aborde également les questions relatives à la vie sociale et professionnelle, à l’autonomie, à la santé. Il évoque encore les soutiens possibles, qu’ils soient financiers ou psychologiques. Rédigé de manière claire, cette ressource compile enfin plusieurs liens vers des associations, des publications et différentes aides possibles.
Le guide peut être commandé ou téléchargé gratuitement sur le site d'autisme suisse romande.
(Yseult Théraulaz)
[1] « Autisme, guide adultes Romandie », par Nathalie Quartenoud, Valérie Cuénoud et Fabienne Clément, édité par autisme suisse romande, Lausanne 2023, 20 pages.
Une pénurie d’expert·e·s qualifié·e·s entraîne de longs délais d’attente pour les assuré·e·s de l’assurance invalidité, selon une analyse statistique de 2022. Un article récemment publié par Sécurité sociale CHSS tire la sonnette d’alarme.
Depuis des années, l’assurance-invalidité (AI) est confrontée à une pénurie d’expert·e·s. Il en résulte souvent de longs délais d’attente avant que les mandats puissent être attribués. C’est ce que montrent les données statistiques analysées par Sécurité sociale (CHSS), une publication en ligne de l’Office fédéral des assurances sociales. L’article précise que ces dernières ne sont toutefois disponibles que pour les expertises impliquant deux ou plusieurs disciplines (expertises bi- ou polydisciplinaires).
En 2022, il restait encore environ 1’600 mandats en suspens à la fin du mois de décembre. Ce fait résulte du retard accumulé durant les années précédentes et encore non résorbé, puisque le nombre de demandes d’expertises a dépassé le nombre de mandats attribués. De plus, l’activité des expert·e·s a dû être en partie suspendue en 2020 durant la pandémie de Covid-19. En ce qui concerne les expertises bidisciplinaires, environ 500 mandats étaient en attente d’être distribués.
Divers éléments émergent de l’analyse : en Suisse romande, l’insuffisance d’expert·e·s dans les centres a déjà été constatée lors de la mise en fonction de la plateforme d’attribution en 2012 et les délais d’attente ont toujours été longs. La complexité des cas influe sur la durée de l’attente : les expertises qui nécessitent de nombreuses disciplines enregistrent un délai d’attribution supérieur aux mandats plus simples. Des mandats nécessitant l’intervention d’expert·e·s de disciplines considérées comme rares (gastroentérologie, gynécologie et infectiologie par exemple) peuvent, pour leur part, rester bloqués sur la plateforme pendant de très longues périodes.
En 2022, les offices AI ont mandaté au total 11’293 expertises médicales, pour un montant de plus de 87 millions de francs. Quelque 86 % des mandats d’expertise monodisciplinaire attribués avaient pour discipline la psychiatrie et psychothérapie. Cette discipline est la plus demandée dans toutes les régions linguistiques. Quant aux mandats d’expertises bidisciplinaire, 1'354 ont été attribués aux centres d’expertises et 649 aux binômes d’experts. Dans 97% des mandats attribués aux binômes d’expert·e·s, la psychiatrie et psychothérapie fait partie de l’une des deux disciplines demandées. Le plus souvent, la deuxième discipline est la rhumatologie, la chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, la médecine interne générale ou la neurologie. La psychiatrie et psychothérapie prennent également une part importante dans les expertises pluridisciplinaires (94 % des mandats déposés).
(CROC, avec Sécurité sociale CHSS)
Lire l’article complet « Expertises AI : la pénurie de médecins entraîne des temps d’attente », publié le 3 juillet 2023
La pénurie de professionnel·le·s formé·e·s en travail social représente un défi majeur pour l’accompagnement des publics concernés et le maintien de la cohésion sociale. Deux écoles vaudoises renforcent leurs collaborations.
Nombreuses et nombreux sont les jeunes Vaudois·es ou les professionnel·le·s en emploi intéressé·e·s à acquérir une formation dans le domaine du travail social. L’ARPIH et la HETSL s’engagent fortement à l’échelle cantonale pour répondre aux difficultés de recrutement dans les institutions, en particulier dans les établissements socio-éducatifs, dans le domaine du handicap, de la protection de l’enfance, dans le champ de la vieillesse et dans les institutions en lien avec la crise migratoire, où les équipes doivent souvent gérer un nombre croissant de bénéficiaires.
Les deux écoles ont ainsi décidé de renforcer leurs collaborations dans un esprit de complémentarité, notamment en publiant conjointement la brochure « Se former en travail social ». Ce document présente les formations des deux écoles qui préparent à des métiers de l’humain enrichissants, bénéficiant d’une forte employabilité dans une large palette d’institutions, de services et d’associations, à plein temps, à temps partiel ou en cours d’emploi.
Le domaine du travail social offre une diversité de formations à tous les degrés du système éducatif suisse. Que ce soit en éducation sociale, en animation socioculturelle, en service social ou en maîtrise socioprofessionnelle, ces formations présentent des différences et des similitudes. Et comme il n’est pas toujours aisé de saisir les spécificités de chacune d’entre elles, la brochure veut informer sur les formations du social dans le degré tertiaire, les emplois et les perspectives professionnelles et post-diplômes. Elle ambitionne d’orienter les choix, tant des personnes intéressées que des employeuses et employeurs, et de créer des passerelles entre les différentes formations proposées.
Cette publication est l’une des concrétisations de la collaboration entre l’ARPIH et la HETSL qui s’inscrit pleinement dans les recommandations de la Confédération et du Canton de Vaud en termes de perméabilité, de flexibilité et de renforcement de la collaboration entre les hautes écoles et les prestataires de la formation professionnelle supérieure. Une meilleure reconnaissance des actrices et acteurs du secteur et une vision intégrée du système de formation et de l’apprentissage tout au long de la vie sont visées dans ce cadre.
(Source : communiqué de presse)
Parfois controversé, le scientifique Ernst Zuercher signe un ouvrage questionnant notamment le lien des humains à la terre, et l’ouverture de la science —encore trop timide à ses yeux— à des phénomènes jusqu’à peu relayés au rang de croyances.
Recension par Jean Martin
L’ingénieur forestier et enseignant dans plusieurs Hautes Écoles, Ernst Zuercher, est une personnalité qui, après avoir œuvré discrètement, est aujourd’hui très présente, y compris médiatiquement. Chercheur au contact intime de la nature, il s’intéresse assidûment aux relations des végétaux, particulièrement les arbres, avec les êtres humains ainsi qu’entre les éléments, notamment l’influence de la lune sur leur vie et croissance.
D’abord considéré avec réserve — pour ne pas dire incrédulité —, il voit maintenant reconnaitre ses apports, y compris par des revues prestigieuses. Son ouvrage « Les arbres, entre visible et invisible — S’étonner, comprendre agir » (Actes Sud, 2016), est un succès de libraire, récemment réédité.
Publié dernièrement, Le pouls de la Terre [1] est le récit d’une trajectoire personnelle, humaine et scientifique, marquée par son attrait pour la forêt. Ce fils de fromager né dans le Jorat y narre sa pratique pulsionnelle de la marche depuis l’enfance. Il témoigne de sa randonnée de 25 jours, à l’âge de 58 ans, entre la Suisse et la Méditerranée, passant par le massif de la Chartreuse et le col de la Croix-Haute pour arriver à La Ciotat.
Suivant ces éléments autobiographiques, les chapitres traitent du lien avec la nature. Ernst Zuercher y affirme l’importance de le faire revivre, du chant de cette nature, des rythmes de la terre, pour arriver au mystère des synchronicités observables (référence à C.G Jung). Il relate aussi l’expérience d’un arboriculteur de Floride, dont les récoltes d’agrumes s’améliorent par la diffusion dans les vergers de chants d’oiseaux. Il explore la résonance de Schumann, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, le nombre d’or et la série de Fibonacci, avant de proposer une conclusion philosophique intitulée « Retour à l’essentiel et à la joie ».
Ce qui retient l’attention, c’est la présentation de ce qui n’est pas saisi par la science « usuelle », ce qui a trop aisément été tenu pour des croyances paysannes, des rêveries voire des dérives du registre magique. « Une question qui m’accompagne de plus en plus est celle du juste rapport que nous humains devrions développer et cultiver avec la Terre. Face à l’ampleur et la gravité de l’impact humain dont elle souffre aujourd’hui, force est de constater que le lien autrefois naturel et vital est rompu » (p. 45).
Puis le botaniste de souligner l’importance de l’ouverture de la science contemporaine aux savoirs ancestraux :
« C’est grâce aux méthodes de la science moderne, mais ouverte à de tels sujets, que des vieux savoirs ont pu être réhabilités par la mise en évidence de phénomènes statistiquement significatifs. La thématique de la chronobiologie lunaire est devenue pour moi l’un de mes cœurs de métier de chercheur. Pour un scientifique marcheur, il est devenu évident que les liens entre les choses et entre les évènements ne peuvent se réduire à des rapports purement physiques de cause à effet, le passé étant supposé seul à conditionner le présent. Ne constate-t-on pas sur notre chemin des surprises inattendues, “bienveillantes” ? Le réductionnisme scientifique s’efforce d’expliquer un système par des sous-systèmes auxquels on a accès par la dissection par exemple (...) Un moyen majeur est d’appliquer la méthode par essais et erreurs. Les composantes du système sont supposées liées par des processus d’action et rétroaction de nature causale » (p. 52-53).
Pourtant…
Il écrit plus loin au sujet de la démarche d’acquisition de savoir non limitée par le paradigme mécaniste de l’impérialisme cognitif occidental. A ce sujet, il évoque l’anthropologue Jeremy Narby, qui a travaillé avec des chamanes amazoniens en rapport avec l’ayahuasca, ainsi qu’avec le curare, le paralysant utilisé en anesthésie. Contrairement à ce que la science classique postulerait, qu’il n’y a pas là, selon lui, des démarches essais-erreurs. Des entretiens avec les préparateurs de cette substance complexe, il ressort une origine mythique en lien avec un plan spirituel, et non pas expérimentale… (p. 54).
Surprenantes paroles, défrisantes... qu’on tend à écarter du dos de la main et auxquelles l’auteur de cette recension ne saurait formuler d’appréciation catégorique. Zuercher a toutefois le mérite d’affirmer l’insuffisante prise en compte, en science classique, de choses qui sont de l’ordre de facteurs et influences non encore « cataloguées », d’énigmes, voire de pratiques inspirées ! « J’ai une grande sympathie, dit-il, pour les “braconniers de la science” qui font de la résistance aux conventions et aux idées reçues ».
A ce sujet, il évoque le « chemin parcouru par la recherche médicale en lien avec les bienfaits de la forêt », faisant référence à la thérapie japonaise des bains de forêt — Shinrin-yoku (p. 61). Des chercheurs occidentaux aussi parlent maintenant de « Nature Deficit Disorder » ; empiriquement en tout cas, ce syndrome de manque de nature apparaît plus que plausible.
Finalement est abordée la question des co-bénéfices, thème majeur aujourd’hui à propos de relation entre santé, maladie et climat. « Cela amène la question du rôle que pourrait/devrait jouer l’humain dans la nature qui l’entoure et le traverse. Nous attendons d’elle de multiples bienfaits. A contrario, pourrait-on imaginer que la nature attende quelque chose de nous, dans un sens de coévolution qui veut qu’il y ait un équilibre entre le recevoir et le donner ? » (p. 72).
[1] Ernst Zuercher, « Le pouls de la Terre ». Éditions de la Salamandre, Neuchâtel, 2023, 139 pages
Un recueil de textes issus de multiples recherches explique les fondements de l’épidémiologie sociale et de ses enjeux actuels. Aperçu.
L’épidémiologie sociale est une discipline qui met à jour « le fait que l’espérance de vie ne peut dépendre uniquement de facteurs biologiques ou de choix individuels : elle est plus fondamentalement déterminée par des contextes socio-économiques qui relèvent de décisions collectives, et donc politiques. » Ainsi est-elle définie dans l’introduction du livre « Inégalités de santé » [1], paru au mois de mars sous la direction de Mathieu Arminjon, historien et philosophe de la médecine du soin, adjoint scientifique à la Haute école de santé Vaud (HES-SO).
Cet ouvrage est un recueil de textes écrits par des épidémiologistes, des historiens et philosophes de la médecine, des médecins, des professeur·e·s suisses et français·se·s et complété par des traductions d’écrits d’autres pays. Dense et très pointu, il s’adresse aux chercheur·euse·s en humanités médicales, aux professionnel·le·s de la santé mais aussi à un plus large public intéressé par cette vaste thématique.
Pourquoi les personnes qui se situent en bas de l’échelle sociale sont-elles en plus mauvaise santé ? Est-ce uniquement une question de manque d’accès aux soins et de bas revenus ? Ce n’est pas si simple : « (…) les différences socio-économiques en matière de santé ne se limitent pas à une mauvaise santé pour ceux qui sont en bas, et une bonne santé pour tous les autres. Bien davantage, il existe un gradient social de santé chez des individus qui ne sont pas pauvres : plus la position sociale est enlevée, meilleure est la santé. J’ai nommé́ cela « le syndrome du statut ». (…) Si l’on est privé d’un environnement propre et sûr, d’un travail satisfaisant, de possibilités d’obtenir une éducation de qualité́ pour ses enfants, et si l’on est soumis à la violence et aux agressions, il est plus difficile de jouir d’un contrôle sur sa vie ou d’être un acteur social au sens plein », explique le chercheur anglais en épidémiologie et en santé publique Michael G. Marmot.
Pour faire avancer la recherche et pour améliorer la santé de tous les individus, les auteurs et autrices espèrent que l’accès aux données de masse puisse être un allié. « On peut (…) souhaiter que l’ensemble des données socio-économiques à l’échelle individuelle et collective, contenues dans des bases de données diverses soient rendues accessibles et susceptibles d’être croisées avec des données environnementales, territoriales, comportementales, cliniques, biologiques ou encore relatives à l’accès aux soins. Un des enjeux pour l’épidémiologie sociale sera alors de parvenir à rassembler l’ensemble de ces données et de produire des résultats interprétables pour la santé publique dans le respect de la confidentialité́ et des libertés individuelles. »
Ce vaste chantier devrait être facilité grâce aux nouvelles technologies. Malheureusement, les données socio-économiques restent encore absentes des statistiques relatives au nombre et aux causes des décès, lesquelles sont rendues publiques dans l’Enquête santé suisse publiée tous les cinq ans.
(Yseult Théraulaz)
Accéder au livre en Open Access
[1] « Inégalités de santé – fondements historiques et enjeux contemporains de l’épidémiologie sociale ». Matthieu Arminjon (dir.), Georg Editeur, mars 2023, 330 pages
Dépression ou addictions peuvent se soigner avec du LSD ou d’autres drogues. Le corps médical s’y intéresse depuis maintenant plusieurs années.
[1] du 6 avril dernier, le professeur Daniele Zullino, chef du service d’addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève explique que des études internationales ont été menée et que : « On a les meilleures données pour le traitement des dépressions résistantes, de certains troubles anxieux (…) et des addictions. »
Certaines drogues psychédéliques peuvent-elles soigner ? C’est le constat que le corps médical fait du LSD, du MDMA (principe actif de l’ecstasy) et de la psylocibine (présente dans certains champignons hallucinogènes), entre autres. Ces substances peuvent jouer un rôle important vers la guérison des dépressions pour lesquelles les traitements classiques n’ont pas été efficaces. On parle alors de psychothérapie assistée par psychédéliques. Interviewé dans l’émission de la RTS Temps présentComment ça marche ? Pour simplifier, le « trip » psychédélique proposé sous supervision médicale [2] permet au patient ou à la patiente de sortir de ses ruminations négatives habituelles. Cela opère une sorte de redémarrage du cerveau. « On sait que ces substances-là augmentent la capacité du cerveau à changer de structure et de fonctionnement », poursuit le médecin dans l’émission.
Dans son numéro d’avril [3], le Bulletin des médecins suisses confirme l’intérêt du corps médical pour ces psychédéliques. On peut y lire ceci : « La psilocybine, le DMT (le principe actif de l’ayahuasca), la kétamine, l’ibogaïne et la mescaline font l’objet d’un nombre croissant d’études pour le traitement de troubles psychiques tels que la dépression, le stress post-traumatique ou encore l’abus de substances. Une soixantaine d’essais cliniques sont en cours autour du monde pour la psilocybine (…), une trentaine pour la MDMA et une dizaine pour le LSD. »
En ce qui concerne le LSD, une étude menée par l’Université de Bâle a déjà démontré que deux doses, moyennes à fortes, administrées à des patient·e·s ont contribué à atténuer les symptômes de dépressions moyennes à sévères.
La Suisse est en avance sur les autres pays. Depuis 2014, l’Office fédéral de la santé publique délivre des autorisations exceptionnelles pour l’usage de ces substances dans le cadre de traitements médicaux.
Pour rappel, le LSD a été découvert par hasard par le chimiste Albert Hofmann en 1943. A l’époque, cette substance semblait déjà prometteuse mais son trop grand succès en tant que drogue récréative l’a totalement discréditée aux yeux de la recherche, jusqu’à en interdire l’usage.
(Yseult Théraulaz)
[1] « Dépression, addiction, guérir grâce aux hallucinogènes », Émission Temps présent, 2023, 48 minutes
[2] Relaté par l’émission Haute fréquence (RTS La Première, 19 juin 2023), le témoignage d’un homme suisse-romand met en garde contre les risques d’absorption d’ayahuasca sans supervision médicale. Écouter l’émission
[3] Daniel Saraga, « Ces drogues qui guérissent ». Bull Med Suisses. 2023;104(1415):10-13
Comment limiter les dommages sur la santé des expériences négatives et autres traumatismes vécus durant l’enfance ? Un document donne des pistes d’action. Explications
La Société canadienne de pédiatrie s’est penchée sur la corrélation entre les expériences négatives vécues dans la petite enfance et les relations affectives saines qui se développent entre adultes et enfants.
Selon le document de cette institution : « Si les expériences négatives contribuent à expliquer les problèmes de santé ou de développement, la santé relationnelle précoce forge un parcours proactif pour les atténuer. » Ce terme décrit les « relations affectives entre les enfants et des adultes de confiance qui favorisent la santé et le développement, donne lieu à des expériences positives et peuvent tempérer les effets négatifs des traumatismes et de l’adversité. »
Parmi les expériences négatives listées par la société canadienne, il figure la maltraitance physique (abus sexuels, violences), la négligence tant affective que physique, mais aussi toutes les difficultés familiales qu’un·e enfant peut traverser : divorce, maladie, entre autres.
Le document insiste sur le rôle important des professionnel·le·s de la santé au moment du dépistage des problèmes de santé de l’enfant. Les clinicien·ne·s devraient ainsi intégrer une approche de santé relationnelle à toutes les rencontres médicales.
Comment ? Les moyens sont nombreux. Tout d’abord en déterminant les besoins de chaque famille et en lui proposant les programmes de soutien communautaire adéquats. En surveillant les signes de santé et de risques relationnels dans les interactions entre les parents et l’enfant. Ou encore en cernant mieux les effets du stress toxique sur le cerveau en développement, tout en valorisant les expériences et comportements positifs qui contribuent à les tempérer.
« Puisqu’il est possible d’apprendre et de modifier les compétences parentales, chaque rencontre médicale est une occasion de promouvoir la santé relationnelle précoce », peut-on lire sur le document de la Société canadienne de pédiatrie.
On découvre ainsi que les parents qui ont eux-mêmes vécu plusieurs expériences négatives dans leur petite enfance peuvent avoir plus de difficulté à gérer des situations compliquées avec leur progéniture. Cependant, lorsque le parent se rend compte que ses propres traumatismes influencent négativement son rôle de père ou de mère, il ou elle a l’occasion de briser le cycle de la négativité.
Une évaluation relationnelle de la famille et des conseils avisés prodigués par les professionnel·le·s sont la clef pour garder les enfants en bonne santé et assurer leur développement optimal.
(Par Yseult Théraulaz)
Consulter le document : Robin C. Williams MD. «Des expériences négatives de l’enfance à la santé relationnelle précoce : les conséquences pour la pratique clinique », Société canadienne de pédiatrie, groupe de travail de la petite enfance, 2023
L'Association faîtière suisse pour l’animation socioculturelle enfance et jeunesse publie un guide qui vise à renforcer les compétences en santé des jeunes, notamment en matière de consommation.
Dans le cadre des stratégies nationales de Prévention des maladies non transmissibles et Addictions, l’Association faîtière suisse pour l’animation socioculturelle enfance et jeunesse (AFAJ) publie un guide destiné à encourager les professionnel·le·s de l'animation socioculturelle à discuter ouvertement des substances psychoactives avec les jeunes. Ce document fournit des conseils pratiques pour favoriser une intervention précoce (IP), s’arrêtant notamment autour de l’importance d’un environnement favorable.
Ce document se penche sur la nécessité de l’IP dans l’animation socioculturelle pour répondre de manière précoce aux éventuelles situations de vulnérabilités chez les jeunes. Ainsi, il souligne l’importance de la mise en réseau, de la formation continue, de la collaboration entre professionnel·le·s et du développement de leurs compétences. Il met en exergue des méthodes et des stratégies pour mettre en œuvre ces compétences dans le cadre de l’animation socioculturelle, en mettant notamment l'accent sur la communication ouverte et la collaboration interdisciplinaire.
L’ensemble des chapitres donne un tableau complet qui encourage le développement des compétences en matière de consommation dans l’animation socioculturelle pour l’enfance et la jeunesse. Pour conclure, le dernier chapitre est riche en exemples inspirants tirés de la pratique. Il permet d’incarner ces concepts et de montrer comment ils peuvent être appliqués sur le terrain. Des liens, des références de publications spécialisées et des définitions de termes complètent le tout en fournissant des ressources supplémentaires pour approfondir la compréhension de ces sujets.
(Source : GREA)
La campagne de prévention « Bébé pleure ? Restez zen », lancée par le CHUV et les HUG, vise à prévenir tout état d’épuisement qui pourrait engendrer un geste dramatique.
Le syndrome du bébé secoué se produit lorsqu’un adulte secoue un nouveau-né ou un nourrisson de manière violente et répétée, d’avant en arrière. Cette maltraitance susceptible de provoquer des lésions cérébrales sévères ou le décès de l’enfant touche des dizaines de bébés chaque année en Suisse. La fréquence de ce phénomène est toutefois sous-estimée puisque seules les situations graves nécessitant une hospitalisation ou conduisant au décès du nouveau-né sont identifiées.
Pour aider à prévenir ce type de violence infantile, le CHUV et les HUG unissent leurs compétences pour mettre à disposition des parents et personnes en charge de la garde d’enfants de nouveaux outils de sensibilisation. Grâce au soutien financier du Département de la santé et de l’action sociale via le Fonds pour le développement de la prévention et de la promotion de la santé et de la Fondation privée des HUG, un site internet dédié avec des vidéos témoignages de parents et des conseils pratiques a été créé.
L’objectif de la campagne « Bébé pleure ? Restez zen » est d’aider les personnes concernées à mieux gérer leur stress et frustration face à un bébé qui peut parfois pleurer jusqu’à plusieurs heures par jour, afin d’éviter un état d’épuisement qui pourrait engendrer un geste dramatique. Si l’on se sent dépassé·e ou à bout, on peut par exemple s’accorder une pause, demander de l’aide à un proche, laisser son bébé en sécurité dans son lit et attendre d’être calme avant de le reprendre dans ses bras.
Durant ces prochaines semaines, les vidéos seront diffusées sur les réseaux sociaux et une campagne d’affichage est planifiée dans les bus lausannois et genevois. Des flyers et affiches complètent le dispositif afin d’offrir aux professionnel·le·s de santé du matériel pour aborder ouvertement et sans jugement cette thématique avec les parents.
Cette campagne de prévention a vu le jour dans le cadre des cours MicroMBA du CHUV, une formation interne qui accompagne les cadres supérieurs dans le domaine du management. Les participant·e·s du MicroMBA se sont ensuite associés au Département femme-mère-enfant du CHUV, avec des expert·e·s néonatologues, pédiatres et des pédiatres spécialisés dans la protection de l’enfant (CAN Team).
Le Pr Jean-François Tolsa, Chef du Service de néonatologie et du Département femme-mère-enfant du CHUV a soutenu et encadré ce projet. « Je me réjouis du lancement de cette campagne de sensibilisation, menée par des professionnel·le·s concerné·e·s et impliqué·e·s dans ces situations dramatiques qui doivent et peuvent être évitées à travers une information constante de toutes et tous. »
Le Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) est aussi associé au projet puisque le Pr Tony Fracasso, directeur adjoint du CURML, en est l’un des initiateurs. « En tant que médecin légiste, j’ai trop fréquemment eu affaire à des nourrissons victimes de secousses. À chaque fois j’ai le sentiment d’un grand gâchis pour la victime et d’une tragédie pour les familles. L’expérience dans d’autres pays montre qu’une prévention est nécessaire et utile. »
(Source : CHUV)
La nouvelle stratégie du canton du Valais propose des recommandations et actions concrètes, de la naissance à la majorité, en adaptant les messages à l’âge des destinataires. Ce projet peut être mis à disposition d’autres cantons.
Le lancement d’une stratégie cantonale pour une éducation à un usage numérique responsable répond à un problème de santé publique signalé par de nombreux·ses professionnel·le·s dans les milieux scolaires et extra-scolaires. La pandémie de Covid-19 a fait augmenter l’utilisation des écrans avec l’apparition de problèmes de développement et de comportement chez les enfants de tout âge. Fort de ce constat, le canton du Valais, en collaboration avec les partenaires du domaine de la formation, de la jeunesse et de la santé publique, a décidé de développer une stratégie pour offrir des bonnes pratiques et des recommandations aux parents et aux professionnel·le·s. Sa coordination est assurée par Promotion santé Valais.
La stratégie cantonale pour une éducation à un usage numérique responsable est compatible avec les objectifs des plans d’études valaisans. Ses messages se déclinent sur quatre axes : dialoguer, responsabiliser, sécuriser et saisir les opportunités. Un parcours de formation pour les jeunes de 0 à 18 ans aborde le rôle de guides et de modèles des adultes (parents, enseignant·e·s, …) qui posent le cadre pour laisser ensuite davantage de place aux jeunes. Les messages sont évolutifs en fonction de l’âge et permettent aux utilisatrices et utilisateurs de devenir progressivement actrices et acteurs et porteur·se·s de leurs pratiques numériques.
La brochure Ecran, dis-moi… recommande des pratiques numériques et propose des alternatives aux écrans par tranche d’âge ; elle donne des pistes d’auto-évaluation de son propre usage numérique. Son format de poche a également été créé sous forme de carte.
Le site educationnumeriquevalais.ch recense l’ensemble des mesures offertes dans le cadre de la stratégie cantonale, comme la formation des professionnel·le·s de la petite enfance, le guide Les écrans et moi disponible à la prochaine rentrée scolaire pour les 3-4H ou l’intervention de Hall of Games offerte en 9CO. Du matériel vidéo est également disponible en deux formats (court et long) ainsi que divers liens et informations à destination des enfants et adolescent·e·s, des parents et des enseignant·e·s pour chacune des six tranches d’âge du parcours de formation.
Ce projet novateur réunit tous les acteurs et actrices du terrain pour offrir des outils concrets pour permettre l’apprentissage d’un usage numérique responsable. Il peut être mis à disposition d’autres cantons qui souhaiteraient développer un tel outil.
(Source : communiqué de presse)
Voir la brochure Ecran, dis-moi...
Voir le site Education numérique
Avenir Social vient de publier la troisième édition, actualisée et complétée, de la Chronologie des transformations dans l’aide sociale en Suisse. Trois questions à son autrice Véréna Keller, professeure HES honoraire de la HETSL.
(Véréna Keller) Les choses changent beaucoup et rapidement ! Jusqu’au tournant du siècle, l’aide sociale en Suisse se transforme peu à peu en un droit à une vie digne pour toutes et tous. Ensuite, le vent tourne. La logique de l’« État social actif » contribue à focaliser le débat public sur les « abus ». La droite politique attaque l’aide sociale voire la protection sociale dans son ensemble. Nouveau changement avec la pandémie de Covid-19. Elle favorise une prise de conscience des lacunes de la protection sociale, en particulier le non-recours aux prestations. Les longues files pour recevoir un colis alimentaire choquent en Suisse et à l’étranger et poussent plusieurs cantons et villes à créer des dispositifs de minimum vital pour des groupes précédemment exclus de la protection sociale : les personnes sans droit de séjour (les sans-papiers) et celles soumises à des conditions de travail précaires. Cependant, l’accent est volontiers mis sur la charité́ privée en tant qu’aide humanitaire à la survie plutôt que sur le développement de droits à la protection pour toutes et tous.
La réglementation est souvent interprétée de manière restrictive, sans tenir compte de la situation individuelle alors que la loi le prévoit, comme si le but premier était d’éviter toute critique.
Aujourd’hui, des responsables s’inquiètent de la baisse constante du nombre de personnes qui recourent à l’aide sociale, ce qui tend à indiquer qu’elle ne protège plus les populations aux ressources insuffisantes. Cette inquiétude n’a pourtant pas encore abouti à de décisions favorisant l’accès au droit à l’aide sociale — telles que des prestations plus élevées, la simplification de la démarche et la levée des contraintes.
Dans sa préface, la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider écrit que cette « Chronologie a le mérite de mettre au jour différentes orientations dans la lutte contre la pauvreté, qui est un véritable enjeu de société ». Quelles sont les principales pistes de ces différentes orientations, et quels en sont leurs défis respectifs ?
Les différentes orientations correspondent à des conceptions diamétralement opposées de la solidarité, de la responsabilité et de l’État, soit à des projets politiques spécifiques. Selon moi toutefois, aucune d’entre elle ne cherche à lutter contre les causes de la pauvreté mais tout au plus contre certains de ses effets. Ces orientations peuvent se ranger entre deux pôles. Le premier relève plutôt de la lutte contre les pauvres. Cette position prône des restrictions des droits, la diminution des prestations, le renforcement des contraintes et des sanctions plus particulièrement à l’égard de personnes sans passeport suisse. Elle estime que l’aide sociale encourage la paresse et la migration. L’UDC est un moteur dans cette orientation qu’elle défend au travers de multiples interventions dans les cantons, souvent soutenues par d’autres partis de droite. Le deuxième pôle tente de développer la protection sociale pour toutes et tous dans un but de solidarité et de démocratie. Des administrations publiques et des organisations de citoyens et de citoyennes tentent de faciliter l’accès aux aides aujourd’hui trop bureaucratiques et dont les contraintes s’avèrent excluantes et inopérantes.
Concrètement, sur le terrain, comment ces modifications en matière d’aide sociale ont-elles influencé les pratiques des professionnel·le·s du travail social ?
Il n’est pas simple de documenter le travail dans ce secteur s’adressant à des populations pauvres, aux pratiques peu standardisées et où le droit est facilement contesté. J’observe un souci croissant de justifier les décisions en les fondant sur la réglementation. Or, il me semble que la réglementation est souvent interprétée de manière restrictive, sans tenir compte de la situation individuelle alors que la loi le prévoit, comme si le but premier n’était pas d’améliorer la situation des bénéficiaires mais d’éviter toute critique. J’observe des services qui prennent leurs décisions dans un sentiment d’insécurité permanente et la crainte de faire faux. Lorsqu’on craint d’être accusé de générosité alors que l’on accorde simplement les prestations prévues, c’est que les pressions et critiques politiques ont fait leur effet. Dans le même temps, un peu partout en Suisse, des responsables expérimentent de nouvelles formes d’aide. Seront-elles à la hauteur des enjeux ?
(Propos recueillis par Céline Rochat)
L’aide sociale en Suisse 2020-2022. Chronologie des transformations. Interventions et décisions aux niveaux fédéral, cantonal et communal. Nouvelle édition élargie 2023. Verena Keller, 6 février 2023. Berne, AvenirSocial Suisse. Voir l'ouvrage
Une étude suisse montre une augmentation « disproportionnée » de la prescription d’opioïdes lors de blessures et maladies de l’appareil locomoteur. Pharmacienne clinicienne au CHUV, Mapi Fleury commente ces résultats.
[1], les opioïdes forts ont connu une augmentation de prescription de 88,4% entre 2008 et 2018 pour des blessures mineures, et de 88,3% dans les cas les plus graves. Les opioïdes forts ont d’ailleurs enregistré une hausse importante des frais médicaux durant ce même laps de temps, contrairement aux autres médicaments. L’étude conclut que « une pratique plus libérale de la prescription d'opioïdes va à l'encontre des recommandations actuelles fondées sur des preuves et doit être prise en compte par les médecins et les décideurs politiques. »
Selon une étude de l’hôpital de Baden publiée dans le Journal of Occupational Rheabilitation le 11 avril dernierAlors que les risques liés à ces produits sont connus, notamment mis en exergue par la « crise des opioïdes » qui sévit depuis 30 ans aux États-Unis [2], Mapi Fleury, pharmacienne clinicienne au CHUV et spécialiste des thérapies complémentaires, fait le point pour REISO.
(REISO) Comme les opioïdes « forts », ceux qualifiés de « faibles » peuvent déjà engendrer des effets secondaires graves, ainsi qu’un risque de dépendance. À partir de quelle consommation ces risques sont-ils présents ?
(Mapi Fleury) Si seulement cette réponse était simple ! À la notion de la dépendance, je préfère m’arrêter sur le concept de trouble de l’utilisation, ou mésusage des opioïdes : cette définition plus large du périmètre du problème permet aussi d’entrer en discussion de manière précoce avec des patient·e·s dont on pressent qu’ils et elles n’utilisent pas les opioïdes selon nos recommandations médicales, soit non contre une douleur générée par la lésion d’un tissu ou d’un organe — en jargon médical on dirait nociceptive — mais pour dépasser une situation d’anxiété ou parvenir à trouver le sommeil.
Quel mécanisme est activé lors du mésusage d’un opioïde ?
À partir du moment où l’on touche dans le cerveau le centre de la récompense, c’est-à-dire dès l’apparition d’un effet psychoactif, qui touche aux perceptions, tout devient très compliqué parce que le risque de mésusage est aussi individuel que la ou le patient lui-même. Les facteurs de risques sont nombreux, par exemple, le fait de souffrir d’une autre addiction qui peut sembler anodine comme le tabac, ou une histoire familiale de désordre de l’utilisation des opioïdes. Des vulnérabilités psychologiques, comme la dépression ou l’anxiété, ainsi qu’avoir moins de 45 ans se trouvent également parmi les facteurs de risque.
L’ensemble des opioïdes présentent-ils les mêmes risques ?
Oui, l’ensemble des opioïdes, qu’ils soient dits faibles ou puissants, même utilisés pour une toux, peuvent mener à un mésusage. Cependant, une couche de complexité s’ajoute encore lorsque l’on parle de certains opioïdes synthétiques, comme le tramadol, car la métabolisation de cette molécule est erratique. J’entends par là que la façon dont chaque humain va dégrader cette molécule et la transformer en d’autres, pour la faire sortir de l’organisme, n’est pas réellement prévisible. Les opiacés, les alcaloïdes naturels comme la morphine, ne mettent pas non plus à l’abri. La codéine, elle aussi, peut être métabolisée d’une façon catastrophique à cause de polymorphisme génétique, c’est-à-dire la façon dont chaque humain est « outillé » pour transformer les molécules dans son organisme. Vous ne pouvez rien y faire ! Si vous faites partie de celles et ceux qui métabolisent rapidement la codéine en morphine, vous risquez de vous arrêter de respirer, y compris après l’ingestion d’une toute petite dose de produit. Les enfants sont particulièrement vulnérables à ces mécanismes, tout comme les patient·e·s qui prennent plusieurs médicaments.
Ces désavantages sont difficilement acceptables alors que des alternatives thérapeutiques existent.
En tant que pharmacienne clinicienne, comment vous positionnez-vous face à l’usage du tramadol ?
Je tiens d’abord à préciser qu’il n’y a pas de mauvais médicament, il n’y a que de mauvaises indications. Ainsi, même le tramadol est une option quand la douleur reste trop intense malgré l’utilisation d’autres analgésiques. Le problème est que, comme je l’ai expliqué, son efficacité s’avère très variable selon les personnes. Il expose aux mêmes effets indésirables que les autres opioïdes, en plus d’autres problèmes spécifiques liés à son mécanisme d’action un peu différent. Ces désavantages sont difficilement acceptables alors que des alternatives thérapeutiques existent. Et finalement, son efficacité diminue au fil du temps. La dépendance s’installe parfois, l’arrêt du médicament devient alors difficile et nécessite une réduction très progressive des doses.
Quelles sont alors vos recommandations pour les prescriptions d’opioïdes ?
De façon globale, mes recommandations dépassent cette classe de produits. Si je dois parler au prescripteur, je dirais tout d’abord : « Connaissez les molécules que vous prescrivez ». Lorsque c’est possible, mieux vaut choisir une molécule à la cinétique simple, à l’efficacité éprouvée de longue date, dont on a une idée du spectre d’effets indésirables. Ensuite, il s’agit de réfléchir à l’indication d’une telle prescription : ai-je vraiment besoin de cette molécule, pour quels bénéfices cliniques ? Dans une même indication, parfois même au sein de la même classe thérapeutique, des molécules cousines n’ont pas du tout la même balance bénéfice-risque. Finalement, tout traitement démarré doit avoir une date d’évaluation de son bénéfice clinique. Et si l’issue clinique n’est pas celle espérée, il y a lieu de se demander si c’est lié au médicament lui-même. Maintenant, si je dois me prononcer spécifiquement pour les opioïdes et le tramadol, alors mes recommandations sont d’administrer la dose la plus faible possible mais titrée de façon efficace, sur la plus courte durée possible, avec une date de fin planifiée. Une prescription ne devrait pas durer plus de quelques semaines, et certains pays ont même limité l’autorisation de prescription à trois mois. Déjà après quelques semaines d’utilisation, un arrêt progressif doit être pratiqué.
Et du point de vue du ou de la patiente, que faire si un médecin évoque une prescription d’opioïdes ?
Je dirais : « Soyez curieux et curieuses », intéressez-vous à votre traitement, devenez patient·e-partenaire. Si vous devez être exposé·e au tramadol, les conseils de la Revue Prescrire se révèlent tout à fait pertinents : évitez les activités qui nécessitent une vigilance accrue, car le risque d’accident est avéré. Si vous devez ajouter un autre médicament, demandez l’avis d’un·e professionnel·le de santé. Ne consommez pas d’alcool, car vous risquez d’être plus confus·e et somnolent·e. Si vous vous rendez compte que le soulagement est insuffisant, n’augmentez jamais les doses de votre propre chef, consultez. Après quelques semaines de traitement, il y a lieu de passer par une réduction progressive des doses, sans arrêt brutal du médicament. À l’issue du traitement, les gouttes ou comprimés restants doivent être rapportés sans délai à la pharmacie. Enfin, en cas de sensation que quelque chose cloche ou que le contrôle se perd, il faut demander de l’aide.
Tout·e professionnel·le du travail social ou des soins devrait s’informer et posséder une boîte à outils de base de dépistage de la consommation d’opioïdes.
Quelle posture peut adopter un·e professionnel·le du travail social ou des soins qui se trouve face à un·e patient·e ou bénéficiaire semblant présenter un risque ou des signes de dépendance à ces produits ?
Le trouble d’utilisation des opioïdes est un diagnostic présent dans le DSM-5 [3]. Ainsi, tout comme il convient de ne pas badiner avec les prescriptions d’opioïdes, il ne faut pas se lancer non préparé·e dans ce type de discussion. Tout·e professionnel·le du travail social ou des soins devrait s’informer et posséder une boîte à outils de base de dépistage de la consommation d’opioïdes, s’il s’inquiète d’un potentiel mésusage chez un·e patient·e. Parmi les outils qui ne prennent pas de temps, dont les scores sont facilement disponibles et la sensibilité et la spécificité sont bonnes, figurent par exemple le Rapid opioid dependence screen [4] ou le OWLS, un outil de dépistage autoadministré en quatre points permettant de détecter les troubles liés à l’utilisation d’opioïdes sur ordonnance chez les personnes à qui l’on a prescrit un traitement à long terme.
Les patient·e·s dont le dépistage est positif pour le mésusage d’opioïdes doivent faire l’objet d’une évaluation plus poussée chez un spécialiste, être accompagné·e·s de façon multimodale et avec un traitement psychosocial si cela est nécessaire.
J’aimerais ajouter encore que c’est une thématique complexe et si un·e professionnel·le ne se sent pas à l’aise devant une situation, je préconise de ne pas briser le lien thérapeutique en adoptant une attitude rigide, mais plutôt de demander immédiatement une supervision auprès d’un addictologue ou d’un algologue.
De votre point de vue, pourquoi les médecins prescrivent-ils et elles davantage d’opioïdes pour les blessures légères lorsque du paracétamol pourrait suffire et que les risques liés à ces produits sont connus et documentés ?
Attention à ne pas tomber dans une vision manichéenne du système de santé : on ne peut pas travailler correctement toutes et tous ensemble en cherchant des coupables. Les polémistes invoqueraient évidemment la pression sur les coûts, obligeant les blouses blanches dépassées à prescrire rapidement un traitement puissant à une personne revendicatrice qui doit retourner travailler au plus vite, même s’il y a un risque d’en faire une future toxicomane. Ils elles accuseraient aussi sans doute les firmes pharmaceutiques qui désinforment les partenaires du réseau de santé afin d’augmenter les profits de leurs actionnaires. Il est indispensable de résister à ce type de pente cognitive, dont c’est le·a patient·e qui sortira perdant·e. Maintenant, il faut préciser qu’évaluer la douleur et la traiter n’est pas si facile ; cela nécessite des compétences spécifiques, des traitements multimodaux et du temps.
Concrètement, comment se pratique cette évaluation de la douleur et comment y répondre ?
Une évaluation adéquate comporte une compréhension de son étiologie. Chaque personne doit être considérée de manière holistique, en appréciant la douleur totale. Cela étant effectué, il convient de proposer la meilleure stratégie individuelle, y compris avec des moyens d’abord non pharmacologiques. Ensuite, je recommande aux prescripteurs de travailler avec un répertoire thérapeutique restreint, mais bien maîtrisé, car il y a une part de méconnaissance des médicaments, des indications pertinentes pour ceux-ci et des spectres d’effets indésirables. Par ailleurs, il convient de se tenir informé·e, s’abonner à une revue de pharmacothérapie pratique et synthétique, libre de conflits d’intérêts, pour optimiser son temps de révision et de lecture scientifique. Questionner sa pratique médicale en réfléchissant chaque fin de semaine à son volume de prescription des opioïdes, c’est aussi un moyen d’éviter d’en perdre le contrôle. Chaque patient·e a également une part de responsabilité, celle de devenir acteur ou actrice de son traitement. Finalement, du point de vue macroscopique, il est attendu des autorités réglementaires qu’elles protègent les humains en évitant de mettre sur le marché ou de rembourser des médicaments plus dangereux qu’utiles. Cela semble un programme ambitieux ? On peut alors commencer avec un petit pas, sans angélisme ni catastrophisme : pour chaque indication, choisir un traitement avec la meilleure balance bénéfice-risque.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
[1] Müller, D., Scholz, S.M., Thalmann, N.F. et al. Increased Use and Large Variation in Strong Opioids and Metamizole (Dipyrone) for Minor and Major Musculoskeletal Injuries Between 2008 and 2018: An Analysis of a Representative Sample of Swiss Workers. J Occup Rehabil (2023).
[2] Les overdoses liées à une mauvaise consommation d’opioïdes augmentent sans cesse aux USA. Entre février 2021 et février 2022, ce sont 82'000 décès qui ont été enregistrés. Source : « Aux Etats-Unis, les autorités sont dépassées par la crise des opioïdes : « On déplore des victimes dans tout le pays ». France Info, publié le 12 février 2023, consulté le 12 mai 2023.
[3] Edition la plus récente du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, publiée en 2022.
[4] RODS est un outil de dépistage de la dépendance aux opioïdes en huit points, administrable en tant qu'instrument autonome ou dans le cadre d'un entretien complet.
Les adolescent·e·s gèrent mal leur consommation des contenus numériques. Une première étude nationale menée par Addiction Suisse quantifie le phénomène.
L’étude nationale Health Behaviour in School-aged Children 2022 est la première à répertorier et quantifier l’usage des jeux en ligne et réseaux sociaux chez les jeunes. Elle révèle ainsi qu’un sixième environ des jeunes de 15 ans jouent tous les jours à des jeux vidéo en ligne. Parmi ces joueur·euse·s, 3% environ présentent un usage problématique.
Par ailleurs, plus de 80% des jeunes de cet âge vont quotidiennement sur les réseaux sociaux et le taux d’usage problématique s’établit à quelque 7% pour ces médias.
Pour évaluer l’usage problématique, dix questions tirées de l’Internet Gaming Disorder Test (IGDT-10) ont été posées aux élèves. Elles portaient, par exemple, sur le fait d’avoir essayé de consacrer moins de temps aux jeux vidéo sans y parvenir ou sur le recours aux jeux pour échapper à des sentiments négatifs, entre autres. L’étude estime que l’usage est problématique lorsque la réponse à au moins cinq des questions est « souvent ».
Cette tendance est plus marquée qu’en 2018, la pandémie pourrait expliquer cela, car elle sévissait lorsque les données ont été récoltées.
Enfin, cette étude a également permis de récolter des informations sur le cyberharcèlement : 8,3% des garçons de 15 ans et 13,6% des filles du même âge ont indiqué en avoir été victimes au moins une fois dans l’espace virtuel au cours des derniers mois. Chez les garçons, cela représente une hausse (+2,5 points) par rapport à 2018, alors que chez les filles, cette proportion est restée stable.
Pour rappel, Addiction Suisse conduit tous les quatre ans l’étude nationale représentative sur les comportements de santé des 11 à 15 ans (Health Behaviour in School-aged Children). Le rapport sur les activités en ligne, qui se fonde sur les données de 2022, retrace l’évolution récente.
(Addiction Suisse/YT)
Nouvel indicateur, le taux de privation matérielle et sociale représente la part d'individus devant renoncer à des biens, services et activités sociales pour raisons financières. En 2021, 5,2% de la population en Suisse était concernée.
Le taux de privation matérielle et sociale est une adaptation du taux de privation matérielle publié jusqu’à présent, qu’il remplace aussi bien en Suisse qu’au niveau européen. En 2021, sa valeur en Suisse (5,2%) était nettement inférieure à la moyenne européenne (11,9%). Parmi les pays voisins, seule l’Autriche affichait un taux inférieur (4,4%). Les valeurs mesurées en Allemagne (9,0%), en Italie (11,3%) et en France (11,4%) étaient en revanche nettement supérieures. Le taux de privation matérielle et sociale était le plus élevé en Roumanie (34,5%) et le plus faible en Suède (3,5%).
Comme jusqu’ici, la forme la plus courante de privation en Suisse réside dans l’incapacité à faire face à une dépense inattendue de 2’500 francs dans un délai d’un mois. Près d’un cinquième de la population (18,9%) vivait dans un ménage qui n’était pas en mesure de le faire.
La statistique considère désormais d’autres domaines, qui servent à déterminer la possibilité de participer à la vie sociale (voir l’encadré ci-dessous). Ainsi, 7,9% de la population a dû renoncer, pour des raisons financières, à des activités de loisirs régulières payantes, 3,5% n’ont pas pu s’acheter de nouveaux vêtements de temps en temps et 3,0% n’ont pas pu se permettre de rencontrer des amis ou de la famille au moins une fois par mois pour manger ou boire un verre.
En 2021 (revenus de 2020), 8,7% de la population suisse, soit environ 745’000 personnes, vivaient dans la pauvreté en termes de revenu. Le taux de pauvreté se situait ainsi pratiquement à son niveau d’avant la pandémie (8,5% en 2020 et 8,7% en 2019). Comme les années précédentes, la pauvreté touche plus particulièrement les personnes de nationalité étrangère, les personnes vivant seules ou dans des ménages monoparentaux, ainsi que les personnes sans formation postobligatoire et celles vivant dans des ménages ne participant pas au marché du travail.
Le taux de pauvreté de la population active occupée reste stable depuis 2019, à 4,2%. En 2021, quelque 157’000 personnes ne disposaient pas d’un revenu supérieur au seuil de pauvreté, alors même qu’elles exerçaient une activité rémunérée. En 2021, sa valeur moyenne se situait à 2’289 francs par mois pour une personne seule et à 3’989 francs pour deux adultes et deux enfants. Ces montants doivent couvrir les dépenses quotidiennes (nourriture, hygiène, transports, etc.) et les frais de logement, mais pas les primes de l’assurance-maladie obligatoire. Celles-ci sont préalablement déduites du revenu des ménages, à l’instar des cotisations aux assurances sociales, des impôts et d’éventuelles pensions alimentaires.
Le niveau de vie général est estimé à partir du revenu disponible équivalent médian, après correction des différences de niveaux de prix entre les pays. En Suisse, ce revenu était 2,7 fois plus élevé qu’en Grèce, 1,5 fois plus élevé qu’en Italie, 1,3 fois plus élevé qu’en France et 1,1 fois plus élevé qu’en Allemagne et en Autriche. Malgré le niveau élevé des prix, la Suisse affiche un niveau de vie supérieur à celui des pays voisins et de la majorité des pays de l’UE. La satisfaction moyenne dans la vie actuelle est aussi relativement élevée en Suisse. Mesurée sur une échelle de 0 à 10, elle a atteint 7,9 en 2021. Seule l’Autriche affichait une valeur plus élevée (8,0).
Des informations sur la méthodologie appliquée ainsi que d’autres résultats sur le nouveau taux de privation matérielle et sociale figurent dans la publication intitulée « Privations matérielles et sociales ».
(Source : communiqué de presse OFS)
Définitions
Une personne est en situation de privation matérielle et sociale si elle est confrontée à un manque, pour des raisons financières, dans au moins cinq des treize domaines de la vie quotidienne dans lesquels la population européenne considère qu’il est souhaitable, voire essentiel, d’être satisfait pour avoir un niveau de vie décent. La privation matérielle et sociale sévère est définie comme un manque dans au moins sept des treize domaines considérés.
Les domaines considérés au niveau du ménage sont les suivant :
- Absence d’arriérés de paiements (factures de loyer ou d’intérêts hypothécaires pour le domicile principal, factures d’eau, d’électricité, de gaz et de chauffage, ainsi que remboursements de crédits)
- Capacité à faire face à une dépense inattendue de 2’500 francs dans un délai d’un mois
- Capacité à s’offrir chaque année une semaine de vacances hors de son domicile
- Capacité à s’offrir un repas composé de viande, de poisson ou d’un équivalent végétarien au moins tous les deux jours
- Capacité à chauffer convenablement son domicile
- Disposer d’une voiture à usage privé
- Remplacer ses meubles usés
Les domaines considérés au niveau individuel sont les suivants :
- Avoir accès à Internet à domicile (y c. smartphone ou tablette)
- Remplacer des vêtements usés par quelques vêtements neufs
- Possession de deux paires de chaussures de la bonne pointure, dont une adaptée à tous les temps
- Dépenser une petite somme d’argent chaque semaine pour soi-même, sans avoir à consulter un autre membre du ménage
- S’offrir régulièrement une activité de loisirs payante
- Se réunir en famille ou entre amis autour d’un verre ou un repas au moins une fois par mois
La pauvreté monétaire est définie selon deux approches : une approche absolue et une approche relative. Ces deux approches ne considèrent que le revenu et ne tiennent pas compte de l’éventuelle fortune (pauvreté en termes de revenu).
Le taux de pauvreté se réfère à un seuil « absolu » : sont considérées comme pauvres les personnes qui n’ont pas les moyens financiers d’acquérir les biens et services nécessaires à une vie sociale intégrée. Le seuil de pauvreté est basé sur les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Il se compose d’un montant forfaitaire pour l’entretien et les frais individuels de logement ainsi que de 100 francs par mois et par personne de 16 ans ou plus vivant dans le ménage pour d’autres dépenses. Le seuil de pauvreté est comparé au revenu disponible du ménage.
Le taux de risque de pauvreté est basé sur un seuil « relatif » : sont considérées comme étant à risque de pauvreté les personnes dont le revenu est sensiblement inférieur au niveau de revenu habituel dans le pays considéré. La pauvreté est donc envisagée ici comme une forme d’inégalité. Par convention, le seuil de risque de pauvreté est fixé par l’Union européenne à 60% de la médiane du revenu disponible équivalent.
Sont considérées ici comme personnes actives occupées les personnes de 18 ans ou plus qui ont exercé une activité salariée ou indépendante pendant la plus grande partie de l’année civile précédant l’interview, c’est-à-dire pendant plus de la moitié des mois de l’année. Sont prises en compte tant les activités professionnelles exercées à plein temps que celles à temps partiel.
La médiane ou valeur centrale partage l’ensemble des valeurs observées, classées par ordre de grandeur, en deux moitiés de taille égale. Une moitié des valeurs se situe au-dessus de la médiane, l’autre moitié au-dessous.
Le revenu brut d’un ménage est la somme des revenus de tous les membres du ménage. Il comprend les revenus d’une activité professionnelle salariée ou indépendante, les rentes et les transferts sociaux, les revenus de la fortune, les contributions d’entretien et les autres transferts réguliers reçus d’autres ménages.
Le revenu disponible des ménages se calcule en déduisant de leur revenu brut les dépenses obligatoires, à savoir les cotisations aux assurances sociales, les impôts, les primes d’assurance- maladie (assurance de base), les pensions alimentaires versées et autres contributions d’entretien régulièrement versées à d’autres ménages.
Le revenu disponible équivalent se calcule à partir du revenu disponible du ménage en tenant compte, au moyen d’une échelle d’équivalence, de la taille et de la composition du ménage : la personne la plus âgée reçoit le coefficient 1,0, chaque personne de 14 ans ou plus le coefficient 0,5, chaque enfant de moins de 14 ans le coefficient 0,3. Cela permet de tenir compte des économies réalisées par les ménages composés de plusieurs personnes.
Pour les comparaisons européennes, le revenu disponible équivalent est exprimé en standard de pouvoir d’achat (SPA), une unité monétaire artificielle qui élimine les différences de niveaux de prix entre les pays. Un SPA permet d’acheter la même quantité de biens et de services dans tous les pays, d’où son utilité pour comparer les indicateurs économiques de différents pays.
Voir la publication « Privations matérielles et sociales », OFS, 2023
Défendre une cause dans la rue ou par le lobbying n’est pas la seule façon de la faire avancer. L’aide individualisée est aussi un levier. Le chercheur Jonathan Miaz, co-auteur de « Militantismes de guichet », fait le point.
(Reiso) Qu’est-ce qui vous a incité, vous et les autres auteur·trice·s, à écrire ce livre collectif ?
(Jonathan Miaz, chercheur à l’Université de Lausanne) Nous sommes parti·e·s du constat qu’un certain nombre d’associations ou de groupes militants recourent à un mode d’action de guichet en proposant des services individuels à leur public cible. Il peut s’agir de conseil juridique, de soutien psycho-social, d’aide médicale, ou encore de distribution de biens. Si les manifestations de rue, les occupations de lieux, la grève, ou encore le boycott sont des actions classiques des mouvements sociaux qui ont souvent été analysés, notre ouvrage réunit des enquêtes ethnographiques qui portent sur le militantisme de guichet.
Jusqu’à présent, il a été peu étudié comme forme d’action militante par la sociologie des mouvements sociaux. Cela est surtout lié au fait que le guichet est moins spectaculaire et correspond moins à l’idée, peut-être « romantique », que l’on se fait du militantisme. C’est justement l’attention au terrain qui nous a permis d’en voir l’importance aujourd’hui.
En quoi fournir une aide plutôt bureaucratique ou de service s’apparente à du militantisme ?
Les associations et les organisations militantes agissent souvent sur plusieurs fronts. Elles font du lobbying dans la sphère politique, elles organisent des manifestations ou interviennent dans les médias pour sensibiliser le public et elles ajoutent parfois à leur répertoire d’actions un dispositif de guichet. Celui-ci est alors tourné vers les individus. Leur action se situe « sur le terrain », par exemple au niveau de la mise en œuvre des politiques publiques et du droit, ou des services offerts à des populations spécifiques.
En prenant l’exemple des permanences juridiques pour requérant·e·s d’asile, on peut considérer qu’elles mènent la lutte politique sur le terrain du droit et de son application, avec une dimension à la fois individuelle et collective. D’une part, l’aide juridique peut déboucher sur une décision positive individuelle, ce qui a des effets sur la trajectoire de vie de la personne concernée. D’autre part, certaines décisions individuelles ont parfois un effet collectif car elles peuvent faire jurisprudence. Ainsi, la défense juridique permet parfois de transformer le droit d’asile et son application par l’administration. Ces évolutions peuvent être ambivalentes car elles peuvent amener, par la suite, les autorités politiques à durcir le droit d’asile pour « boucher les failles » ouvertes par la jurisprudence.
Le militantisme de guichet sert-il vraiment la cause qu’il cherche à défendre ?
L’impact de ce type d’action est effectivement parfois mitigé ou ambivalent. Le dispositif de guichet peut limiter l’action des organisations militantes au seul niveau individuel et ne pas permettre suffisamment de monter en généralités. Parfois, des victoires individuelles peuvent, à plus long terme, se retourner contre la cause globale. Dans d’autres cas, l’usage qui est fait du guichet par les bénéficiaires ne correspond pas forcément à l’objectif de départ. Cela arrive par exemple lorsqu’un bureau destiné aux femmes qui renoncent à avorter distribue des couches et que les personnes qui en profitent ne sont pas forcément celles qui pensaient mettre un terme à leur grossesse. Le guichet est aussi un outil pour recruter de nouveaux membres et si l’association peut se prévaloir d’un nombre élevé d’adhérent·e·s, cela donne du poids au lobby politique qu’elle souhaite exercer. Enfin, ce type de service à l’individu sert également à faire connaître la problématique qu’il soutient à un plus large public. Aujourd’hui, les actions militantes des organisations s’articulent donc autour de plusieurs axes collectifs et individuels, permettant de mieux défendre les causes qui les animent.
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
Martina Avanza, Jonathan Miaz, Cécile Péchu et Bernard Voutat (dir.) « Militantismes de guichet », Ed. Antipodes, 2023, 408 pages
Dans le podcast « Faites des gosses », plusieurs expert·e·s abordent des thématiques très diverses qui touchent à la parentalité. Une ressource claire et instructive.
Comment ne pas transmettre ses traumatismes à ses enfants ? Pourquoi les enfants aiment les histoires ? Comment surmonter un accouchement compliqué ? Comment prendre confiance dans son rôle de parent face aux injonctions, parfois paradoxales, de l’entourage ? Ces questions et bien d’autres sont abordées dans la série de podcasts Faites des gosses, menée par la journaliste française Marine Revol. Ses interlocuteurs et interlocutrices livrent un éclairage intéressant et novateur sur des problématiques qui touchent les parents.
À titre d’exemple, dans le podcast Comment ne pas transmettre ses traumatismes à ses enfants ?, le psychiatre Serge Tisseron explique comment les non-dits, les secrets de famille d’un parent peuvent affecter les enfants, même les plus petit·e·s. En effet, ils·elles imitent les émotions du parent et sont très dépendant·e·s de ses réactions émotionnelles. Ainsi, si un père est triste dès qu’un avion passe dans le ciel, car cela lui rappelle le décès d’un être cher lors d’un crash, le petit ou la petite va associer l’avion à quelque chose de négatif, sans savoir pourquoi. Cet exemple un peu simpliste reflète ce qui se passe chez les plus jeunes face à des secrets de famille ou des traumatismes qu’ils ressentent chez leurs parents sans les connaître.
Serge Tisseron se montre catégorique : « Parlez, même si l’enfant n’est pas en mesure de comprendre. Il n’est jamais trop tôt pour commencer à lui parler de ses traumatismes. » Nul besoin de rentrer dans les détails, mais il est impératif de dire les choses afin que l’enfant ne développe pas un traumatisme par « imitation » ou une attitude négative face à des choses qu’il ne comprend pas et qui ne le concernent fondamentalement pas directement.
Faites des gosses permet de trouver des réponses dûment documentées à une partie des questions qui taraudent souvent les parents. Pour chaque épisode du podcast, qu’il touche le sommeil des bébés, l’alimentation, la fatigue parentale, entre autres, des références de livres, d’articles et même de films abordant la même thématique sont proposées.
(Yseult Théraulaz)
Faire des liens entre une prestation de soin et la région où elle est disponible, ainsi qu’identifier les besoins ou les améliorations nécessaires font partie des objectifs de cet outil interactif.
Le premier Atlas suisse des services de santé a été mis en ligne en 2017 à la suite du travail minutieux de l’Académie suisse des sciences médicales. Sans cesse enrichi et mis au goût du jour, la dernière version de cet outil interactif est disponible depuis ce mois d’avril.
L’Atlas version 2023 mesure plus de cent indicateurs différents en lien avec des prestations fournies par les services de santé en Suisse. Ceux-ci sont regroupés dans seize catégories : cœur, poumons, vaccinations, appareil locomoteur, procédure d’imagerie médicale, entre autres. Pour chacun d’eux, plusieurs sous-sections sont proposées.
À titre d’exemple, lorsque l’on ouvre l’onglet sur l’appareil locomoteur, on peut ensuite choisir entre les fractures du col du fémur, la reconstruction plastique d’un hallus valgus, entre autres. Pour chacune des options proposées, l’Atlas montre, sur la carte de la Suisse, la répartition géographique des traitements. Il fournit également une définition du traitement sélectionné.
Une série de graphiques en lien avec le domaine choisi permet de se faire une idée plus claire de la thématique : traitement stationnaire ou en ambulatoire ; proportions d’hommes ou de femmes ; évolution temporelle, entre autres.
L’Atlas livre ainsi des informations utiles pour la recherche sur les services de santé. C’est un allié de taille pour aider à planifier et à gérer les ressources en fonction des besoins.
(Yseult Théraulaz)
Par méconnaissance ou honte, un grand nombre de personnes de plus de 65 ans renoncent à se faire aider par l’État.
Environ 15,7% des personnes de plus de 65 ans vivant chez elles ne demandent pas les prestations complémentaires dont elles pourraient toutefois bénéficier. C’est ce que révèle le deuxième rapport partiel de l’Observatoire national de la vieillesse.
Une analyse de cette enquête a été menée par la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW) afin de comprendre les raisons de ce résultat. Elle en a identifié quatre principales.
L’une d’elles est une méconnaissance de l’existence de ces prestations complémentaires. Pour rappel, toute personne dont les rentes AVS ne suffisent pas à couvrir les coûts de la vie a droit à une aide financière de l’État. Elle peut prendre la forme de versements mensuels mais aussi de remboursements des frais de maladie.
Une autre raison qui explique le non-recours est la renonciation volontaire. Les personnes préfèrent s’abstenir de demander les prestations complémentaires, car les démarches administratives sont jugées trop compliquées. La troisième explication mise en avant par l’analyse de la ZHAW est le refus des personnes concernées d’être un fardeau pour l’État et de dépendre de l’argent des autres.
Enfin, la honte ou la peur constituent le quatrième motif de non-recours. Les seniors ne veulent pas être stigmatisés en tant que bénéficiaires de prestations complémentaires ou, lorsqu’ils n’ont pas la nationalité suisse, craignent de perdre leur droit de séjour s’ils les touchent.
Le rapport a montré également que les femmes, les ressortissant·e·s étranger·e·s ainsi que les veufs ou les veuves ou encore celles et ceux qui n’ont pas fait d’études secondaires ou tertiaires constituent l’essentiel des non-recourant·e·s.
(Yseult Théraulaz)
Comment apporter un soutien non moralisateur aux personnes âgé·e·s en proie à des problèmes de dépendances ? La réponse dans une brochure spécifique.
Les patient·e·s âgé·e·s en proie à des problèmes de dépendance représentent un public toujours plus important pour les professionnel·e·s des addictions. La faute à une expérience de vie qui s’allonge et à une multiplication des addictions possibles (jeux d’argent, internet, substances, entre autres).
Afin de mieux les encadrer et de leur apporter écoute et soutien, le guide d’éthique professionnelle à l’intention des médecins de famille et des médecins en institution, élaboré par la Fachverband Sucht (Fédération des addictions) et le Groupement romand d'étude des addictions, vient d’être traduit en français.
Cette brochure explique ainsi que : « l’établissement d’un concept (plus fréquent dans les institutions) pour l’accompagnement des personnes âgées souffrant d’une addiction protège les patient·e·s contre un traitement arbitraire, les médecins et le personnel soignant contre le stress moral ou la répression, et facilite la prise de décision. »
Mieux connaître la problématique des seniors pris dans l’engrenage des dépendances, mieux cerner les enjeux de santé qui se cachent derrière ces situations particulières, en parler ouvertement sans user d’un ton moralisateur font partie des pistes présentées dans ce guide.
Impliquer les proches, demander de l’aide à des spécialistes des addictions et laisser également le·la patient·e faire preuve d’autodétermination font aussi partie des conseils préconisés. Car quelle que soit l’avis du médecin : « (…) la décision de combattre une consommation problématique est finalement toujours du ressort de la personne concernée. »
Une liste de questions « fondamentales introspectives », auxquelles les professionnel·e·s peuvent se soumettre pour mieux gérer les différents cas qu’ils et elles rencontrent est aussi présentée dans cette brochure déontologique. Préserver l’intégrité des seniors étant une des priorités, peu importe l’avis personnel sur les dépendances du médecin qui les traite.
(Yseult Théraulaz)
Un dossier thématique complet, proposé par une association belge, montre à quel point bouger est bon pour tout le monde. Aperçu.
« Une activité́ physique régulière contribue à une bonne santé physique et mentale. Elle est bénéfique pour les personnes de tous âges et de toutes capacités, et il n’est jamais trop tard pour devenir plus actif et moins sédentaire et améliorer ainsi son état de santé. Pourtant, 81% des adolescents et 27,5% des adultes ont actuellement un niveau d’activité́ physique inférieur à celui recommandé par l’OMS, ce qui a des conséquences pour eux tout au long de leur vie (…), mais aussi pour (…) la société́ dans son ensemble ». Voilà ce que l’on peut lire dans le Rapport mondial de situation sur l’activité physique 2022 publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ce cadre posé, l’association belge Culture&Santé, qui œuvre pour la promotion de la santé, d’éducation permanente et de cohésion sociale, a exécuté un travail minutieux afin de proposer un dossier très complet sur cette thématique. Intitulé Promouvoir l’activité physique : un enjeu pour la santé de toutes et tous, il passe en revue ce qui se fait à travers le monde pour aider les populations à bouger davantage. Il fournit également une grande quantité d’études et d’articles scientifiques sur le sujet, travaux réalisés en France, en Belgique, au Canada, au Luxembourg et en Suisse.
Parmi les aspects passés en revue dans ce dossier figure celui qui s’intéresse à l’activité physique sous le prisme de l’âge et du genre. Selon le niveau d’éducation, les revenus et la situation professionnelle, les personnes sont plus ou moins actives. « À cette distribution sociale, s’ajoutent des inégalités dans la participation à l’activité́ physique selon d’autres caractéristiques de stratification sociale comme le genre (avec des femmes généralement moins actives que des hommes), l’âge ou l’incapacité́ », lit-on dans le document belge. La pratique sportive des hommes et des femmes est également abordée sous l’angle des inégalités.
Un autre chapitre intéressant concerne l’aménagement du territoire, vu comme un levier pour lutter contre la sédentarité et favoriser la mobilité douce. « Les interventions en environnement bâti sont prometteuses pour accroître la pratique d’une activité́ physique de loisirs. Les interventions qui ont démontré́ de bons résultats sont celles liées à la construction de nouveaux parcs ou à la rénovation des parcs existants et à l’aménagement du territoire (…) », précise le dossier. Agir sur la densité des quartiers, sur le réseau de routes et de pistes cyclables peut vraiment faire la différence.
Les multiples chapitres ainsi que la grande quantité de références permettent de mieux comprendre les enjeux de l’activité physique sur la santé de la population et donnent des exemples concrets de ce qui se fait dans plusieurs pays.
(Yseult Théraulaz)
Consulter le dossier thématique «Promouvoir l’activité physique: un enjeu pour la santé de tous et toutes». Association Culture&Santé, Belgique, 2022, 45 pages.