Repenser les espaces pour soutenir l’apprentissage

Par Karin Manz, directrice, et Kevin van Loon, collaborateur, chaire Développement et recherche pédagogiques, Haute école pédagogique, FHNW

La position assise prolongée dans la salle de classe fait partie du quotidien de nombreux·ses élèves. Pendant la journée, les enfants et les adolescent·es passent jusqu'à 90% de leur temps allongé·es, assis·es ou peu actif·ves physiquement (BMI-Monitoring 2021, Swiss TPH 2022). Pourtant, le manque d'activité physique chez ces personnes est reconnu comme l'un des plus grands facteurs de risque pour leur santé et porte atteinte à leurs capacités d'apprentissage. En Suisse, 17% des élèves présentent un surpoids ou une obésité.

Avec l'exigence d'une éducation inclusive, les besoins des élèves deviennent plus hétérogènes. Les classes sont désormais composées de groupes diversifiés, où les mesures de soutien scolaire individualisées deviennent la norme : 25% des élèves bénéficient d’un accompagnement spécifique et d'objectifs d'apprentissage adaptés. En moyenne, une classe compte 5% d'enfants avec un diagnostic de TDAH (Lanners 2019).

Dans ces classes où interviennent plusieurs intervenant·es de manière simultanée, certains enfants subissent une surcharge sensorielle et ne parviennent pas à se concentrer sur leurs tâches d'apprentissage. En parallèle, le manque de place dans les écoles primaires s'aggrave en raison de l'augmentation constante du nombre d'élèves. Par un aménagement souple de la salle de classe, il est toutefois possible de favoriser l’attention de tou·tes les élèves, qu’ils et elles présentent un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, un (ou des) trouble(s) du spectre autistique. Une salle de classe inclusive combine à la fois des postes de travail isolés qui permettent d'apprendre sans perturbations et peu de stimuli sensoriels, et des îlots de tables facilitant le travail en atelier. Des environnements flexibles et modulables s’avèrent ainsi essentiels pour soutenir un apprentissage individuel efficace et durable.

Le mouvement, moteur d’apprentissage

Le projet de « l'école en mouvement » ^[1] est né au milieu des années 1990 (Zimmermann 2020). Depuis les années 2000, il s'est continuellement développé en un concept global transformant la culture d'apprentissage et d'enseignement (OFSPO 2013). Depuis 25 ans, la Fondation Radix promeut ce concept via le programme « Purzelbaum Schweiz », en l’intégrant dans les différents lieux de vie fréquentés par les jeunes enfants ^[2].

Il est désormais empiriquement établi que l'activité physique est essentielle pour le développement moteur, cognitif et la santé physique des enfants et des adolescent·es (Thiel & Teuber 2018). L'activité physique en classe se concentre sur les pauses-mouvement et l'apprentissage en mouvement, qui remplissent deux fonctions différentes : les premières revêtent une fonction d'accompagnement de l'apprentissage (pauses pour bouger, s'asseoir/se tenir debout de manière dynamique, aménagement d’un espace propice au mouvement), tandis que les deuxièmes ouvrent l'apprentissage par l’action physique (apprendre dans et par le mouvement) (Laging 2017).

© Innosuisse

Un enseignement contemporain se caractérise par un rythme adapté du quotidien scolaire, comprenant des pauses délibérément dédiées au mouvement. La durée de concentration des enfants est limitée, ces temps sont nécessaires. L'apprentissage en mouvement en tant que fonction d'ouverture à l'apprentissage se révèle néanmoins plus exigeant et exige des compétences professionnelles spécifiques pour être planifié et mise en œuvre de manière efficace. De ce fait, il est encore peu répandu (Daly-Smith et al. 2021).

Un espace co-construit pour bouger et apprendre

Dans le cadre du projet « Netzwelten » ^[3], la HEP FHNW a étudié les possibilités didactiques d’un espace d'apprentissage innovant, ainsi que son impact sur l'apprentissage (Manz & Van Loon 2024 ; Manz, Horlacher & Hammon 2024). Interrogé·es sur leur lieu d'apprentissage idéal, les élèves de l'école primaire répondent spontanément un hamac, un lit, un canapé, une grotte, ou encore une cabane dans les arbres. Le besoin de pouvoir se retirer, de fabriquer un espace à soi à l'école, y apparaît fondamental. Ils et elles créent alors une grotte avec des moyens simples, se cachent sous le pupitre, s'allongent par terre au milieu de la pièce ou se blottissent sur le canapé dans le coin lecture. Mais si « se mettre à l'aise pour apprendre » est très apprécié des élèves, de nombreuses salles de classe manquent de tapis, de coussins ou de canapés, limitant ces possibilités.

L’univers de filets praticables « Netzwelten » s’avère bien accueilli par les enseignant·es et les élèves. Ces installations stimulent le besoin naturel de mouvement des enfants et leur permettent d'aménager leur propre espace d'apprentissage, renforçant leur bien-être. Les élèves s’y engagent pour jouer, grimper ou se dépenser. Les enseignant·es relèvent une motivation accrue et des scénarios d'apprentissage variés, favorisés par une organisation co-créative et proactive de l'espace.

Toutefois, l'intégration des filets suppose une évolution de la culture pédagogique et scolaire. Elle exige un changement de posture et un ouverture didactique des enseignant·es, conditions essentielles à l’adoption de cette innovation. Une telle installation nécessite également une évolution des mentalités politiques et dirigeantes. Leur financement passe en effet inévitablement par la reconnaissance de leur potentiel par les responsables de la construction dans les communes afin qu’ils en soutiennent la construction.

Un levier au potentiel sous-exploité

L'apprentissage par le mouvement reste peu intégré dans les pratiques pédagogiques. Promu principalement par les sciences du sport, il demeure mal connu des enseignant·es en formation, en exercice ou formateur·trices dans les HEP. Parmi les obstacles évoqués figurent le manque de temps, les doutes sur la rentabilité en regard des programmes scolaires, ou encore le manque de connaissances sur son utilité.

Les enseignant·es estiment que les conditions-cadre infrastructurelles pour l'apprentissage en mouvement à l'école sont généralement moyennes (Thiel & Teubert 2018). Les solutions se limitent majoritairement à optimiser les lieux d‘apprentissage existants, au détriment de solutions plus innovantes (Thiel et al. 2013).

A l’issue de ce projet, ses auteurs et autrices recommandent d'inclure l'activité physique dans la planification des cours, d’en faire un objet de formation initiale et continue, et de soutenir les enseignant·es dans sa mise en œuvre. Le projet « Netzwelten » représente une piste concrète, offrant un espace d'apprentissage dynamique, permettant une utilisation flexible et créative de l'espace stimulant la créativité et le bien-être des élèves.

Références

• [BMI-Monitoring] (2021). Monitoring der Gewichtsdaten der schulärztlichen Dienste der Städte Basel, Bern und Zürich.
• Daly-Smith, A., Morris, J. L., Norris, E., Williams, T. L., Archbold, V., Kallio, J., Tammelin, T. H., Singh, A., Mota, J., & von Seelen, J. (2021). Behaviours that prompt primary school teachers to adopt and implement physically active learning: a meta synthesis of qualitative evidence. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, 18, 1-20.
• Laging, R. (2017). Bewegung in Schule und Unterricht. Anregungen für eine bewegungsorientierte Schulentwicklung. Kohlhammer.
• Lanners, R. (2019). Sonderpädagogik. Erste Ergebnisse der neusten BfS-Statistik. Education, 3, 5.
• Manz, K. & Van Loon, K. (2024). Lernen in Bewegung bringen. Sind begehbare Netze wie «Netzwelten» inklusive und flexible Lernorte? Schweizerische Zeitschrift für Heilpädagogik, Nr. 8, 10–18.
• Manz, K., Horlacher, K., & Hammon, A. (2024). «Netzwelten» als innovativer Lernraum: Schü-ler*innen, Lehrpersonen, Studierende und Dozierende entwickeln in LernRAUM-Reallaboren ko-kreativ neue Lernumgebungen. phase0 – Journal für integriertes Planen, Bauen und Betreiben, Issue 2.
• Office fédéral du sport OFSPO (2013). L’école en mouvement. Présentation du modèle de l’école en mouvement.
• [Swiss TPH] Schweizerisches Tropen- und Public Health-Institut (2022). Sophya-Studie. Resultate zum Bewegungsverhalten von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz.
• Thiel, A., Teubert, H., & Kleindienst-Cachay, C. (2013). Die «Bewegte Schule» auf dem Weg in die Praxis – Theoretische und empirische Analysen einer pädagogischen Innovation (5. Aufl.). Schneider Verlag.
• Thiel, A., & Teubert, H. (2018). Die Bewegte Schule. In Heiner Barz (Hrsg.), Handbuch Bildungsreform und Reformpädagogik (503-510). Springer.
• Zimmermann, R. (2022). Bewegter Unterricht – reloaded! Eine empirische Untersuchung zu Effekten lernzeitwahrender und lernzeitschonender Massnahmen zur Sitzreduzierung in der Grundschule. Springer.
• « Netzwelten » en vidéo. Innosuisse (2023).
• PH FHNW (2024). «Netzwelten – Lernen in Bewegung».
• Hammon, A. (2022). «Lernraum-Reallabor Lichtensteig».

^[1] https://www.schulebewegt.ch/fr

^[2] En Suisse romande, une version francophone du programme a été développée, https://www.youplabouge.ch/

^[3] Le projet Netzwelten (2022-2023, https://www.netzwelten.ch/) était soutenu par Innosuisse (Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation) : https://www.innosuisse.admin.ch/fr/lecole-en-mouvement. La conception, la planification et les calculs statiques ont été réalisés par un architecte et développeur scolaire et un spécialiste international des réseaux. Deux partenaires économiques ont installé pour la première fois en Suisse dans deux écoles primaires des filets praticables et du mobilier scolaire avec des éléments de filet. Ceux-ci sont conformes aux normes européennes relatives aux aires de jeux pour enfants en termes de matériaux et de sécurité.

• Lire également :
• Magali Grossenbacher et Louisa Sang, «Enfants en mouvement, avenir en santé», REISO, Revue d'information sociale, publié le 23 décembre 2024
• Alexandra Bersier-Balz et Carine Vuitel, «Enfance: faire rimer activité physique et sécurité», REISO, Revue d'information sociale, publié le 29 août 2024
• Mathilde Hyvärinen, Hayman Lotfy, et Jennifer Wegrzyk, «Bouger, un défi pour les étudiant·es», REISO, Revue d'information sociale, publié le 4 janvier 2024