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L'innovation sociale, ce catalyseur fédérateur

Lundi 22.07.2024
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Les approches liées à l’innovation sociale s’inscrivent comme des vecteurs d’unité dans le travail social. Implémenter ces outils de manière durable sur les terrains représente donc un enjeu de développement de la profession.

Par Aline Félix, assistante HES, Romain Descloux, maître d’enseignement HES, Guillaume Dafflon, assistant HES, Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HES-SO) et Gloria Arici, chargée de projet enfance et jeunesse ; co-fondateur·trices de l’Association Suisse romande pour l’innovation en travail social (ASRITS).

Quel est le rôle de l'innovation sociale dans le domaine du travail social ? En quoi dispose-t-elle d’un potentiel fédérateur pour surmonter les diversités et les écueils rencontrés sur le terrain ? Les écrits de plusieurs auteurs et autrices (ex : Maeder et al., 2024) ont déjà démontré l'importance des méthodes d'innovation sociale dans le domaine du travail social. D’une part, ces travaux soulignent que cette approche permet de comprendre au mieux les réalités institutionnelles et, par conséquent, d'y répondre de manière efficace (Félix et al., 2022). D'autre part, ils mettent en exergue que ces méthodes offrent au travail social la possibilité d'acquérir une légitimité scientifique, contribuant ainsi à son statut de discipline professionnelle et académique à part entière (Rullac, 2021a).

Au-delà de proposer une réflexion sur la façon dont l'innovation sociale peut contribuer au développement d'une profession indépendante et reconnue, cet article vise à apporter un éclairage supplémentaire sur les enjeux des méthodes d'innovation sociale dans le domaine du travail social, en mettant l'accent sur leur aspect fédérateur. En effet, le champ du travail social se caractérise par des diversités considérables en termes de missions, de publics, de structures et de moyens mis en œuvre (Bouquet, 2007). Les professionnel·les, qui proviennent de cursus de formations variés (ES, HES, universités), agissent sur des bases très différentes, ce qui complexifie leur cohésion en tant qu’entité professionnelle. Autrement dit, les « frontières mouvantes du travail social » (Bouquet, 2007) compliquent l’unité des travailleur·euses sociales.

En favorisant la collaboration, le partage d'expériences et l'exploration collective de solutions novatrices, les méthodes d'innovation sociale disposent d’un potentiel pour répondre à l’objectif commun et fondamental du travail social : œuvrer pour l'amélioration des conditions de vie des personnes concernées. En plus, la systématisation de l’usage de ces méthodes par les organismes sociaux contribuerait à transcender les clivages cités plus hauts, créant ainsi une plateforme commune où les professionnel·les du travail social pourraient converger. Cette unification sous une bannière commune, l’innovation en travail social (Parpan-Blaser, 2011), pourrait constituer un catalyseur puissant pour renforcer la cohésion au sein de la discipline.

Les écueils de l’innovation sociale

L'innovation sociale, grâce à son approche holistique et collaborative, émerge comme un pilier dans les disciplines professionnelles et académiques des terrains du travail social, offrant ainsi une réponse adaptée aux multiples contextes rencontrés. Malgré ses avantages avérés, son intégration et son développement sur les terrains du travail social se voient ralentis par plusieurs écueils, notamment d'ordre politique et épistémologique.

La pression croissante exercée par les principes de la nouvelle gestion publique impose au domaine social « la triple obligation d’être productif, d’être performant et d’être rentable » (de Gaulejac, 2006, p. 35). En mettant l'accent sur la rentabilité économique, ces impératifs dénaturent les missions et les valeurs humaines du champ, soulignant ainsi le manque de soutien et de ressources, tant financières qu'institutionnelles, qui entravent la concrétisation d'initiatives novatrices basées sur des approches collaboratives. Ces contraintes limitent d’une part la mise en œuvre et la pérennité des innovations sociales sur les terrains ; d’autre part, elles réduisent la capacité du corps professionnel à concevoir et ajuster des interventions guidées par la relation et la créativité. Ainsi, des réformes politiques et institutionnelles demeurent indispensables pour stimuler l’innovation sociale au service des professionnel·les du travail social et de la société.

L'innovation en travail social repose sur une approche épistémologique mobilisant des « savoirs scientifiques, professionnels et d'usages » (Rullac, 2021b, p. 34). En encourageant la collaboration entre des acteur·trices détenant des savoirs différents dans une perspective démocratique, ce paradigme transcende les structures hiérarchiques et les configurations organisationnelles traditionnelles. De nombreux·se auteurs et autrices ont signalé que cette tension conduit à un manque de légitimité scientifique et méthodologique, freinant le développement des innovations sur les terrains du travail social. La complexité réside par exemple dans la capacité de décentration des postures classiques, appelant les scientifiques et les professionnel·les à acquérir des compétences et des outils inédits pour articuler la pluralité des points de vue des parties prenantes (Kempter & Descloux, 2022).

L’innovation en travail social: du concept à la pratique

Pour les personnes issues du terrain, l’innovation sociale peut représenter un concept lointain et ambitieux, compris comme une réponse à un défi majeur et qui change « fondamentalement les pratiques, les approches et les services » (Parpan-Blaser, 2011). Toutefois, le spectre de l’innovation sociale se déploie de l’évolution des pratiques existantes en s’appuyant sur des besoins et problèmes existants (développement) à la création de nouvelles méthodes basées sur des besoins et problèmes nouvellement identifiés (innovation totale) (Osborne, 1998).

La différence entre ces innovations sociétales, qui s’appliquent à large échelle, et l’innovation en travail social, qui prend en compte les besoins spécifiques de chaque terrain et s’y applique directement, est toutefois à opérer. Le rayon est large et l’innovation en travail social peut être mise en place à des échelles et avec des moyens adaptés aux ressources et besoins des structures participantes. Il semble pertinent de souligner que l'innovation sociale est déjà présente dans de nombreuses entités, à divers niveaux, bien qu'elle ne soit pas toujours qualifiée comme telle. Il s’avère aujourd’hui crucial d'appliquer l'innovation de manière structurée et conscientisée, afin de favoriser l’évolution du rôle et de la légitimité du travail social, faisant passer ses acteur·trices de simples exécutant·es à élaborateur·trices des pratiques et politiques sociales.

En termes de reconnaissance, il importe de souligner les bénéfices concrets de l'application de l'innovation en travail social. Dans cette optique, il se révèle essentiel de mettre en place des dispositifs qui facilitent l'accessibilité et l'appropriation de ses outils et de ses méthodes par les professionnel·les sur le terrain. Des approches telles que la recherche-action collaborative, le design thinking et le co-design, qui favorisent l’implémentation d’une culture de la participation et de la reconnaissance de la voix des professionnel·les et des bénéficiaires, peuvent jouer un rôle crucial dans cette démarche. Via ces dispositifs, l'innovation en travail social insuffle un état d'esprit plus entreprenant, permettant d'imaginer de nouvelles pratiques et approches dans l'accompagnement social.

Vers une culture de l’innovation dans le travail social

L’implémentation d’une culture d’innovation sur les terrains constitue un enjeu considérable pour la fédération du travail social. Toutefois, faire ce pari signifie devoir mettre simultanément deux dimensions en mouvement. Si, en créant un ensemble de connaissances et de pratiques absolument endogènes à la profession (Rullac, 2021a), l’innovation sociale peut être perçue comme un moteur de disciplinarisation du travail social, cette culture ne prendra réellement sens que si elle gagne les terrains et y reste implantée durablement.

C’est pourtant bien cette implantation durable de la culture de l’innovation qui permettrait au travail social de gagner en unité et en force. En effet, l’innovation sociale se caractérise par une articulation des savoirs multiples et par le recours à une série d’outils collaboratifs ouvrant un espace de partage qui rend possible la rencontre entre les mondes scientifique, professionnel et d’usage des dispositifs. Le développement et l’appropriation des processus d’innovation dans la profession contribueraient à renforcer la cohésion du travail social par le biais de deux aspects fondamentaux s’autorenforçant. Pour commencer, développer la culture de l’innovation rend possible la création d’une ligne d’action unifiée pour l’ensemble de la profession. Elle permet par ailleurs la production d’une série de savoirs endogènes nécessaires à la reconnaissance du travail social en tant que discipline à part entière. De plus, les outils d’innovation redonneraient un certain pouvoir aux terrains du travail social et les rendraient ainsi plus à même d’atteindre leur mission fondamentale de changement social.

La timidité des processus d’innovation dans la profession est à la fois surprenante considérant les objectifs du travail social, et à la fois logique lorsqu’on la lit comme une conséquence des écueils organisationnels et politiques en lien avec la nouvelle gestion publique (de Gaulejac, 2006). Rendre ces outils accessibles aux terrains et connus par les décideur·ses politiques s’inscrit ainsi comme un enjeu majeur si l’on souhaite s’en servir comme vecteur d’unité au sein du travail social. C’est seulement dans ces conditions que l’innovation sociale pourra contribuer au développement d’une profession indépendante et reconnue.

Bibliographie


Lire également :

Comment citer cet article ?

Aline Félix, Romain Descloux, Guillaume Dafflon, et Gloria Arici, «L'innovation sociale, ce catalyseur fédérateur», REISO, Revue d'information sociale, publié le 22 juillet 2024, https://www.reiso.org/document/12838