Les Semestres de motivation sont-ils efficaces ?
Comment la prise en charge des jeunes en difficulté d’insertion est-elle organisée ? Quel est le bilan concret à tirer actuellement des semestres de motivation encouragés par l’OFIAMT ?
Par Aude Métral, assistante diplômée, Domaine Sociologie, politiques sociales et travail social, Université de Fribourg
En 1994, un projet pilote a été lancé en Valais sous la forme de « semestres de motivation » (SEMO). Cette structure financée par l’assurance chômage a été pensée pour soutenir les adolescents et les jeunes adultes sans perspective ou sans formation professionnelle au terme de leur scolarité obligatoire. Une première expérience a débuté avec deux collaborateurs et dix jeunes. Lors des six premiers mois, neuf jeunes ont trouvé une place d’apprentissage en accord avec leurs attentes et leurs compétences. Fort de ce résultat encourageant, l’OFIAMT a validé le projet et encouragé les cantons suisses à développer des structures analogues. Actuellement, il existe une soixantaine de SEMOS en Suisse, ce qui correspond à environ 8500 jeunes inscrits et à plus de 150 collaborateurs qui y travaillent. Malgré les premiers résultats et une marge de progression en hausse, bon nombre de jeunes restent sur la touche, notamment à cause du manque persistant de places d’apprentissage et des nouveaux critères d’excellence gouvernant le monde professionnel auxquels ces jeunes ne correspondent souvent pas.
L’efficacité des SEMOS ne doit pas être minimisée. Il est toutefois opportun de la traduire quelque peu autrement. Ainsi, comment les collaborateurs parviennent-ils à tenir leur objectif, à leurs yeux, aux yeux des jeunes et même aux yeux de l’environnement socio-économique, lorsque celui-ci ne peut effectivement pas être atteint pour une partie des jeunes en difficulté d’insertion ? Pour tenter de répondre à cette question, un semestre romand a été étudié. En fait, si le SEMO en question a réussi à maintenir son objectif d’insertion, c’est qu’il ne débouche pas à proprement parler sur l’insertion formelle des jeunes dans le marché du travail – la maîtrise du monde professionnel échappe aux collaborateurs – mais il participe à produire leur capacité de « vouloir et pouvoir s’insérer ».
La production du « vouloir et pouvoir » s’insérer
Malgré certains obstacles structurels, la production et la transmission du « vouloir et pouvoir » s’insérer se retrouve chez la majorité des collaborateurs-employés consultés. Chacun-e possède une théorie de l’insertion réussie charpentée par deux facteurs principaux.
1. En premier lieu, tous les collaborateurs interrogés ont vécu une rupture insertionnelle, voulue ou contrainte, et ont réussi leur nouvelle insertion professionnelle au sein du SEMO. Même s’ils ne présentaient pas toutes les compétences requises, le SEMO leur a donné une « chance ». Précisons que pour être engagé comme collaborateur, il n’existe pas de critères d’embauche stricts au sein de la structure, mise à part la maîtrise de l’atelier à animer. Dès lors, la majorité des interrogés n’ont pas eu de formation pédagogique et proviennent d’horizons professionnels différents (en raison de la diversité des ateliers).
2. En deuxième lieu, tous les collaborateurs sont mus par une conviction profonde : s’ils ont réussi leur insertion professionnelle, pourtant non gagnée d’avance, celle des jeunes qui leur sont confiés pourra également être réalisée. Penser autrement serait d’ailleurs impossible car interroger la mission du SEMO remettrait en question leur propre insertion professionnelle. Mettre en scène leur expérience insertionnelle réussie, traduite par une théorie de l’insertion propre à chaque collaborateur en fonction de ses sensibilités et de son parcours professionnel, représente ainsi le vecteur principal de production et de transmission du « vouloir et pouvoir » s’insérer.
Une efficacité à redéfinir
La capacité de « vouloir et pouvoir » s’insérer – même lorsque cette capacité ne s’est pas concrétisée par un poste de travail ou d’apprentissage – a permis d’asseoir l’efficacité du semestre étudié. Il nous semble pourtant que cette efficacité devrait être doublement nuancée. D’une part, est-il nécessaire d’avoir été en mal d’insertion – mal comblé par le SEMO pour ces collaborateurs qui n’avaient pas toujours le CV adéquat – pour aider des individus à intégrer le marché du travail ? D’autre part, le non formalisme autour des théories insertionnelles, bien que bénéfique dans une certaine mesure, pose la question de la professionnalisation des métiers d’insertion et plus généralement des métiers dits sociaux. Le discours sur l’insertion gagnerait probablement à tenir compte de ces autres facettes des semestres de motivation.