La précarité du travail mine la cohésion sociale
Le travail ne garantit pas l’intégration des personnes. Sa précarisation est un facteur de risque qui pèse sur la santé des employés et in fine sur la collectivité toute entière.
Par François Hainard, professeur à l’Institut de sociologie et de sciences politiques de l’Université de Neuchâtel
Le travail reste à ce jour un élément fondamental de l’intégration sociale des individus. En tant que « lien organique », il offre bien plus qu’un salaire pour vivre : un statut et une légitimité sociale. A ce titre, son absence sous forme de chômage est largement reconnue comme l’un des principaux risques d’exclusion, contribuant à l’appauvrissement tant monétaire que social des individus.
De là à déduire qu’avoir un emploi protège en soi de l’exclusion sociale, il n’y a qu’un pas, souvent franchi en particulier dans les politiques d’insertion socio-professionnelle. Pourtant, le développement de formes d’emploi atypiques, souvent marquées par la précarité, ou de la pauvreté laborieuse (working poor) révèlent que les choses ne sont pas aussi simples que cela.
A travers différentes analyses statistique, cette recherche (voir ci-dessous) confirme que la précarité professionnelle – définie comme la précarité de l’emploi (travail temporaire, risque de licenciement) et/ou du travail (conditions de travail pénibles, intensification du travail et pression à l’adaptabilité des travailleurs et travailleuses) – est elle aussi un facteur d’exclusion sociale. Elle est en particulier directement liée à différents indicateurs de pauvreté (endettement, retards de paiement, déprivation, bas revenus, logement de moindre qualité).
La santé est en jeu
Elle va de pair avec une moindre participation sociale, tant en ce qui concerne le rapport aux institutions (confiance dans les institutions, participation politique) que les relations interpersonnelles (activités en public, contacts sociaux, soutien de la part des proches). Elle déploie aussi des effets négatifs sur la santé (santé auto-estimée, jours sans pouvoir excercer ses activités habituelles, divers symptômes de stress au travail tels que les problèmes de sommeil, les maux de dos ou de tête, etc.).
Dans tous les cas, la précarité du travail joue, en Suisse, un rôle plus négatif que celle de l’emploi. Ainsi, les personnes faisant état d’une insatisfaction dans leur travail (indicateur utilisé pour mesurer la précarité du travail) ressortent comme les plus exposées aux risques d’exclusion sociale, qu’elles connaissent ou non en parallèle une insécurité de l’emploi.
Ces constats se retrouvent parmi les femmes comme parmi les hommes - même si le risque d’exclusion ne se présente pas de la même manière pour les deux sexes. Ils se confirment également au regard des trajectoires individuelles : la précarité professionnelle, lorsqu’elle perdure, augmente le risque d’une détérioration de la situation économique, des relations interpersonnelles et de divers aspects de la santé. On peut donc affirmer que la précarité professionnelle est un élément moteur dans les processus qui mènent à l’exclusion sociale, même si elle n’est pas seule en cause.
La collectivité paye les pots cassés
Les inégalités sociales en lien avec l’exercice d’une activité rémunérée ne sont pas nouvelles. Elles ont pourtant largement disparu du débat public, notamment parce que la Suisse a adopté un mode de régulation du marché du travail qui limite l’intervention de l’Etat au profit de la concertation entre les partenaires sociaux. Ceci contribue à renvoyer les discussions autour des conditions de travail et d’emploi dans les salles de négociation entre patronat et syndicats. Il y a pourtant un intérêt manifeste à remettre la question des liens entre précarité professionnelle et précarité sociale au centre du débat public et des préoccupations de l’action sociale.
En effet, cette étude, confirmant pour la Suisse des éléments déjà mis en évidence à l’étranger, démontre que la précarité professionnelle fait courir un risque social aussi humainement inacceptable que coûteux pour la collectivité. Tout d’abord, celle-ci se substitue de plus en plus aux entreprises pour assurer un minimum vital aux personnes dont les salaires sont insuffisants pour faire vivre leur ménage. Ensuite, elle assume des coûts de santé en augmentation croissante dont une partie est à mettre en lien avec les conséquences négatives de la précarité professionnelle sur la santé.
- Ce résumé est issu de l’une des recherches du PNR 51 sur l’intégration et l’exclusion. Son titre est "Mécanismes d’intégration et d’exclusion par le travail dans un environnement économique et social en mutation". L’enquête est signée par Pascale Gazareth, Malika Wyss et Katia Iglesias, sous la direction de François Hainard