L’insoumission politique... au quotidien
Depuis 1992, l’Association de défense des chômeuses et chômeurs tient une permanence juridique, observe et critique l’évolution des assurances sociales. Elle pointe en particulier la loi du soupçon.
Par le Collectif de l'Association de défense des chômeuses et chômeurs, Lausanne
Le fonctionnement de l’Association de défense des chômeuses et chômeurs (ADC Lausanne) comporte deux volets étroitement liés [1].
- Le premier consiste en un suivi politique des différentes lois et assurances sociales (Loi sur l’assurance-chômage, Loi sur le travail, Aide sociale vaudoise ou Revenu d’insertion, etc.).
- Le deuxième volet consiste à assurer une permanence juridique destinée à des personnes qui auraient besoin/envie de conseils, d’informations ou d’aide pour rédiger une lettre à diverses autorités. Les courriers sont écrits en présence et en collaboration avec les personnes intéressées.
La combinaison des deux volets. Le va-et-vient entre le terrain et la réflexion/action politique est le fondement de l’ADC. Cette dialectique permet non seulement de mener une critique politique, elle ouvre des marges de manœuvre pour dire et faire des choses avec des personnes qui sont pensées comme des « sans voix » ou des « sans droit ». Précisons que l’association est aussi un lieu de promotion d’une organisation institutionnelle différente qui s’inspire du fonctionnement anarchiste (libertaire).
Les contradictions du système de contre-prestations
La longue pratique que l’ADC a du système du chômage et des contre-prestations montre que, malgré les discours délivrés par les autorités pour une politique réellement qualifiante des mesures offertes par l’assurance-chômage, cette intention ne se concrétise bien souvent pas dans le modus operandi des Offices régionaux de placement (ORP). Les permanent-e-s observent au contraire une contradiction flagrante entre les discours officiels et les retours fréquents des assuré-e-s : ainsi, soit les personnes se voient assigner à une mesure qu’elles n’ont nullement demandée, soit elles s’en voient refuser une qu’elles appellent de leurs vœux.
Ces pratiques de mise en soumission semblent de prime abord absurdes puisque cette politique ne permet pas aux individus de mener de manière autonome leur projet personnel et crée ainsi un effet de déperdition de l’énergie productive. Pourtant, en observant le système de manière plus approfondie, on peut soupçonner que le système fonctionne de cette manière pour des raisons plus perverses.
Car un avantage indéniable du « chômage structurel » réside dans le fait qu’il permet aux patrons de disposer d’une main d’œuvre corvéable et bon marché. La « docilité » de cette main d’œuvre est assurée par les systèmes de punition (entre quelques jours et pratiquement 3 mois de suspension des prestations selon la « faute » commise) et par l’obligation d’accepter toutes les mesures actives imposées par les ORP pour ne pas risquer des sanctions financières. De plus, d’un point de vue purement économique, l’obligation faite aux chômeuses et chômeurs d’accepter un emploi rémunéré à un salaire très inférieur au travail précédent permet de créer un important dumping salarial.
Un lieu de révolte contre le soupçon
La double casquette des conseiller-e-s ORP – censé-e-s offrir des conseils et en même temps punir – rend la relation de confiance quasiment impossible. Déjà déstabilisée par la perte de son emploi, la personne au chômage se trouve dans une relation de méfiance face à l’institution étatique qui prétend l’accompagner dans ses démarches. C’est en général là que l’ADC intervient. Elle permet à chacun-e de venir dans un lieu où il est possible de parler en toute confiance de ses doutes et de ses projets, un lieu où sont expliquées les implications pratiques des choix personnels tant dans les domaines du chômage ou du revenu d’insertion (RI) que dans les conditions de travail.
Dans le cadre des permanences, le principe est d’écouter et de croire ce que disent les personnes. Très souvent, elles sont surprises d’être écoutées et crues… En fait, si l’ADC est fréquemment une solution de « dernier recours » – les personnes ne maîtrisant ni les codes juridiques ni les codes langagiers ne peuvent pas faire autrement que s’en remettre à celles et ceux « qui en savent plus qu’elles » – nous pensons qu’il s’élabore autre chose qu’un simple transfert de connaissances pendant les permanences. En quelque sorte, l’association est un lieu de révolte contre le « soupçon » ; ce soupçon alimenté par les mesures actives visant à « éviter l’abus », soupçon particulièrement vigoureux contre les femmes ou/et les étranger-e-s…
Depuis 1992, c’est en s’appuyant sur ces situations personnelles et sur une réflexion collective que l’ADC mène ses actions politiques et juridiques.
[1] Ce texte est un résumé de la présentation faite lors du Colloque international sur la colère en politique, Université de Lausanne, 23-24 avril 2010. Texte intégral, 7 pages, en format Word