Les prises de décisions en fin de vie
Les soins palliatifs mettent les malades et leurs proches au centre des prises de décisions thérapeutiques. Comment assurer des soins qui respectent leur volonté et leur définition personnelle de ce qu’est la « qualité de vie » ?
Par Fatoumata Diawara, médecin, Equipe mobile extra hospitalière de soins palliatifs, RSRL-CHUV, Lausanne
En 2050, plus d’un quart de la population européenne sera âgée de 65 ans ou plus contre 15% en 2009 [1]. L’augmentation la plus importante se fera chez les personnes âgées de 85 ans et plus. Ce vieillissement de la population, sera un défi pour les politiques de santé mais aussi pour les professionnels de santé. Ainsi, dans cette tranche d’âge, les maladies chroniques comme les démences, les insuffisances respiratoires ou cardiaques seront en augmentation. Il ne sera pas rare qu’une même personne présente au cours de sa vie plusieurs pathologies ou comorbidités nécessitant la mise en place d’approches holistiques centrées sur l’amélioration de la qualité de vie plutôt que la prolongation de l’espérance de vie. Dans cette perspective, l’approche palliative [2] prend tout son sens.
L’Organisation mondiale de la santé définit les soins palliatifs comme des soins qui visent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle. Ils passent par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, par le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés. Il s’agit d’une approche globale qui met la personne malade et ses proches au centre des prises de décisions car seul le patient est capable de définir ce qui fait sa qualité de vie. Pour faire le choix le plus adapté à ses valeurs, la personne malade doit recevoir une information éclairée sur les différentes options thérapeutiques et leurs conséquences.
Que faire si la personne n’est plus capable de discernement ?
Dans le contexte de la maladie grave, de la maladie chronique ou de la fin de vie, les prises de décisions peuvent s’avérer difficiles lorsque le patient ne possède pas sa capacité de discernement. Comment alors assurer des soins qui respecteront sa volonté ? Plusieurs cas de figure sont envisageables : soit le patient a pris des dispositions pour encadrer sa fin de vie avant la perte de sa capacité de discernement, soit aucune démarche n’a été entreprise.
A. Il existe des dispositions préalables à la perte de discernement. Le Code Civil suisse prévoit que toute personne capable de discernement peut prendre des dispositions pour encadrer sa fin de vie. Cette démarche n’est pas une obligation et les dispositions ne seront appliquées qu’en cas d’incapacité de discernement de la personne. Plusieurs solutions sont offertes.
- Le mandat pour cause d’inaptitude : il s’agit pour la personne qui rédige un tel mandat de désigner une personne physique ou morale qui lui fournira une assistance personnelle, qui gérera son patrimoine ou la représentera dans les rapports juridiques au cas où elle deviendrait incapable de discernement (art. 360 CC). Le mandat doit être écrit en entier, daté et signé de la main de la personne qui établit le mandat ou être certifié conforme par un notaire. Le mandant peut être enregistré à l’Office de l’état civil ; il sera alors intégré dans la banque de données centrale. Le mandat pour cause d’inaptitude, à la différence des directives anticipées, peut concerner d’autres domaines que les soins médicaux.
- Les directives anticipées : la personne qui rédige des directives anticipées consigne dans ce document les traitements médicaux auxquels elle consentira ou non au cas où elle deviendrait incapable de discernement (art. 370 CC). Elle peut aussi y désigner une personne physique qui sera appelée à s’entretenir avec le médecin sur les soins médicaux à lui administrer et à décider en son nom au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Il s’agit du représentant thérapeutique. Ces directives anticipées doivent être écrites, datées et signées par l’auteur (art. 371 CC).
Lorsqu’un médecin traite, en dehors de l’urgence, un patient incapable de discernement, il s’informe de l’existence ou non de directives anticipées (art. 372 CC). Le médecin est tenu de respecter les directives anticipées du patient, sauf si elles violent des dispositions légales, ou si des doutes sérieux laissent supposer qu’elles ne sont pas l’expression de sa libre volonté ou qu’elles ne correspondent pas à sa volonté présumée dans la situation donnée (art. 372 CC). Le médecin doit respecter les refus de traitement. En cas d’urgence, le médecin administre les soins médicaux conformément à la volonté présumée et aux intérêts de la personne incapable de discernement (art. 379 CC).
B. Il n’existe pas de dispositions préalables à la perte de discernement : le médecin doit, avec la personne représentant la personne malade, reconstituer la « volonté présumée » de cette dernière. Il s’agit de prendre les décisions en fonction des choix qu’aurait fait le patient s’il était encore capable de discernement et non de décider selon les souhaits du représentant thérapeutique ou du médecin. Même en cas d’incapacité de discernement, la personne doit être autant que possible intégrée au processus de prise de décision. Dans ce cas de figure, la Code Civil prévoit une hiérarchie des personnes à consulter (art. 378 CC).
- La personne désignée dans un mandat pour cause d’inaptitude ou le représentant thérapeutique
- Le curateur de portée générale ou représentant le patient dans le domaine médical
- Le conjoint ou partenaire enregistré s’il fait ménage commun avec elle ou s’il fournit une assistance personnelle régulière.
- La personne qui fait ménage commun avec elle et qui lui fournit une assistance personnelle régulière
- Les descendants, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière
- Les père et mère, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière
- Les frères et sœurs, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière
Comment favoriser le respect de ses volontés ?
Dans tous les cas, il est recommandé à la personne souhaitant faire respecter ses désirs d’accompagnement en fin de vie de les discuter avec son entourage si elle veut qu’ils soient mis en pratique le moment venu. Il s’agira de discuter des motivations qui l’ont amenée à effectuer ces choix, de ses réflexions sur la vie, la maladie et la mort. Cette discussion peut être résumée sur un document à part qui sera joint aux directives anticipées. Cependant, même lorsque des documents sont rédigés, ils ne sont malheureusement pas toujours disponibles au moment de la prise de décision ou encore ils ne répondent pas aux problématiques rencontrées. Il est en effet difficile pour une personne en bonne santé ou au début d’une maladie grave d’envisager toutes les complications à venir. La meilleure assurance pour le patient de faire respecter ses souhaits d’accompagnement en fin de vie est de favoriser la communication avec son entourage et les professionnels de santé, en particulier le médecin traitant et de leur donner le pouvoir de le représenter.
[1] Bibliographie sélective
- Borasio GD. Mourir, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes (2014).
- WHO (World Health Organization) Palliative Care for Older People : Better Practices. J. Pain Palliat. Care 67p (2011).
- Jox, R. J., Michalowski, S., Lorenz, J. & Schildmann, J. Substitute decision making in medicine : Comparative analysis of the ethico-legal discourse in England and Germany. Med. Heal. Care Philos. 11, 153–163 (2008).
- Code Civil suisse, articles 360-379.
[2] Dans le cadre de Connaissance 3, l’université des seniors du canton de Vaud, l’auteure de cet article a donné une conférence sur ce thème le 1er décembre 2016.