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Dans les établissements d’exécution de mesures

Lundi 30.09.2019
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Le Code pénal définit des mesures thérapeutiques pour des centaines de délinquants souffrant de troubles psychiques. Dans un cadre sans durée fixe, l’intervention sociale suit des objectifs par étapes pour faire «diversion» sur l’avenir.

Par Diane Antille, mémoire de master en travail social et politiques sociales, Université de Fribourg

A travers neuf entretiens qualitatifs auprès de travailleurs sociaux d’un établissement d’exécution de mesures thérapeutiques en milieu ouvert, la recherche [1] a tenté de saisir les multiples enjeux qui gravitent autour de l’accompagnement socio-éducatif des personnes soumises à une mesure de sûreté au sens de l’article 59.2 du Code pénal.

Depuis la révision de 2007, le système juridique suisse préconise une approche dualiste, ce qui implique qu’un délinquant peut être amené à purger sa peine avant d’être astreint à une mesure de sûreté. Généralement, ces mesures sont prononcées pour des raisons de sécurité collective ou à cause de l’état personnel instable du délinquant, le but étant de neutraliser les criminels dangereux et d’offrir un traitement approprié aux personnes potentiellement réinsérables dans la société.

La mesure thérapeutique institutionnelle

Ici, il sera plus particulièrement question de la mesure thérapeutique institutionnelle. Celle-ci symbolise un « tournant modernisateur » [2] puisqu’elle s’adresse à des auteurs de délits souffrant de graves troubles mentaux. Leurs crimes ont été mis en relation avec ces troubles et il est à prévoir que cette mesure les détournera de nouvelles infractions.

Dès lors, un nouveau type de criminalité est étiqueté, celui dicté par la maladie psychique. Il est caractérisé par des actes réprimandables de personnes n’étant plus en mesure de conscientiser la gravité et les conséquences de leurs délits. En Suisse, cela représente près de mille personnes par année. Incarcérer ce type de population dans un établissement pénitentiaire sans accompagnement individualisé semble contre-productif. Il convient donc plutôt de leur apporter un soutien psychiatrique, psychologique et éducatif tout en protégeant la société et eux-mêmes d’une potentielle récidive.

Tout au long du placement institutionnel, les «résidents» – nous préfèrerons cette appellation à celle de «détenus» – sont tenus de se plier à une multitude d’injonctions définies non seulement par les services placeurs mais aussi par l’établissement de la prise en charge. Ils doivent notamment suivre les entretiens psychiatriques, psychologiques et éducatifs, prendre leur médication, participer aux ateliers protégés et construire un projet de vie. Ceci dans une optique de responsabilisation, d’autonomisation et de stabilisation psychique afin qu’ils aient acquis, lors de l’évaluation avec les autres intervenant·e·s, les compétences nécessaires à la réintégration sociale et/ou professionnelle, conditions centrales à la levée de la mesure.

L’incertitude totale face à l’avenir

C’est pour cette raison que la date de levée de la mesure n’est pas définie lors du jugement mais évaluée au regard de la problématique et de l’évolution du résident. En fait, une limite supérieure de cinq ans est fixée dans le code pénal et si les conditions d’une libération ne sont pas réunies, le juge peut prolonger ce délai aussi souvent que son maintien est légitime. En ce sens, « il n’est pas irréaliste qu’une personne puisse être emprisonnée pendant onze ans en raison d’un pronostic médical qui ne s’améliore pas, alors qu’elle avait seulement été condamnée à une peine de trois ans » [3].

La loi n’exige pas la guérison de l’individu, mais ce dernier doit « avoir appris à vivre avec ses déficits de manière à ce que l’on puisse poser un pronostic favorable quant à son comportement futur » (Ferreira 2017). Ainsi, au cours du placement, les différents acteurs de la prise en charge évaluent le résident et le guident vers des ouvertures progressives [4] adaptées à sa problématique tout en maintenant le cadre imposé par la justice.

Cependant, la capacité de projection dans l’avenir est d’autant plus complexe que l’article 59 ne s’inscrit pas dans une temporalité prédéfinie. En vérité, les conditions d’exécution de ces mesures thérapeutiques consolident ce qui s’apparente à une politique de « mise en attente ». En ce sens, à l’inverse de la peine privative de liberté dont la durée est connue, cette mesure a pour particularité de plonger le condamné dans une incertitude totale face à son avenir.

Une intervention par objectifs intermédiaires

Dans ce contexte temporel non finalisé, les travailleurs sociaux doivent répondre à de multiples exigences où il s’agit notamment d’accueillir, de contenir, de cadrer, de contrôler, d’aider, de stabiliser et de réinsérer. Parallèlement, ils composent avec les différentes injonctions liées au placement tout en focalisant l’intervention sur la réhabilitation sociale.

La pratique s’adapte à la spécificité de ce nouveau contexte professionnel. Puisqu’il s’agit d’une sanction qui n’est pas limitée dans le temps, il convient d’orienter la prise en charge sur les tâches à réaliser plutôt que sur sa durée. En focalisant l’attention des résidents sur les étapes du placement et les objectifs intermédiaires, les travailleurs sociaux occultent la finalité – qui est la levée de la mesure – et les recentrent sur des projets de vie plus tangibles.

Les deux extraits qui suivent sont révélateurs de cette dimension : « Je vais faire diversion avec des étapes intermédiaires plutôt que de chercher à construire un projet global. » « Un objectif, il faut toujours en avoir un et les résident doivent construire avec la réalité de leur placement. À nous de leur faire voir ces possibilités, de les motiver à travailler là-dessus et d’aller d’objectif en objectif. Tous les objectifs qu’ils réaliseront amèneront peut-être à ce que la justice se questionne sur la nécessité de maintenir la mesure. »

Le «Plan d’exécution de mesure»

Ainsi, ne pas connaître la durée de la mesure thérapeutique représente un obstacle à la projection dans l’avenir, ceci d’autant plus que, dans la pratique, une « privation de liberté liée à une mesure dépasse nettement la durée de la peine réelle » [5]. L’accent mis sur la tâche à réaliser et sur les étapes à court terme oriente le résident vers une réalité plus palpable. C’est le cas par exemple du Plan d’exécution de mesure (PEM), un outil essentiel pour focaliser le résident sur ces phases intermédiaires.

L’élaboration par l’éducateur référent de ce document débute dès l’arrivée des intéressés dans l’institution, en collaboration avec le résident et les différents partenaires. Chaque phase du PEM est adaptée au résident et construite avec lui. Le rôle de l’éducateur consiste à faire émerger des objectifs tangibles et concrets pour mettre en place des phases au plus proche de ses besoins. Une fois le plan validé par l’entièreté du réseau, le travailleur social va s’y référer tout au long du placement.

Le PEM s’inscrit donc dans une logique de projet qui apparaît comme la « clef de voûte » [6] des nouveaux modes d’encadrement en travail social. Cette démarche fonctionnerait comme un opérateur pratique dans les activités quotidiennes et serait le pilier autour duquel se déclinent les parcours d’insertion. Il est en ce sens un outil essentiel dans le suivi d’une personne sous mesure thérapeutique puisqu’il permet à l’ensemble des partenaires de savoir à tout moment où se situe le résident dans son placement.

Le témoignage suivant le souligne : « Je trouve que le PEM est un outil phare sur lequel on peut vraiment s’appuyer. C’est un document lourd qui demande un temps fou. Au début, cela angoisse et démotive le résident, mais au final, c’est un document sur lequel je m’appuie quotidiennement. Il est clair, défini, on sait où on se situe. Il permet de mobiliser le résident et de reposer les objectifs. C’est primordial pour ces mesures qui ne sont pas définies dans le temps, le sens y est vraiment. »

Tuer le temps en jouant la tâche

Les travailleurs sociaux sont unanimes : les personnes sous mesures thérapeutiques institutionnelles sont constamment tourmentées par le flou temporel lié à leur placement. Le PEM apporte ainsi un élément de réponse puisqu’il donne du sens à la prise en charge et raccroche le résident à des critères tangibles. Aussi, il représente un levier d’action permettant à l’éducateur de faire diversion en mettant l’accent sur les objectifs à court terme. Cette logique du projet qui se dessine avec l’État social actif « oblige l’individu à savoir ce qu’il veut et comment il souhaite le réaliser (…), elle concerne une anticipation de l’action, un rapport dans le temps futur et présuppose une capacité à se projeter dans l’avenir dans une forme d’injonction à la créativité et à l’innovation »  [7]. En ce sens, le résident est amené à participer à son accompagnement dans une logique de responsabilisation et d’activation en travaillant sur les étapes à franchir pour aboutir à une levée de sa mesure thérapeutique.

Les transformations récentes du système pénal suisse se font l’emblème du changement de paradigme du travail social, avec des politiques qui évoquent l’émergence de «l’État pénal actif». Il n’est donc plus question d’un modèle « dans lequel l’État ou la société prend en charge la réhabilitation du délinquant, mais bien celui dans lequel ce dernier est amené à se prendre en charge, sujet de sa transformation en conséquence de son consentement ou de son acceptation » [8].

La mise en application des mesures thérapeutiques institutionnelles implique pour les professionnels de s’extraire d’une activité mesurée par unité de temps pour tendre vers un temps orienté par les tâches en mettant l’accent sur les exigences de l’accompagnement des personnes. Ceci, car « la perspective d’un allègement dans l’exécution donne un horizon tangible à la personne placée et l’incite concrètement à s’investir de manière aussi constructive que possible dans le traitement » [9]. En définitive, pour pallier les dissonances temporelles, il conviendrait de focaliser l’attention du résident sur les objectifs à réaliser plutôt que sur la temporalité dans l’intervention sociale, soit tuer le temps en jouant la tâche.

Bibliographie

  • Commission nationale de prévention de la torture, CNPT, « Exécution des mesures en Suisse : rapport thématique sur les visites effectuée par la CNPT entre 2013 et 2016 », in Confédération Suisse, Bern, 18 mai 2017, pp.42.
  • CSUPOR I. et VUILLE M., « Des jeunes à l’aide sociale : sens et traitement de la demande d’aide », in VUILLE M. et SCHULTHEIS F. (Dir.), Entre flexibilité et précarité. Regards croisés sur la jeunesse, Paris, L’Harmattan, 2007, pp.277-313.
  • Exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles : inspections de la CNPT dans divers établissement de Suisse, in Confédération Suisse, 18 mai 2018, Bern.
  • FERREIRA C. et MAUGUÉ L., « Prévenir le risque de récidive par l’obligation de soins : les apories de l’article 59 du code pénal suisse», in http://champpenal.revues.org/9473, mis en ligne le 17 février 2017.
  • KAMINSKI D., « Un nouveau sujet de droit pénal ? », in DIGNEFFE F. et MOREAU T., La responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2006, pp.600.
  • « Le petit internement et les droits humains », in Plateforme d’information : humanrights.ch, mis en ligne le 05 mars 2018.
  • MAUGER G., « Politiques d'insertion », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol.136-137, 2001, pp.5-14.

[1] Diane Antille, « Mobilisations actives et ajustements mutuels d’une pluralité d’acteurs ; les pratiques sociales en établissements d’exécution de mesures », Mémoire de master en travail social et politiques sociales, Université de Fribourg, sous la direction de Marc-Henry Soulet, 2019, 160 pages.

[2] FERREIRA C. et MAUGUÉ L., « Prévenir le risque de récidive par l’obligation de soins : les apories de l’article 59 du code pénal suisse », in http://champpenal.revues.org/9473, mis en ligne le 17 février 2017.

[3] « Le petit internement et les droits humains », in Plateforme d’information : humanrights.ch, mis en ligne le 05 mars 2018. Ndlr de REISO - Lire aussi : Mélissa Staecheli, Madeleine Pont et Kathrin Gruber, «Quand la maladie psychique est soignée en prison», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 décembre 2018.

[4] Dans ce contexte, la notion d’ouverture signifie tout octroi de libertés supplémentaires pour un résident par les autorités de placement.

[5] « Le petit internement et les droits humains », loc. cit.

[6] MAUGER G., « Politiques d'insertion », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol.136-137, 2001, p.14.

[7] CSUPOR I. et VUILLE M., « Des jeunes à l’aide sociale : sens et traitement de la demande d’aide », in VUILLE M. et SCHULTHEIS F. (Dir.), Entre flexibilité et précarité. Regards croisés sur la jeunesse, Paris, L’Harmattan, 2007, p.301.

[8] KAMINSKI D., « Un nouveau sujet de droit pénal ? », in DIGNEFFE F. et MOREAU T., La responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2006, p.337.

[9] Commission nationale de prévention de la torture, CNPT, « Exécution des mesures en Suisse : rapport thématique sur les visites effectuée par la CNPT entre 2013 et 2016 », in Confédération Suisse, Bern, 18 mai 2017, p.31.

Comment citer cet article ?

Diane Antille, «Dans les établissements d’exécution de mesures», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 30 septembre 2019, https://www.reiso.org/document/4984

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