Bâle : penser l’espace pour intégrer les habitants
Cette étude menée sur le terrain urbain, à Bâle, montre que l’intégration sociale des étrangers n’est pas qu’une affaire de langue et de culture. Elle résulte aussi de la perception que les habitants ont de leur quartier.
Par Sabine Eggmann, Université de Bâle
L’espace est une composante qui n’est guère considérée quand il est question d’intégration sociale. Lorsque le problème de l’inclusion ou de l’exclusion se trouve sur l’agenda politique, il est surtout question de langue et de différence culturelles comme facteurs déterminants. Une recherche sur la perception et l’intégration de l’espace menée entre 2003 et 2006 à l’institut de la Société Suisse des Traditions Populaires (SSTP) dans le cadre du programme national de recherche (NRP 51) « Intégration et exclusion » dans différents quartiers bâlois montre que l’espace agit de manière tout aussi significative que la langue sur la réalité quotidienne des gens et détermine sous quelle forme et dans quelle mesure ils prennent part à la vie sociale.
La place sociale de chacun
C’est par l’interaction de structures spatiales, de modèles de perceptions marqués par le contexte social ou par la biographie, d’activités quotidiennes concrètes et de discours politiques et publics qu’est produit ce qui influence essentiellement la société dans son accomplissement individuel. En conséquence, ce sont non seulement des conditions structurelles et matérielles liées à l’espace, des systèmes de valeurs, des hiérarchisations sociales, mais encore le positionnement individuel et collectif qui se manifestent comme pratique concrète dans l’espace. L’espace se transforme ainsi en un aspect essentiel qui détermine, par la perception et l’orientation, quelle est la place et combien de place les gens occupent dans la société.
Un développement urbain intégratif tel qu’il est pratiqué à Bâle depuis quelques années est souvent confronté à un contraste avec les pratiques subjectives, observables chez les habitant(e)s de ces espaces urbains : cette forme de développement urbain, en se concentrant sur le classement d’habitant(e)s surtout étrangers en fonction de leur caractère étranger déterminé par la langue et l’ethnie, favorise une ethnicisation de l’intégration qui se répercute aussi en une ethnicisation des espaces. Tranquillité, propreté et mélange social dans l’espace servent au développement urbain intégratif d’instruments dont le but est dirigé sur une minimisation des coûts dus à la criminalité, à la maladie et à la chute sociale.
Contre les clichés réducteurs
Les habitant(e)s non-Suisses des quartiers correspondants sont considérés comme les groupes à problème qui causent ces coûts de manière primaire (directement par leur comportement) ou secondaire (par l’image de l’espace négative qui découle de leur présence). En combinant ces deux dimensions – la pratique effective des habitants et l’image attribuée à l’espace qu’ils habitent – les espaces urbains sont construits en problématiques qui portent en elles le risque d’une dissociation de l’identité urbaine globale. Les valeurs et les normes de la société d’accueil suisse, vu de cette perspective, sont représentées comme menacées et proches de leur perte. Mais c’est justement ce point de vue qui cache le potentiel problématique de solidifier les différences existantes ou d’accentuer les différences de manière inadéquate par une réduction déterminée par des aspects « culturels » ou « ethniques ». Contrairement à cela, les enquêtes ethnographiques effectuées dans le contexte du projet de recherche mentionné plus haut montre qu’en ce qui concerne l’espace, les étrangers ne sont pas forcément moins bien intégrés que des Suisses dans une situation équivalente.
Contrastant avec l’image de l’espace ethnisé, les actes vécus dans l’espace concret, à savoir l’appropriation et l’attribution symbolique de l’espace par les gens dans leur vie quotidienne, se sont montrés décisifs pour l’apparition de l’identité et pour la détermination des différences sociales. Les espaces se transforment ainsi principalement en paysages identitaires en servant aux gens de mémoire biographique, de prestige personnel ou aussi de positionnement spirituel. Ce n’est donc pas tant le regard sur les « autres » en tant qu’« étrangers » qui dirige le déplacement individuel dans l’espace et l’usage de l’infrastructure urbaine, mais plutôt l’évaluation personnelle et l’utilisation subjective de l’espace comme un endroit dans lequel on vit depuis de nombreuses années, dans lequel on s’oriente vite et sans problèmes et qui rend ainsi possible une certaine sécurité quand il s’agit de trouver, de reconnaître et de se rappeler, comme un endroit qui matérialise son propre succès social, ou alors comme un endroit qui entoure une personne d’une aura spécifique spirituelle.
Pour une société intégrative
Pour un développement urbain orienté sur une société intégrative, on pourrait de manière conséquente recommander un changement de perspective en direction du sujet et de ses perceptions, de ses attentes, de sa conformation aux valeurs et de ses actes quotidiens dans l’espace. Une perspective dirigée sur les besoins en espace et les utilisations effectives qu’en font les gens dans leur environnement direct résidentiel et professionnel qui inclut des domaines de planification comme le trafic, l’espace libre, la qualité de l’habitat et la sécurité personnelle prendrait la complexité de la réalité subjective au sérieux et la ferait entrer en ligne de compte dans une réflexion sur notre propre société et son développement.
- Collaboratrices et collaborateurs du projet de recherche : Dr Rosmarie Anzenberger, Dr Sabine Eggmann, Lic. phil. Nicole Fretz, Dipl. geogr. Sebastian Olloz
- Résumé des principaux résultats et extraits du rapport final en ligne