Punir est anti-éducatif et contre-productif !
La punition est une pratique qui subsiste dans le monde de l’éducation. Mais son application relève plus du malaise de l’éducateur que du besoin de l’enfant.
Par Lwakale Mubengay Bafwa, éducateur social dans un centre d’accueil d’urgence
La punition est un acte de communication. Un acte qui déclare la culpabilité, répond à l’infraction commise et réaffirme la norme transgressée. Michel Foucault (1) fait le rapprochement entre punition et supplice. Il l’interprète comme une démonstration du pouvoir à dessein répressif et persuasif pour le châtié, et dissuasif pour les potentiels punissables. Souvent, l’accent est mis sur la publicité de la peine infligée pour en souligner la visée correctrice. Bien que sa finalité soit évidente dans la logique judiciaire ; en quoi vaudrait-elle dans le cadre d’une mission socio-éducative ?
Si l’éducation vise l’émancipation, l’autonomie et la responsabilisation du sujet, sanctionner une faute par une peine ne sert qu’à provoquer la peur, l’obéissance ou la révolte. Il est donc évident que la punition n’a rien d’éducatif et, en conséquence, elle n’a aucune place et aucun rôle à jouer dans l’accompagnement socio-éducatif. Que faire alors lorsque les règles, qui assurent la cohésion et l’harmonie sociales, sont transgressées ?
Transgresser n’a rien de pathologique
Que le judiciaire s’emploie à châtier, à blesser, à soumettre et à vexer, force est de constater qu’il a les moyens, non seulement de décréter des punitions, mais aussi d’en assurer l’application et que la visée correctrice est peut-être à ce prix. L’optique socio-éducative inverse la problématique en réduisant les règles de vie et leurs inévitables transgressions au rôle d’outils de construction de l’autonomie et de la responsabilisation.
Dès lors, transgresser n’a rien de pathologique : « L’enfant a besoin d’être reconnu, de recevoir une réponse des adultes qui l’entourent, de vérifier les limites entre le permis et l’interdit, de tester l’autorité »(2). Celui qui apprend n’a-t-il pas droit à l’erreur ? Dans son usage socio-éducatif, la réaction à la violation d’une règle vise à tempérer les pulsions, à différer la satisfaction immédiate des désirs et à aider l’enfant à faire le deuil de certains plaisirs.
Remplacer la punition par la sanction
Visant la prise de conscience, la réaction socio-éducative à une faute devra donc remplacer punition par sanction et viser un triple dessein : psychologique, éthique et politique. Finalité psychologique, dans le sens de signifier une limite pour stopper le fantasme de toute puissance. Finalité éthique ou de responsabilisation, en imputant au fautif les conséquences de ses actes. Finalité politique, visant à réhabiliter la règle transgressée pour préserver l’intégrité du groupe (3).
Toutefois, la sanction socio-éducative ne sera jamais suffisante pour éviter d’autres transgressions. « L’homme, s’écrie Tozzi, est un animal qui a fortement et longuement besoin d’être éduqué »(4). Assimilée à l’échec de la communication et de la négociation, la punition apparaît ainsi comme un outil de la justice et s’affirme plutôt comme l’échec de l’intervention socio-éducative.
Punir quand on ne sait plus que faire…
Pourtant, des pratiques punitives sont encore courantes en milieux socio-éducatifs. Elles s’illustrent notamment par des châtiments corporels, privations, expiations, contraintes à la réflexion, exclusions, etc… Certains y recourent faute de solutions alternatives sur le vif. D’autres les justifient par la nécessité de poser des cadres fermes dans un monde en proie au désordre. Mais le socio-éducateur n’est pas un poseur de cadre - rôle revenant de préférence au juge. Il en est plutôt porteur (5), dans le sens d’en indiquer le modèle de référence par son attitude et par ses actes.
Il y en a aussi qui évoquent le stress, la fatigue, le débordement émotionnel ou la colère pour expliquer les pratiques punitives en éducation sociale. Les conséquences de ces pratiques sont souvent dramatiques, parce qu’elles génèrent des comportements anti-sociaux : anxiété, dépression ou agressivité notamment. telles sont les conclusions auxquelles arrivent notamment Alice Miller, Antonio Damasio et Jacqueline Cornet. Du reste, fonder son autorité sur son seul pouvoir de coercition ou de subordination, c’est la limiter à la crainte qu’elle inspire. L’éducateur social doit-il inspirer crainte ou confiance ?
La punition verbale est aussi néfaste
Les réactions punitives de violence verbale et psychologique entraînent les mêmes conséquences. Il n’est point besoin d’en faire un inventaire ici. Mais les hurlements, les injures, le mépris ou l’ignorance intentionnelle relèvent du même registre aux effets néfastes sur la socialisation. Ils ne favorisent ni la confiance en soi, ni l’émancipation, et encore beaucoup moins l’autonomie et le sens de responsabilité.
La violence verbale promeut des comportements que la société contemporaine réprouvent : incapacité à communiquer ou à négocier, absence de contrôle de soi, autoritarisme, colère, etc. Contrairement aux apparences, l’accompagnement socio-éducatif est un travail technique qui implique des principes et des procédures. Celui qui l’exerce, doit apprendre à mettre de la distance avec les faits qui provoquent l’exaspération et, dans la mesure du possible, à contenir lui aussi ses propres impulsions.
1) Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 18
2) Élisabeth Maheu, Sanctionner sans punir, - éd. Chroniques Sociales, 2005, p. 111
3) Eirick Prairat, in Non-violence actualité (recueils), Pour une sanction non- violente - Repères éducatifs, collection Pratiques de non-violence n° 1, Montargis Cedex, 2006, p. 31
4) Michel Tozzi, Définir un mode scolaire de socialisation, in Les Cahiers du Cerfee n° 15, dimanche 3 novembre 2002
5) Eric Stern, Travail éducatif en institution