Les « célibataires » restent plus longtemps à l’hôpital
Une étude menée en Suisse s’est intéressée à l’effet de vivre dans un ménage avec d’autres adultes sur la durée des hospitalisations.
Par France Weaver (Université de Genève, Département d’Econométrie) et Bryce Weaver (Université de Lausanne, Centre de compétence en sciences sociales)
En Suisse, la proportion de ménages d’une personne est passée de 20 à 36% de 1980 à 2005 et elle pourrait atteindre 41% d’ici 2030 (Office fédéral de la statistique, OFS [1]. Cette tendance peut avoir des conséquences sur le recours aux soins. En effet, vivre avec d’autres adultes (conjoint, enfants adultes ou autres adultes) implique qu’une personne ayant besoin de soins dispose potentiellement de conseils et d’aide informelle à la maison. La littérature internationale documente le lien entre le fait de disposer d’aide informelle et le recours aux établissements médico-sociaux et aux services d’aide et de soins à domicile. Par contre, peu d’information existe, aussi bien en Suisse qu’à l’étranger, sur un lien possible entre l’aide informelle et le recours aux services de soins aigus, tels que les hospitalisations. Une étude menée à l’Université de Genève et au Centre de compétence en sciences sociales de Lausanne a voulu répondre à trois questions :
- Est-ce que vivre avec d’autres adultes a un effet sur le risque d’aller à l’hôpital au cours d’une année ?
- Est-ce que vivre avec d’autres adultes influence la durée de séjour, une fois hospitalisé ?
- Est-ce que ces effets varient selon que la personne vive avec un conjoint ou avec un autre adulte (surtout des enfants) ?
A priori, un conjoint ou un enfant adulte peut réduire le risque de devoir recourir au système de soins et l’intensité des soins. Un aidant potentiel peut en effet observer l’état de santé et procurer un soutien permettant d’éviter une hospitalisation. De plus, un adulte co-résident peut procurer des soins de base ou une aide pour effectuer certaines activités de la vie quotidienne, telles que se lever, se laver ou s’habiller. Cela peut réduire la durée d’hospitalisation. Un conjoint ou un enfant adulte peut aussi, à l’inverse, encourager une personne à être hospitalisée ou peut l’inciter à rester plus longtemps à l’hôpital.
3200 situations étudiées
Afin de quantifier ces différentes options, notre analyse a été conduite sur les données du Panel Suisse des Ménages de 2004 à 2007, représentatives de la population suisse non-institutionnalisée. L’étude s’est concentrée sur les personnes âgées de 18 ans et plus, ce qui correspond à près de 23’000 observations. Environ 14% des individus, soit plus de 3200 cas, ont indiqué une hospitalisation au cours des 12 mois précédant l’interview. Parmi les personnes hospitalisées, la durée moyenne de séjour a été de 7,2 jours. Ces chiffres sont comparables à ceux fournis par les hôpitaux et publiés par l’OFS [2]).
Des modèles statistiques ont permis de quantifier l’effet de vivre dans un ménage composé de plusieurs adultes sur le risque d’être hospitalisé et le nombre de jours passés à l’hôpital. Ces modèles tiennent compte de l’état de santé des personnes interviewées, de leur situation socio-économiques et de certaines caractéristiques du système de santé suisse ; par exemple, le fait qu’il existe de grandes variations entre cantons dans la politique de santé, le nombre de lits d’hôpital par habitant ou l’offre des services d’aide et de soins à domicile.
Les résultats indiquent que vivre avec d’autres adultes n’a aucun effet sur le risque de devoir être hospitalisé. En revanche, cette situation a un effet important sur la durée des hospitalisations. Une fois hospitalisées, les personnes vivant dans un ménage avec d’autres adultes passent en moyenne deux jours de moins à l’hôpital que les personnes vivant seules. Ainsi, les adultes vivant seuls restent à l’hôpital 8,5 jours en moyenne, alors que les personnes vivant avec d’autres adultes y passent 6,6 jours. Vivre avec un conjoint a le même effet que vivre avec d’autres adultes (y compris des enfants) sur le risque d’hospitalisation et la durée de séjour.
Une personne à la maison
Ces résultats révèlent qu’un patient peut sortir plus rapidement de l’hôpital s’il vit avec d’autres adultes qui sont, en général, prêts à procurer une supervision, une aide ou même des soins de base en cas de besoin. En revanche, le type de liens avec la personne pouvant potentiellement aider le patient ne joue pas de rôle. Ce qui compte est le fait d’avoir une personne « à disposition » à la maison. De nouveaux travaux permettront d’analyser les différences par genre, afin de savoir si vivre avec un homme ou une femme a un effet différencié sur les hospitalisations et si les femmes continuent à être la source principale de l’aide informelle ou si les rôles évoluent.
En Suisse, la politique de santé peine à intégrer le rôle joué par la famille et les proches dans la provision des soins. Cette étude renforce l’hypothèse que l’aide informelle fait partie intégrante du système de santé. En effet, elle influence les hospitalisations qui constituent la forme de soins générant la plus grande part des coûts de la santé en Suisse, avec plus d’un tiers des dépenses en 2008 [3].
Depuis quelques temps, les assurances maladie et les pouvoirs politiques cherchent des moyens pour réduire les hospitalisations et les durées de séjour, par exemple en encourageant les soins ambulatoires, les réseaux de soins de type managed care et en introduisant en 2012 le paiement des hôpitaux suisses par forfait – appelé SwissDRG. Soutenir l’aide informelle constitue une piste qui ne devrait pas être négligée pour limiter en partie la hausse des coûts de la santé. Ignorer l’importance de l’aide informelle peut non seulement résulter dans de fausses projections des coûts de la santé mais aussi empêcher l’apparition d’instruments innovants encourageant la cohabitation et la provision de l’aide informelle.
[1] Ménages privés en Suisse par taille du ménage selon le scénario AM-00-2005 de 2005 à 2030, fichier Excel accédé en mars 2010 sur cette page du site de l’OFS
[2] Cas d’hospitalisation selon l’âge et le sexe, 198-2009, fichier Excel, accédé en novembre 2010, sur cette page du site de l’OFS
[3] Coûts du système de santé en 2008, résultats accédés en novembre 2010 sur cette page du site de l’OFS