D’anciens jeunes placés en foyer prennent la parole
Le placement éducatif est en plein questionnement. Comment savoir si le placement d’un enfant ou d’un adolescent est la bonne mesure à envisager ? La parole est donnée aux ancien-ne-s résident-e-s.
Par Dounia Ferjani, éducatrice à l’Etape (FOJ), extraits du travail de bachelor sur le placement de mineurs, HETS Genève
Le placement est une mesure à la fois particulière et lourde qui met en évidence une période de difficultés importantes dans un parcours de vie [1]. Il implique un changement de cadre et d’habitudes, une forme de séparation du milieu familial, des rencontres avec des personnes inconnues dans un contexte peu familier. Comment un placement est-il vécu ? Comment naissent et se construisent les relations au sein d’un foyer ? C’est à d’ancien-ne-s résident-e-s que j’ai voulu poser ces questions.
Six personnes, placées à l’adolescence et maintenant adultes, ont accepté de témoigner sur l’histoire de leur placement. De la décision de placement à l’impact de celui-ci sur la vie de chacun-e, le placement les a-t-il finalement aidé ? Et la relation avec les personnes rencontrées dans le foyer a-t-elle été un soutien ?
J’ai souhaité leur donner l’occasion de nous raconter leurs histoires non pas par curiosité mais parce que je suis convaincue que les retours des anciennes personnes placées peuvent nous amener à nous interroger et même à remettre en question certaines de nos pratiques. Quelques extraits.
La décision du placement
Leurs récits nous invitent tout d’abord à réfléchir aux moments de transition avant, pendant et après foyer ; à l’importance de l’accompagnement et de la préparation aux changements. Ils nous amènent à percevoir certains détails qui, à leur avis, peuvent faire une différence. Comment construire avec eux une partie de leur avenir proche ou lointain ? Quels sont les impacts des décisions et des interventions des professionnels ?
« Il y avait un éducateur qui est venu me chercher à la gare, j’étais dans un train cellulaire, déjà ça m’a traumatisée, j’avais des menottes. Je suis sortie du tribunal, je voulais m’échapper, alors on m’a mis les menottes. Ils m’ont mise dans le fourgon, puis dans le train cellulaire. C’est une pièce comme les toilettes où on t’enferme. Je suis arrivée, la police de la région a ouvert. Ensuite, ils m’ont emmenée au foyer. Puis après, c’était la visite du foyer, les règles, un premier rendez-vous avec le psychologue, ton référent. Parce que là-bas, tu arrives, tu es pas bien. Je crois qu’il y avait même le directeur… Parce que, pour finir, je suis plus retournée chez mes parents. J’ai été en appart mais c’est là que ça a dégringolé. En fait, c’était trop un changement brutal. Je pense que retourner peut-être dans un truc un peu plus laxiste, ça aurait été mieux. Enfin, je pense que j’aurais pas aimé. Donc le changement, tu passes à un endroit trop encadré, avec des éducs qui te disent tout le temps : ‘Fais ci, fais ça, t’as oublié ça !’. Ils sont toujours derrière toi. Passer de ça à plus personne, à la liberté totale. » Mina
« C’était vraiment sur un coup de tête : le matin, la décision, et en une heure de temps, on a décidé de mon placement. Ce n’était pas quelque chose qu’on avait décidé avec mes parents qui n’étaient même pas dans mon optique. C’était juste que, sur le coup, la conseillère sociale a pensé que c’était mieux pour moi. » Lilia
« Et en fait une fois, ma sœur s’est retrouvée exactement en même temps dans une unité pédopsychiatrique. Mon père a entendu parler du fait qu’on était hospitalisées et du coup, il est allé voir ma sœur jumelle avec un assistant social. Et moi j’ai appris par les infirmiers qui m’encadraient que la Protection de la Jeunesse avait pris le dossier en main. Le lendemain, je partais en foyer. Et du coup, moi j’ai appris ça par les infirmiers : ‘Ecoute Stéphanie, tu ne rentres pas chez toi demain. Il y a un assistant social qui vient pour t’emmener au foyer d’accueil d’urgence. Voilà ce qu’ils m’ont dit un soir. » Stéphanie
Les relations avec les autres résident-e-s
Ils abordent également les relations qui se créent au sein de ces maisons. Du doux mélange de la dynamique de groupe aux relations qui s’individualisent. Des affinités aux amitiés qui se créent. Les liens entre les résidents sont plus qu’importants, ils sont une aide, ce constat fait l’unanimité.
« Avec deux filles, c’était de plus en plus intense. On faisait tout ensemble, on se voyait même le week-end, on pouvait plus se passer les unes des autres. Enfin, des vraies copines. Avec les autres, pas trop. Les autres, c’étaient des personnes avec qui tu t’entends bien mais sans plus, quoi. Et avec les filles, les histoires de foyer, les coups durs qu’on vit, ça nous rapproche beaucoup. Tu rentres, il y en a une qui pleure, elle te raconte son histoire. Tu apprends à connaître les gens et tu te dis : Ben c’est peut-être pour ça qu’elle est comme ça. Tu apprends à accepter. » Yollanda
« Pour moi, c’était très important. Oui, ça m’a aidé. Parce que se dire que l’on n’est pas tout seul dans cette galère, ça fait du bien. J’ai quand même de bons souvenirs où on a bien rigolé donc ça, ça aide beaucoup. » Claude
« Ouais, c’est important. Sur le moment, tu t’en rends pas compte mais après tu te dis mais si j’étais tout seul, que personne m’aimait, que je me retrouvais tout seul dans mon coin. Tu ne tiens pas le coup. Tu vis en internat, si tu n’as pas d’amis, pas de famille, moi je me tirais une balle. » Bradley
Les relations avec les éducateurs et éducatrices
Ils nous interpellent sur les relations qu’ils ont créées avec les intervenant-e-s qui les entourent et nous rappellent qu’avant d’être résident et éducateur, il y a l’autre et soi, une rencontre. Souvent, cette alliance entre la spontanéité de l’être humain et la fonction professionnelle de l’éducateur représente un « adulte de référence pour le résident.
« Moi, j’avais un sérieux problème avec les adultes. Je pensais qu’ils seraient toujours contre moi. Finalement, j’ai compris. Mon éducateur référent, c’est lui, en fait c’est lui qui a su comment me prendre. Il venait tout le temps me parler : chaque soir, chaque après-midi, chaque fois que je faisais une connerie. Il me cassait la tête. Il a réussi une fois pendant cinq minutes, puis après, plus longtemps. Jusqu’au jour où la communication allait dans les deux sens et j’arrivais à négocier des trucs. Oui, après je m’entendais bien avec tout le monde. C’est eux qui ont vraiment essayé. En fait, ils lâchaient pas, ils me lâchaient pas. Je pense qu’ils se sont passé le mot qu’avec moi, il fallait savoir comment me prendre. Du coup, les neuf derniers mois, ça a été nickel. » Mina
« Une vraie relation plutôt avec mon référent. Les autres, ils sont plus là pour surveiller. Enfin, ouais, je ne pense pas qu’ils s’en fichent mais tu ne peux pas régler les problèmes de tout le monde, t’investir trop pour tout le monde. Oui, ils doivent s’investir mais tu notes, t’en parles au référent, puis lui, il traite. Même aujourd’hui, je pense que mon référent a été quelqu’un d’important dans mon parcours. Ouais, je pense souvent à mon référent. » Yollanda
« J’estimais qu’ils n’avaient pas à savoir quoi que ce soit sur ce qui allait se passer plus tard ou ce qui s’était passé avant. Pour ça, j’avais mes amis au sein du foyer et on discutait ensemble justement. En fait, il faut savoir que tout ce que tu dis à un éducateur, tout le monde le sait parce qu’ils sont obligés de tout dire. Par conséquent, je préférais ne rien dire pour éviter que tout le monde soit au courant. » Claude
Découvrir en texte et en photos sur REISO le placement d’enfants au milieu du XXe siècle.
[1] Extraits repris de Trait d’union, le magazine de la Fondation officielle de la jeunesse, Genève