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Dans les entrailles d’un jeûneur

Lundi 10.02.2020
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Voyage dans la tête et le corps d’une personne qui s’astreint à un jeûne. Pourquoi cette cure ? Perdre sa brioche ? Allez au bout de soi-même ? Retrouver sa fougue de jeune chamois ? Un peu de tout ça et plus encore. Témoignage.

Par Antoine Jaccoud, jeûneur sporadique, scénariste et auteur de théâtre, Lausanne

Tu me demandes de te parler de mes jeûnes. Peut-être est-ce parce que tu as remarqué que j’ai grossi – la sédentarité, le vin rouge, une longue résidence en Italie excessivement propice aux alanguissements du corps - ou alors est-ce chez toi l’effet de ces repas de fête qui, à force de répétitions, finissent par créer une certaine ambivalence à l’égard de la bouffe. On se réjouit avant – ah, la dinde de Jean-Pierre ; miam, miam, la terrine de Raymonde – et puis on se sent comme un mammouth obèse et déprimé après – tisane détox et brocoli jusqu’au 15 janvier, les gars, rien d’autre. Bref, tu veux savoir comment ça se passe, ces cures, ces semaines de privations, ces retraites à l’écart des bistrots et des bouchers ; tu veux savoir si on a faim, tu veux savoir si on souffre, tu veux savoir si on ne devient pas à moitié fou sous l’effet du manque et de la détresse qui en découle. Tout cela t’intéresse.

Je veux te rassurer. Je veux te dire que le jeûne est somme toute une belle aventure, à la portée du premier venu/de la première venue, qui plus est ; une expérience pas héroïque du tout, un peu exigeante peut-être, un peu déstabilisante assurément, mais au bout du compte aussi riche et sobre tout à la fois, que, je ne sais pas, une semaine passée dans un cabanon quelque part dans les Abruzzes ou même le Jura sans dossier à lire ni téléphone: un moment de ta vie qui t’a ramené à toi-même plutôt que diverti. Et si tu veux savoir si on a faim, alors la réponse est non, on n’a pas faim, pas du tout, pas une fois durant les sept jours que dure la cure (mais on peut prolonger si l’on veut : quatorze, c’est jouable, voire vingt-et-un, mais là, il faut vraiment vouloir aller au bout de soi-même, et prévoir de donner l’ensemble de sa garde-robe à Caritas et de tout racheter à neuf), mais que l’on passe par toutes sortes de sensations, certaines inédites et agréables, d’autres désagréables, voire même embarrassantes.

Histoire de punir la bête

Commençons par le désagréable si tu veux bien, comme ça ce sera fait. Les deux premiers jours sont faciles. Tu as déjà un peu jeûné dans ta vie parce que tu avais trop picolé, ou chopé la tourista au Burkina-Faso, ou encore à la faveur d’une rupture amoureuse qui t’a donné envie de mourir plutôt que continuer ton bonhomme de chemin sur cette terre. Et puis tout est neuf au début du séjour. Le yoga et la méditation le matin, ta petite chambre avec tes livres et ton portable (attention on aime bien couper la wi-fi le soir en ces lieux), et puis les collègues, bien sûr, dont je te parlerai peut-être plus tard. Au troisième jour par contre il se peut que les vertiges t’assaillent, que la rando de 4 heures à laquelle tu as cru bon t’inscrire (histoire de préserver ta musculature, histoire aussi de punir la bête – tu es protestant) ressemble à la traversée du désert de Gobi, il se peut même que tu aies une ou deux « hallu » comme on dit dans le jargon de la drogue, ou que « tu voies les belettes » – comme on disait chez moi quand j’étais petit. Dans ces moments-là, c’est vrai que tu te contentes de suivre, dents serrées et tête basse, l’accompagnatrice de moyenne montagne dans son costume couleur taupe en goretex, te demandant si ces forêts et ces villages que tu traverses sont réels ou le fruit de ton imagination, ou de ton délire, de jeûneur novice.

Mais tout cela n’est pas si terrible : le pire est ailleurs, et il n’a rien à voir avec l’effort physique. Pardonne la suite : je vais envoyer du lourd. Certains centres, mais pas tous, c’est une affaire de doctrine, conseillent, et proposent au titre des prestations supplémentaires du séjour – au même titre que le massage californien, ou l’iridologie – une hydratation ou irrigation du colon propre (si j’ose dire) à vider ton intestin de tout résidu alimentaire susceptible de faire obstacle aux divers processus biologiques déclenchés par le jeûne. Les animateurs du premier centre que j’ai fréquenté étaient de fervents adeptes de cette méthode. Il fallut m’y soumettre. D’autant que j’avais péché. La brochure livrée des semaines à l’avance disait de supprimer la viande, et les œufs, et les graisses, et les légumes cuits, et le café. Je n’avais à peu près rien respecté de cela. Pire, je m’étais tapé, pathétiques adieux à la bouffe, une bière et un jambon-beurre à la gare de Valence, quelques minutes avant de rejoindre le Centre dans son austère hameau de la Drôme.

Moi, mon côlon…

Mais attends, ce n’est pas tout. Le même document conseillait la prise d’un bon laxatif la nuit précédant le départ. Refusant les produits suggérés, trop radicaux à mon goût, je bus vite fait un jus de pruneau de la Migros qui n’eut d’autre résultat que la transformation de ma tuyauterie interne en ensemble de cuivres. Folie encore. Je te fais rire. Ce n’est pas fini. Laisse-moi te dire la chose, et le bourreau qui en a la charge. La pièce est petite. Un lit de massage recouvert d’une toile cirée trône au milieu de celle-ci. Un appareil bardé de tuyaux, sorte de mixte entre un boiler et une machine à traire, attend son heure dans un coin. Le prof de yoga m’accueille, vêtu d’une blouse de chirurgien ukrainien ou moldave pour la circonstance (je vois beaucoup de films documentaires sur l’Europe de l’Est). Je ne le savais pas diplômé en hydratation colonique. Un papier fiché au mur en atteste pourtant. Je prends place sur le lit. Je sens bientôt un tuyau plonger dans mon intimité. Puis un litre, deux litres, trois litres d’eau tiède envahir mes entrailles. Mon ventre gonfle, gonfle. Je suis vache, je suis ballon, je suis montgolfière. Puis le remplissage s’arrête et le prof de yoga diplômé en irrigation colonique quitte sa machine pour commencer d’appuyer vivement sur mon abdomen afin de faire ressortir ce qu’il a en moi injecté. Malédiction. Je me sens tube de Parfait. Je me sens nourrisson trituré pour lui faire passer la colique. Je me sens petit, seul, ridicule et malade. Tu ris encore ? Voici l’épilogue. Des heures plus tard, ma petite chambre retrouvée, je coulerai, oui, je coulerai encore. Pauvre de moi. Tant d’années à apprendre à être propre pour régresser ainsi, qui plus est à mille balles la semaine.

Tu ris aux éclats. Je te laisse te remettre. J’en ai terminé avec la part obscure de cette affaire. Passons aux vertus. Je t’ai dit les vertiges du troisième jour. Au quatrième, un processus étrange se met en place. Tu commences à te sentir fort. Tu commences à te sentir léger, tonique, vigoureux. Tu te lèves à l’aube, plein d’une énergie juvénile. Tu as bonne mine. Tes cernes ont presque disparu. Ta tension est basse (on la prend dans certains centres). Ton humeur ensoleillée. Durant la rando, tu dépasses l’accompagnatrice dans son costume taupe et reste devant, fougueux comme un jeune chamois. Tu es vide de combustible, mais plein d’une sorte de sentiment de toute-puissance qui s’y substitue. Et dans ta tête, des choses commencent à changer. La perspective d’un gueuleton te réjouissait. Tu te dis qu’il y a plus essentiel dans la vie. Tu bouffais du pain avec la pizza ? Tu ne le feras plus. Tu sortais le pic-nic du sac dès le sommet atteint ? Tu es là maintenant à regarder planer les vautours en te contentant de ta simple présence au monde. Manger oui, mais peu, mais moins. Nous avons des réserves. Nous avons des ressources. Nous sommes davantage faits (programmés, conçus) pour manquer – un jour une baleine ou un chevreuil, un jour rien. Un jour des champignons et des framboises, un jour rien – que pour cet état de d’abondance permanente qui constitue notre ordinaire. Elle nous rend malade. Elle nous tue à petits feux.

La rupture du jeûne

Tu m’écoutes te faire cette révélation digne d’un chamane sibérien, ou l’un de ces chefs de tribus amazoniennes venu en pagne défendre son peuple à l’ONU. Je vois une lueur d’admiration dans tes yeux. Mais les autres, demandes-tu? Tes collègues, tes compagnons de cure? Je te confesse mon impression première. Une bande de « tamalou » en burnout, des hypochondriaques chroniques, des vétérans du mal-être cherchant le salut et la consolation dans tous les centres de cure de l’Europe. Et puis le temps et les épreuves partagées dissipent l’impression première. Ce banquier luxembourgeois qui a survécu à trois crises cardiaques successives raconte avec beaucoup d’esprit les magouilles du Duché. Une hédoniste joyeuse se dissimule derrière cette enseignante de Vesoul au visage d’ascète. Et cette ancienne des RH de la Redoute devenue potière qui rit de mes plaisanteries (« qui veut du tiramisu ? » est devenu mon gag récurrent au bouillon – clair – du soir) me rappelle Marianne Faithfull. Dans une autre vie, j’aurais eu plaisir à être son Mick Jagger.

Le jeûne fédère et suscite la bienveillance réciproque. Tout comme « l’effet colon » qui vient redoubler encore cette fraternité temporaire. «Ça va ton colon ? » « Oui, plus ou moins, et le tien ? » «Il me chicane encore un peu mais ça va vers le mieux.» Ces échanges intimes et profonds ont cours entre les jeûneurs et les jeûneuses avant même qu’ils et elles connaissent leur prénom. Tu veux connaître la fin? Au matin du septième jour, amaigris, rajeunis, affûtés et vigousses, les curistes rompent le jeûne pour prendre ensemble un premier repas dit de reprise. Une petite tranche de tofu ou un peu de chou fermenté, ce sera là le menu de la cérémonie des adieux. Avant l’accolade, l’échange des adresses mail pour les photos (« c’est promis, t’oublies pas, hein ! ») et le retour à la vie ordinaire. Lent, progressif, prudemment structuré en étapes. Une tranche de Forêt-Noire ou un verre de Merlot trop tôt ingurgités tueraient en effet le Voyageur revenu de son long séjour au pays de l’ascèse.

Et après, demandes-tu enfin ?

Après ? Regarde ma brioche. Après, tu fais gaffe, un moment, et puis tu fais plus gaffe.

Alors tu y retournes.

Cet article appartient au dossier À table!

Comment citer cet article ?

Antoine Jaccoud, «Dans les entrailles d’un jeûneur», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 février 2020, https://www.reiso.org/document/5569

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