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Somnifères et tranquillisants: quels risques?

Lundi 19.08.2019
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En Suisse, environ 200'000 personnes présentent un usage problématique de somnifères et tranquillisants. Les femmes, les personnes âgées et la Suisse latine sont davantage concernées. Comment éviter cette surconsommation ?

Par Etienne Maffli, Florian Labhart et Stephanie Stucki, secteur recherche, Addiction Suisse, Lausanne

Les somnifères et tranquillisants de type benzodiazépinique tiennent une place particulière parmi les substances psychoactives, étant donné qu'ils sont d'abord des médicaments avec des champs d'indication incontestés, mais que ces substances peuvent aussi être détournées de leur fonction médicale et devenir des drogues dont l'usage devient problématique. Il est en effet reconnu que, lors d'un usage prolongé, ces substances entraînent généralement une tolérance de l'organisme et une dépendance physique caractérisée par l'apparition de symptômes de sevrage dès que l'usage est interrompu. L'usage prolongé comporte en outre des risques de natures diverses concernant notamment le fonctionnement de la mémoire et de la coordination psychomotrice (Lader, 2011).

Les données de l'enquête CoRolAR de 2016 auprès de la population générale indiquent que 7.4% des personnes de 15 ans et plus interrogées avaient pris des somnifères et/ou tranquillisants au cours des 30 jours précédant l'enquête, les femmes (9.5%) étant nettement plus nombreuses que les hommes (5.3%). Sur l'ensemble de la population, la proportion d'usagers (au cours des 30 derniers jours) augmente fortement avec l'âge: alors que 1.8% des 15-19 ans ont déclaré prendre de telles substances, 18.4% des personnes de 75 ans et plus sont concernées (Gmel et al. 2018).

Le seuil d'usage problématique

L'usage de somnifères et tranquillisants de type benzodiazépinique peut être considéré comme problématique dans le cadre d'une consommation quotidienne et de longue durée (dès plusieurs mois). Les données de l'enquête CoRolAR 2016 indiquent ainsi que, parmi les personnes ayant pris des somnifères et/ou tranquillisants au cours des 30 derniers jours, un peu moins de la moitié disent en faire un usage quasi quotidien depuis plus d'une année (Fig. 1). Extrapolé à l'ensemble de la population suisse de 15 ans et plus, cette estimation du nombre de personnes présentant un usage problématique représente environ 200'000 personnes (131'000 femmes et 69'0000 hommes). L'analyse par groupes d'âge montre clairement que la proportion d'usagers problématiques augmente avec l'âge.


Fréquence et durée d'usage de somnifères et tranquillisants, par sexe et âge (2016)

Figure Somniferes Image

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Questions: «Au cours des 30 derniers jours, avez-vous pris des somnifères ou tranquillisants?» et, si oui: «Au cours des 30 derniers jours, combien y a-t-il eu de jours pendant lesquels vous avez pris des somnifères ou tranquillisants?» et, si tous les jours (ou presque): «Depuis combien de temps prenez-vous tous les jours (ou presque) des somnifères ou tranquillisants?»
Pourcentages calculés sur la base du n pondéré, par rapport à la population totale.
Source: Propres calculs pour Suchtmonitoring sur la base de l'enquête CoRolAR 2016.


En outre, les résultats de l'enquête CoRolAR 2016 montrent que la proportion d'usagers problématiques (usage quotidien depuis plus d'une année) était plus élevée en Suisse romande (3.4% de la population de référence) et italienne (4.1%) qu'en Suisse alémanique (2.4%). De manière uniforme entre les régions linguistiques, on constate que l'usage de somnifères et tranquillisants augmente fortement avec l'âge et qu'environ la moitié des usagers au cours des 30 derniers jours présentent une utilisation problématique.

En ce qui concerne l'usage détourné de somnifères et/ou tranquillisants par les jeunes, les résultats de l'enquête HBSC 2018 indiquent qu'environ 4% des jeunes de 15 ans ont déjà pris des médicaments au cours de leur vie dans le but de se droguer (Delgrande Jordan et al. 2019).

Les tendances générales de consommation

La part d'usagers de somnifères ou tranquillisants semble avoir légèrement diminué au cours des dernières années en Suisse. La proportion d'usagers de somnifères ou tranquillisants estimée par l'Enquête suisse sur la santé (ESS) effectuée tous les cinq ans est passée de 5.9% en 2007 à 5.5% en 2012 et à 4.4% en 2017 (source : Office fédéral de la statistique). Toutefois, les données de l’ESS ne permettent pas de définir un seuil d'usage problématique basé sur la durée et la fréquence d'utilisation. Il n'est ainsi guère possible d'estimer l'évolution récente de l'usage problématique de somnifères et tranquillisants.

De manière similaire, les chiffres de ventes sont relativement stables depuis une quinzaine d'années, environ 7 millions d'emballages vendus annuellement (source : communication Interpharma). Il n'existe pour le moment pas de données permettant d'estimer l'évolution des achats de médicaments sur Internet. Néanmoins, les résultats de l'enquête CoRolAR 2012 suggèrent que le phénomène était limité au moment de cette enquête: moins d’un utilisateur sur 1000 (0.1%) déclare avoir utilisé Internet comme source d'approvisionnement (Gmel et al. 2013).

Les conséquences problématiques

Bien qu'il s'agisse dans une large mesure d'une utilisation sous prescription médicale, l'usage de somnifères et/ou tranquillisants à long terme implique généralement le développement d'une dépendance et est accompagné d'effets non désirables variés comme des problèmes de coordination, de mémoire et d'attention (Lader, 2011). Pour les personnes âgées, ces effets augmentent sensiblement le risque de chutes et de fractures (Cumming & Le Couteur, 2003). Cependant, l'ampleur des dommages liés à l'usage prolongé de benzodiazépines est difficile à estimer, d'autant plus que leur implication n'est pas toujours perçue.

Dans le cadre des données de la Statistique médicale des hôpitaux, on constate que la dépendance aux somnifères et/ou tranquillisants est plus fréquemment diagnostiqué que les intoxications, particulièrement en tant que diagnostic secondaire. Les taux sont de 65.4 cas de diagnostics secondaires de dépendance pour 100'000 habitants en 2008 et de 9.9 cas de diagnostics secondaires d'intoxication (source : Office fédéral de la statistique). Par ailleurs, les taux de diagnostics d'intoxication ont tendance à baisser au fil des ans, alors que les taux de diagnostics de dépendance sont globalement stables.

Dans le cadre du monitorage act-info portant sur la prise en charge et le traitement des dépendances en Suisse, il est estimé que les médicaments psychotropes constituent le problème principal d'environ 1% des personnes prises en charge pour un problème de dépendance dans un centre de consultation ou une institution résidentielle spécialisée. Par contre, ces substances constituent un problème secondaire pour environ 10% des personnes entrant en traitement (Maffli et al., 2019).

En dépit d'une stagnation de la prévalence d'utilisation, des chiffres de vente et du taux de diagnostics de dépendance, l'usage de ce type de médicaments semble engendrer un nombre croissant de problèmes. Ainsi, le nombre d'accidents de la route avec influence présumée de médicaments a approximativement doublé au cours des 20 dernières années (source: Office fédéral de la statistique) .

Le nombre de décès dus à l'abus de médicaments a sensiblement augmenté entre 1995 et 2008 (respectivement 127 et 312 cas). Le recours accru au suicide assisté semble cependant contribuer à ce développement, ce qui a contraint à exclure ces cas de la statistique dès 2009. Depuis, le nombre de décès a varié entre 39 et 65 cas (chiffres établis jusqu’en 2015, source: Office fédéral de la statistique). A noter que cette statistique comprend également d’autres médicaments que les somnifères ou tranquillisants.

Les raisons de la médication

Dans le cadre d’un module spécifique sur l'utilisation de benzodiazépines (janvier - juin 2014; Gmel et al., 2015), l'enquête CoRolAR s'est penchée sur les raisons pour lesquelles ces substances sont utilisées. La raison principale, citée par 81.7% des personnes en ayant eu usage au cours des 12 derniers mois, est «pour vous aider à vous endormir ou pour d'autres troubles du sommeil». En outre, 58.2% ont indiqué en utiliser «pour vous calmer, vous tranquilliser», 48.1% «pour réduire des tensions» et 32.6% «à cause d'angoisses, pour réduire de l'anxiété».

Concernant le lien entre caractéristiques sociodémographiques individuelles et usage de somnifères et tranquillisants, des analyses détaillées des données de l'ESS de 2012 ont mis en évidence un lien significatif entre la prévalence de consommation actuelle de telles substances avec le fait d'être de sexe féminin, ainsi qu’avec l'âge, le fait d'être séparé ou encore de ne pas ou plus être en emploi (Thrul et al., 2014). A l'inverse, le niveau de formation est inversement lié à l'usage de ces substances et plus le niveau de formation est élevé, plus la prévalence est basse. Ce constat n’est toutefois pas significatif pour les femmes. La probabilité de l’usage de telles substances était en outre plus élevée en Suisse romande et en Suisse italienne qu'en Suisse alémanique.

L’importance du sevrage

Même si les chiffres de la dernière Enquête suisse sur la santé semble indiquer une diminution de l’utilisation de somnifères ou tranquillisants, cela ne change rien au fait que le recours à ce type de médicaments comporte un risque élevé de dépendance physique dès que l’utilisation devient régulière sur une période de plusieurs jours ou semaines. Un arrêt brusque de ces médicaments peut alors induire des symptômes de sevrage désagréables (insomnies, nervosité) qui peuvent être interprétés comme une poursuite ou même comme une dégradation de l’état qui avait conduit à leur recours. Toute la difficulté consiste à bien comprendre ce phénomène pour terminer le traitement de façon graduelle lorsque l’usage a été régulier sur une certaine période. Il s’agit alors de mettre en place une stratégie de sevrage progressif qui n’est pas simple à gérer dans la mise en œuvre pratique (calcul des équivalences et préparation des dosages). C’est à notre avis cette difficulté pratique qui constitue la raison principale des utilisations à long terme très répandues et qui ne correspondent à plus aucune indication justifiée d’un point de vue médical (voir aussi Maffli & Notari, 2015).

Références

Cumming, R.G., Le Couteur, D.G. (2003). Benzodiazepines and risk of hip fractures in older people: a review of the evidence. CNS Drugs, 17(11): 825-837.

Delgrande Jordan, M., Schneider, E., Eichenberger, Y., & Kretschmann, A. (2019). La consommation de substances psychoactives des 11 à 15 ans en Suisse - Situation en 2018 et évolutions depuis 1986 - Résultats de l'étude Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) (Rapport de recherche No 100). Lausanne: Addiction Suisse.

Gmel, G., Notari, L., & Gmel, C. (2013). Suchtmonitoring Schweiz: Einnahme von psychoaktiven und anderen Medikamenten in der Schweiz im Jahr 2012. Sucht Schweiz, Lausanne Schweiz

Gmel, G., Notari, L., Gmel, C. (2015). Suchtmonitoring Schweiz - Vertiefende Analysen zur Einnahme von Schlafmitteln, Beruhigungsmitteln sowie Psychostimulanzien im Jahr 2014. Lausanne: Sucht Schweiz.

Gmel, G., Notari, L., & Gmel, C. (2018) Suchtmonitoring Schweiz - Einnahme von psychoaktiven Medikamenten in der Schweiz im Jahr 2016. Sucht Schweiz, Lausanne Schweiz

Lader, M. (2011). Benzodiazepines revisited - will we ever learn? Addiction, 106(12): 2086-2109.

Maffli, E., Astudillo, M., Delgrande Jordan, M., Labhart, F., Gmel, G., Wicki, M., Schaaf, S. (2019). Rapport annuel act-info 2017: Prise en charge et traitement des dépendances en Suisse: Résultats du système de monitorage. Berne, Office fédéral de la santé publique (OFSP).

Maffli, E., & Notari, L. (2015). Usage de médicaments psychoactifs dans la population. Dépendances, 55, 2-5

Thrul, J. (2014). Soziodemografische Einflussfaktoren auf den Substanzkonsum der Schweizer Bevölkerung. Ergebnisse der Schweizerischen Gesundheitsbefragung 2012. Lausanne: Sucht Schweiz.

Cet article appartient au dossier Le prix de la santé

Comment citer cet article ?

Etienne Maffli, Florian Labhart et Stephanie Stucki, «Somnifères et tranquillisants: quels risques?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 19 août 2019, https://www.reiso.org/document/4792

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