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Thérapie en ligne pour dépasser le deuil ou la séparation

Mercredi 21.09.2022

Le trouble du deuil prolongé touche environ 10% des personnes confrontées au décès d’un·e proche ou à une séparation amoureuse. Pour leur venir en aide, un programme de soutien thérapeutique en ligne fait l'objet d'une l’étude.

maya keyar psyconsultonline 170© Maya KheyarLIVIA, tel est le nom du programme de soutien en ligne élaboré par une équipe de recherche en psychologie clinique de l’Université de Lausanne, qui s’adresse aux personnes endeuillées et divorcées ou séparées. Développé sur la base de connaissances récentes sur les processus de deuil et les interventions par internet, il fait aujourd’hui l’objet d’une étude. Interview de Maya Kheyar, doctorante FNS.

(REISO) LIVIA est un programme de soutien destiné aux personnes qui ont vécu un deuil ou une séparation amoureuse depuis plus de six mois et qui ne parviennent pas à le surmonter. Pourquoi six mois ?

(Maya Kheyar) Le chagrin et la détresse psychologique après un décès ou une séparation sont des réactions normales. Généralement, l'intensité de cette tristesse s'atténue jusqu'à un degré gérable en quelques semaines ou mois. Ainsi, après la période la plus intense, le deuil peut toujours être présent, mais la perte est progressivement intégrée et n'entrave plus les activités de la vie courante. Cependant, environ 10% des personnes éprouvent des difficultés à long terme et développent une souffrance telle que l’on considère alors qu’il s’agit d’un trouble du deuil prolongé (selon le Manuel diagnostique des troubles mentaux ; DSM-5) (American Psychiatric Association, 2022).

Quelles en sont ses manifestations ?

Ce trouble se caractérise par une détresse liée à l’absence de la personne perdue, des pensées négatives répétitives et un cocktail d’émotions négatives, comme la culpabilité, la colère et l’abattement. On note aussi des comportements problématiques tels que l’évitement des situations rappelant l’être perdu·e et des difficultés à poursuivre ses intérêts, ou encore une perturbation de l’identité (par exemple, avoir l’impression qu’une partie de soi est morte). Les symptômes de deuil prolongé qui restent élevés au moins six mois après un événement peuvent refléter une difficulté de l’individu à s’en sortir seul·e. Ce programme s'adresse donc à celles et ceux qui ont vécu un deuil ou une séparation amoureuse au moins six mois avant de s'inscrire à l'étude et qui estiment qu’une aide pour faire face à leur détresse pourrait leur être utile.

Quels sont les constats qui vous ont poussé·e·s à développer ce programme ?

Tout d’abord, il existe peu de psychothérapeutes spécialisé·e·s formé·e·s au traitement des symptômes du deuil prolongé. Pourtant, compte tenu de la fréquence des problèmes liés à la perte d’un·e proche, beaucoup de gens ont besoin d'une intervention spécifique, dans leur langue maternelle, pour faire face aux difficultés liées à cette perte. D’autre part, si nous savons que la plupart des personnes cherchent des informations sur la Toile lorsqu’elles ne se sentent pas bien, il n'existe à ce jour aucune intervention psychologique déployée via internet pour soutenir de tels troubles, en français, qui ait été évaluée scientifiquement.

livia programme soutien psychologique deuil perte unil 400© Christian / Pixabay

Une démarche de soutien en ligne est-elle aussi efficace que des séances de psychothérapie en présence ?

À ce jour, un nombre important de recherches démontre que les interventions par internet s’avèrent aussi efficaces que les thérapies en face-à-face lorsqu'elles sont pratiquées avec une guidance, c'est-à-dire avec un contact minimal mais régulier avec un·e thérapeute (par exemple un soutien par courriel). Cela a été constaté pour une variété de difficultés psychologiques, à l’image de la dépression, des troubles anxieux, du stress post-traumatiques ou des troubles alimentaires, et également pour les symptômes liés au deuil prolongé (Wagner et al., 2020).

Une thérapie en ligne offre-t-elle des facilités par rapport à une démarche ordinaire ?

Les interventions par internet ont l’avantage d’être disponibles à tout moment et depuis n’importe quel endroit où l’on dispose d’une connexion internet. Elles représentent donc une voie prometteuse pour combler le manque de traitement.

Le programme s’étend sur six mois, avec une séance hebdomadaire. Comment faire pour s’assurer que les participant·e·s aillent au bout de la démarche sans avoir de lien en présence ?

Le programme comporte dix séances que l’on recommande de faire une fois par semaine, équivalent donc à une durée de trois mois. Toutefois, la totalité de l’étude dure six mois car trois mois après la fin du programme, une dernière série de questionnaires sera envoyée aux participant·e·s. Les résultats permettront d’évaluer scientifiquement l’efficacité du nouveau programme.

Un nouveau programme ? Il en existe donc déjà un ?

LIVIA est à l’origine un programme par internet, développé en allemand à l’Université de Berne, destiné aux personnes rencontrant des difficultés à surmonter la perte de leur partenaire (séparation, divorce ou deuil). Autant sa version allemande que la version française traduite par notre équipe ont démontré leur efficacité pour réduire la détresse liée à la perte d’une personne proche (Brodbeck et al., 2019 ; Efinger, Debrot & Pomini, 2021). LIVIA 2.0 est une version comportant plusieurs changements et innovations.

LIVIA propose une plateforme de soutien en ligne pour les personnes qui ont de la peine à se rétablir de la perte d’un être cher à la suite d’une séparation ou d’un décès.

L’étude vise donc à comparer les deux versions ?

Parmi les différents éléments mis en œuvre pour améliorer l’expérience des participant·e·s, citons le fait d’utiliser des rappels automatisés, de fournir plus d’interactivité dans les tâches et les exercices, de donner les moyens à chacun·e de mieux connaître et utiliser ses ressources personnelles face aux expériences difficiles, ou encore l’adaptation de l'intervention en fonction des caractéristiques de l’individu. Nous savons également que la possibilité de recourir à un contact personnalisé avec un·e psychologue améliore l'efficacité des interventions par internet. Cependant, lorsqu'ils·elles ont le choix, tous·tes les participant·e·s ne se tournent pas vers un·e thérapeute. Ainsi, nous allons fournir une guidance par courriel uniquement à celles et ceux qui en font la demande. Au final, l’étude vise à évaluer l’efficacité de ces deux programmes d’auto-soutien en ligne. Plus précisément, nous visons à comparer les effets de LIVIA 1 et LIVIA 2.0 auprès de personnes ayant vécu une perte interpersonnelle qui les fait souffrir. Ce projet contribuera à l’avancée des connaissances sur les programmes psychologiques d’autosoutien par internet et à promouvoir des méthodes d’intervention novatrices, peu disponibles actuellement en français.

Une personne endeuillée, dont l’entrain est atteint, est-elle capable de se mobiliser pour suivre un programme en ligne ?

Les travaux montrent que ces programmes semblent convenir à un large éventail d’individus, notamment les personnes autonomes ou qui souhaitent avoir un suivi anonyme, sans contrainte d’argent ou de temps. D’autres auront besoin d’un contact et de soutien en présentiel. L’idée est de proposer une offre complémentaire. Il faut cependant noter qu’il s’agit d’une démarche volontaire et, comme dans une thérapie en face-à-face, nous ne pouvons pas forcer les personnes à venir en séance ou à se connecter sur le programme.

Les personnes qui se lancent dans votre démarche de soutien ne doivent pas être en psychothérapie en parallèle. Peuvent-elles être suivie pas un·e assistant·e social·e ou vivre en institution ?

Pour autant qu'ils et elles ne soient effectivement pas en psychothérapie en parallèle, les participant·e·s peuvent tout à fait être suivi·e·s par un un·e assistant·e social·e ou vivre en institution. Toutes les personnes qui disposent de la capacité d’utiliser internet de manière courante, qui répondent aux critères de participation et qui auront approuvé et signé le formulaire de consentement libre et éclairé seront admissibles à l'étude et pourront suivre le programme. Cependant, nous n’avons pas, pour cette étude, adapté le site à des besoins particuliers, par exemple pour les personnes malentendantes ou malvoyantes. C’est un élément dont nous tiendrons compte pour de prochains projets.

(Propos recueillis par Céline Rochat)

Infos pratiques

Quoi ? LIVIA est un programme de soutien par internet pour les difficultés à surmonter la perte d’un·e proche, par séparation ou décès
Qui ? Le programme est destiné à des adultes agé·e·s de 18 ans et plus, ayant perdu une personne proche (par séparation, divorce ou décès) depuis au moins six mois.
Où ? Informations et inscriptions en ligne
Comment ? Une fois qu’il a été vérifié que les personnes intéressées remplissent les critères de participation, un formulaire de consentement doit être signé puis un questionnaire de début de programme complété. Ensuite, un login est sera transmis pour pouvoir débuter le programme.
Combien ? Ce programme est entièrement gratuit. Il est uniquement demandé aux participant·e·s de contribuer à la recherche en répondant aux questionnaires.

Références

  • American Psychiatric Association. (2022). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition, Text Revision (DSM-5-TR). American Psychiatric Association Publishing. https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm
  • Brodbeck, J., Berger, T., Biesold, N., Rockstroh, F., & Znoj, H. J. (2019). Evaluation of a guided internet-based self-help intervention for older adults after spousal bereavement or separation/divorce: A randomised controlled trial. Journal of affective disorders, 252, 440-449.
  • Efinger, L., Debrot, A., & Pomini, V. (2021). LIVIA-FR: Implémentation et évaluation d'une intervention par Internet pour des personnes francophones peinant à surmonter la perte de leur partenaire. In Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique. Elsevier Masson.
  • Wagner, B., Rosenberg, N., Hofmann, L., & Maass, U. (2020). Web-based bereavement care: a systematic review and meta-analysis. Frontiers in psychiatry, 11, 525.

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