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Recension: «Un médecin face à la vie et à sa mort», de Paul Kalanithi

mercredi 22.03.17
  • Quand le souffle rejoint le ciel. Un médecin face à la vie et à sa mort
  • Paul Kalanithi, traduit par Cécile Fruteau, Paris: Editions Jean-Claude Lattès, 2017, 248 pages.

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

KalanithiÀ 36 ans, Paul Kalanithi apprend qu’il souffre d’un cancer pulmonaire avancé. Issu de parents de classe moyenne venus d’Inde, établis près de New York puis en Arizona, il a étudié la médecine à Yale avant de rejoindre Stanford où une brillante carrière l’attendait. Attiré par la langue et l’écriture (il avait aussi fait un master en littérature et histoire de la médecine), il a écrit ce livre-témoignage sur une situation classique mais toujours délicate: celle du médecin qui devient le patient.

La première partie de l’ouvrage évoque sa jeunesse et ses études, en soulignant sa constante recherche existentielle de sens à/dans la vie et son intérêt pour la relation. La deuxième est consacrée aux deux ans de maladie et traitements, aux multiples questions, espoirs et désillusions. Il parle de son passage du statut de médecin compétent et apprécié à celui de malade gravement atteint, dans le même hôpital – et des rapports avec ses confrères devenus ses thérapeutes. «A cet instant, mon identité de praticien n’importait plus (…) Au lieu d’incarner une figure pastorale de guide, je me retrouvais mouton, perdu et sans repère. (…) J’étais passé de la fonction de sujet des phrases de ma vie à celle de complément d’objet direct.»

La publication du livre a été rendue possible grâce à son épouse Lucy, qui rédige un substantiel épilogue: «Cet ouvrage, s’il est l’œuvre d’un travailleur acharné, reste néanmoins le témoignage d’un homme à court de temps, dans l’urgence de partager ses pensées les plus profondes.» Et aussi: «Paul s’appuya sur sa force intérieure et sur sa famille pour affronter chaque étape de sa maladie avec grâce – jamais d’aveuglement bravache ou de foi mal placée dans une guérison improbable – et une authenticité qui lui permirent de faire le deuil du futur qu’il avait prévu et de s’en forger un nouveau.» Mais encore: «Avec ce livre, nos amis seront surpris d’apprendre que Paul et moi avons traversé une période de troubles conjugaux. Mais j’en suis heureuse car ces problèmes constituent une partie de ce que nous avons dû redéfinir; en un mot une rédemption.»

Paul et Lucy ont débattu de manière approfondie le point de savoir si, lui étant malade, ils voulaient chercher à avoir un enfant. Choix très difficile, avec les questions qu’il pose sur le «meilleur intérêt», ultérieur, et le bien-être des uns et des autres. Ils l’ont fait, et leur fille Cady a illuminé les derniers mois de son père.

Dans la conclusion: « Loin du Paul brillant et solide dont j’étais tombée amoureuse, la version de mon mari qui me manque le plus reste celle de sa dernière année, celle de cet écrivain fragile (…) Ce qui est arrivé à Paul fut tragique mais lui-même ne le fut jamais.» A la dernière page : « Malgré le travail ardu et brutal qu’a représenté pour lui cette écriture, il ne faiblit jamais. Son œuvre est donc complète, aussi inachevée soit-elle.»

REISO a mis en ligne récemment d’autres récits de malades (1, 2). Les styles diffèrentvivement : chez Malzieu, musicien français, c’est l’humour et la poésie; chez Ogien, philosophe issu d’une famille venue d’Europe de l’Est, c’est la réflexion empreinte de sociologie médicale. Chez Kalanithi, descendant d’immigrés lui aussi, on sent la force du « Rêve américain», du «hardwork» qui permet de réussir, de la concentration sur une pratique impeccable de la médecine, sur le plan technique comme sur le plan de la relation au malade.

1. Mathias Malzieu.Journal d’un vampire en pyjama. Paris: Albin Michel, 2016. Recension sur REISO
2. Ruwen Ogien. Mes Mille et Une Nuits – La maladie comme drame et comme comédie. Paris: Albin Michel, 2017. Recension sur REISO

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