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Les migrant·e·s entre privation et altruisme

Jeudi 06.09.2018
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La générosité des familles transnationales est massive en Suisse. Elle est toutefois soumise à certaines conditions, stratégies et priorités familiales. Comportements et motivations sous la loupe des chercheur·e·s.

Sous la direction de Caroline Henchoz, sociologue, maître d’enseignement et de recherche, et Francesca Poglia Mileti, sociologue, professeure, Université de Fribourg

[1] Avec 24.7 milliards de dollars envoyés dans leur pays d’origine en 2014, les migrant·e·s de Suisse sont parmi les plus généreux du monde (The World Bank Group, 2016). Comment vivent-ils le fait de verser autant d’argent ? C’est ce que nous avons étudié dans le cadre d’un séminaire de Master donné à l’Université de Fribourg au printemps 2018. Selon nous, leur ressenti est particulièrement important à appréhender car il explique pourquoi, malgré la charge que cela représente, ces versements perdurent.

Pas de sentiment de privation

Entre 30 et 74 ans, vingt-trois femmes et douze hommes d’origines diverses (Amérique du Sud, Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Asie, Europe de l’Est et du Sud) ont été interviewés dans le cadre d’entretiens semi-directifs. Ce sont des personnes vivant ou ayant vécu en couple avec des enfants qui versent entre 25 à 700 francs par mois, ce qui correspond à l’estimation de la Banque nationale suisse : en moyenne, environ 9% du salaire des migrant·e·s vivant dans notre pays est versé à l’étranger [2]. Quel que soit le montant, le constat est pourtant le même : les personnes concernées n’éprouvent pas ou peu de sentiment de sacrifice et de privation. Comment l’expliquer ? Est-ce uniquement parce qu’elles sont « naturellement » altruistes comme on l’a longtemps présupposé (Chort & Dia, 2013; Rapoport & Docquier, 2006)?

Définir la privation et le sacrifice comme le fait de perdre quelque chose que l’on a ou pourrait avoir fournit des pistes expliquant l’absence de ce sentiment chez les migrant·e·s rencontrés. La première explication est économique. Compte tenu du haut niveau de salaires en Suisse et des taux de change favorables, une petite somme peut constituer une aide importante au pays d’origine alors qu’elle ne représente pas beaucoup pour le donateur. De plus, nous avons interrogé des migrant·e·s de la première génération qui ont, pour la plupart, connu une trajectoire économique ascendante en venant en Suisse. Même s’ils versent une partie de ce qu’ils gagnent, ils n’ont pas de sentiment de pertes car leur niveau de vie a effectivement augmenté.

La seconde explication est inspirée de la théorie de la construction du sentiment de justice (Thompson, 1991). On observe que le sentiment de privation dépend des critères de comparaison mobilisés pour évaluer sa situation. Les migrant·e·s rencontrés se comparent rarement aux Suisses mais plutôt à leurs proches restés au pays ou à la situation qu’ils connaissaient avant de venir ici. Par conséquent, bien que leurs revenus soient plutôt bas [3], ils s’estiment souvent satisfaits. Le sentiment de privation dépend aussi des résultats valorisés et des processus qui y mènent. Ainsi, on est prêt à verser des rémittances pour autant que le bien-être de la famille en Suisse ne soit pas mis en danger. Et cela semble souvent le cas. En effet, dans la plupart des couples rencontrés, il existe une sorte de contrat conjugal plus ou moins implicite portant sur la préservation des intérêts de la famille en Suisse :

Les enfants sont prioritaires, nos charges sont prioritaires, donc on paie d’abord toutes nos charges avec les prévisions qu’il y a avant de penser à… [leur verser de l’argent]. (Bertrand, 31 ans, originaire du Cameroun, 2 enfants)

Le bien-être consiste aussi à conserver une bonne entente avec son ou sa conjoint·e. Les versements peuvent aller de soi, par exemple lorsque ce dernier aide aussi des proches. Certaines personnes ont toutefois dû convaincre leur partenaire de leur utilité en lui expliquant la situation au pays et en argumentant. D’autres ont choisi de préserver l’harmonie conjugale en ne l’impliquant pas :

Je ne sentais pas le besoin d’informer mon conjoint de ce qu’il se passait avec mon frère [] ou de lui demander son accord [] Vu que ce n’était pas son argent. Si c’était l’argent du ménage, ça aurait été différent. (Selma, 45 ans, Turquie, 1 enfant)

Les stratégies de gestion

L’absence de sentiment de privation s’explique ainsi aussi par les actions mises en place par les migrant·e·s eux-mêmes. On peut parler de stratégies (Crozier & Friedberg, 1977, 2007), car ces derniers agissent de manière à se créer des marges de manœuvre au sein du couple et de la famille, comme on l’a vu, mais aussi vis-à-vis de leurs proches.

En effet, lorsque les pressions de la part des proches restés au pays sont fortes, les migrant·e·s mettent en œuvre différentes stratégies afin d’éviter d’être trop sollicités. Ils se rendent par exemple moins accessibles en espaçant leur présence sur Facebook, en ne répondant pas aux messages ou avec un délai.

Si on est loin, on peut prendre de la distance quand les choses ne vont pas, le temps que la situation se calme. Ou on ne répond pas à toutes les demandes d’argent [] des limites en termes de montants sont fixées. (Virginia, 55 ans, Salvador, 2 enfants)

Lorsque cela ne suffit pas, certains rompent toutes les relations. D’autres choisissent de dissimuler leur situation économique ou alors de s’engager dans un véritable travail de socialisation en expliquant à leurs proches la précarité de leur situation professionnelle ou en les sensibilisant aux coûts élevés de la vie en Suisse.

Les stratégies vis-à-vis des versements

Les autres stratégies développées par les migrant·e·s pour ne pas se sentir dans une relation trop contraignante consistent à modeler leurs versements de manière à ce qu’ils répondent à des objectifs précis. On peut en distinguer trois : répondre aux besoins de base ; favoriser l’autonomie des proches ; assurer le bien-être des ascendant·e·s (Henchoz & Poglia Mileti, 2017). Dans le premier cas, il s’agit de développer des compétences et des réseaux afin d’évaluer les besoins sur place. Si le donateur estime que ceux-ci sont réels ou que les conséquences d’un non-versement seront disproportionnées par rapport à la dépense qui lui revient, le versement sera effectué sans hésitation.

Si on ne trouve pas l’argent, les corps [des défunts] pourrissent dans les salles de mort. (Anisa, 43 ans, Congo, 3 enfants)

Les stratégies mises en place dépendent aussi des destinataires. Elles sont rares en ce qui concerne les parents et grands-parents. Les versements qui leur sont destinés sont perçus comme une sorte d’assurance sociale ou de rente complémentaire et ils font souvent partie du budget des ménages. On préfère se priver plutôt que de les remettre en question. Par contre, on observe différentes stratégies en ce qui concerne les rémittances versées aux autres proches. Ces dernières prennent souvent la forme d’un investissement qui a pour objectif l’émancipation des deux parties. Il s’agit en effet de favoriser l’indépendance économique à moyen et long terme du récepteur (par le financement d’une formation, d’un commerce ou d’une entreprise, etc.) et, par conséquent, de se libérer à terme de son devoir de soutien.

Pour moi dès le début c’était clair que ce n’est pas un état durable. Le but c’était que tout le monde arrive à se débrouiller une fois. Je ne voulais pas qu’ils se disent : « Voilà, il est en Suisse maintenant, donc il a tous les moyens de nous financer la vie. (Paul, 74 ans, Kosovo, 2 enfants)

Certaines stratégies sont alors mises en place, comme par exemple favoriser les versements irréguliers et à montants variables afin de ne pas rendre les récepteurs trop dépendants et les motiver à chercher du travail. Il s’agit aussi de contrôler les résultats obtenus afin d’évaluer si le récepteur est bien sur la voie de l’indépendance financière.

Les raisons et le raisonnement

Outre l’absence de sentiment de privation et les stratégies qu’ils mettent en place, les migrant·e·s doivent aussi avoir de « bonnes » raisons de donner. Nous inspirant de Max Weber (1922, 1971), nous en avons relevé quatre : la tradition, l’émotion, la valeur et la finalité.

La tradition d’entraide du pays d’origine est souvent avancée dans les entretiens :

Pour moi, c’est naturel, on a été éduqué comme ça. Je me rappelle quand j’étais petite, mon père payait l’école pour nous et il payait aussi l’école pour les enfants du coin qui n’avaient pas de sous. (Marie, 57 ans, Rwanda, 4 enfants)

Une raison est rarement mentionnée seule. Ainsi, il est d’autant plus facile de perpétuer la tradition de solidarité que l’on éprouve de l’attachement envers les destinataires, que cela correspond à nos valeurs (religieuses, responsabilité filiale ou engagement social) et que l’usage qu’en fait le récepteur correspond aux objectifs que l’on a fixés.

Néanmoins ces « bonnes » raisons peuvent être remises en cause, par exemple lorsque le donateur prend de la distance vis-à-vis de la tradition, lorsque ses sentiments s’atténuent, lorsque ses valeurs changent et qu’il privilégie désormais la responsabilité individuelle des destinataires ou encore lorsque les résultats obtenus grâce aux versements ne répondent pas aux objectifs fixés. Le sentiment de sacrifice apparaît alors et les rémittances peuvent être remises en question.

Je lui ai dit que je n’étais pas contente, mais elle, elle ne dit rien. Elle s’en fout [] Mais maintenant, c’est fini ! Après, elle va demander des cadeaux aux anniversaires des enfants… Moi j’ai dit : « Je ne peux pas donner ça !» (Rita, 53 ans, Philippines, 3 enfants)

Les conditions de la générosité

Ces flux colossaux d’argent qui circulent entre les frontières et sur lesquels misent les politiques d’aide au développement n’ont rien d’évident. La générosité des migrant·e·s ne va pas de soi, elle est notamment le fruit d’un travail incessant de leur part, un travail de gestion économique et relationnelle et de socialisation de l’entourage aux enjeux que cela comporte. C’est une mécanique fragile dont nous avons tenté de démontrer ici l’importance d’en avoir une vision plus microsociologique.

Bibliographie citée

Chort, I., & Dia, H. (2013) L'argent des migrations : les finances individuelles sous l'objectif des sciences sociales. Autrepart, 4(67-68), 3-12.

Crozier, M., & Friedberg, E. (1977, 2007) L’Acteur et le Système. Paris: Seuil.

Henchoz, C., & Poglia Mileti, F. (sous la dir.), 2017, Ces milliards qui cimentent les familles. REISO, Revue d’information sociale.

Rapoport, H., & Docquier, F. (2006) The Economics of Migrants’ Remittances. In S. Kolm & J. Mercier Ythier (Eds.), Handbook on the Economics of Giving, Reciprocity and Altruism (Vol. 1). North-holland: Elsevier, 1135-1198

The World Bank Group. (2016) Migration and Remittances Factbook 2016. Washington: The World Bank.

Thompson, L. (1991) Family Work, Women’s Sense of Fairness. Journal of family issues, 12(2), 181-196.

Weber, M. (1922, 1971) Economie et société. Paris: Plon.

[1] Co-auteur.e.s : Borgeaud Julie; Bovey Audrey; Carnal Evelyne; Chevalley Emma; Coulon Maya Linda; Dessibourg Julien; Ernst Ecatarina ; Klemenz Simone; Pannatier Estelle; Petoud Audrey; Ray Glenn; Schneuwly Camille; Studer Lucie; Waeber Salomé; Wyler Claudia; Zosso Valérie; Zwahlen Marlyse.

[2] Evaluation reprise par l’OFS. En ligne

[3] Revenu mensuel moyen net des interviewés salariés : frs. 3'542.- contre un salaire mensuel net médian de frs. 4’398.- en 2014 (Office fédéral de la statistique, Enquête suisse sur la structure des salaires).

Comment citer cet article ?

Caroline Henchoz et Francesca Poglia Mileti (dir.), «Les migrant·e·s entre privation et altruisme», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 septembre 2018, https://www.reiso.org/document/3418