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Les femmes ne sont pas malades comme les hommes

Mardi 29.03.2022

Dans Le sexe de la santé, Alyson McGregor invite les soignant·e·s à reconsidérer en partie leurs acquis et les patientes à changer leur rapport à leur santé et aux professionnel·le·s de soin. Une lecture passionnante et indispensable.

Dans Le sexe de la santé, Alyson McGregor invite les soignant·e·s à reconsidérer en partie leurs acquis et les patientes à changer leur rapport à leur santé et aux professionnel·le·s de soin. Une lecture passionnante et indispensable.

Par Jean Martin

sexe sante 170

Informer et « capaciter » (empowerment) les femmes en matière de santé : voilà l’un des objectifs de l’ouvrage Le sexe de la santé. Son autrice, Alyson McGregor, pionnière de la santé féminine aux Etats-Unis, ambitionne de rendre les femmes plus actives et plus partenaires dans leurs rapports avec les médecins et autres soignant·e·s.

La cofondatrice et directrice de la Division du sexe et du genre en médecine d’urgence commence par questionner : « Le modèle androcentré est tellement ancré dans nos systèmes de santé et notre conception de la médecine que nous n’avons souvent même pas consciences de son existence » (p. 10). Elle rappelle ensuite que : « Les maladies des femmes ne sont pas étudiées comme celles des hommes » (p.  65). Si l'ouvrage s'adresse directement aux femmes, il se fait également outil de réflexion pour les soignant·e·s, les invitant à reconsidérer des acquis basés uniquement sur des connaissances androcentrées.

L’ouvrage précise qu’au cours des années récentes, les données se sont accumulées pour démontrer que les femmes sont moins bien écoutées par les thérapeutes et reçoivent en moyenne des soins de pertinence moins bonne que les hommes. La cause ? De multiples stéréotypes. Un exemple ? « Nos protocoles ignorent la façon dont les cardiopathies se présentent chez les femmes » (p. 21). Est discuté aussi le fait que les femmes sont rarement impliquées dans l'évaluation des médicaments (pour des raisons bien-pensantes mais sont-elles bonnes ?). Le sous-titre du présent ouvrage ne cache d’ailleurs pas son drapeau : « Notre médecine centrée sur les hommes met en danger la santé des femmes ».

Quand j'ai évoqué devant mes directeurs de recherche mon désir d'explorer des domaines touchant à la santé féminine, ils m'ont tout de suite répondu: « Ah, vous voulez faire de la gynécologie-obstétrique. Non, ai-je répliqué. Je veux étudier la santé des femmes de manière holistique. M'intéresser à leur santé globale, en somme. »

Exemples tirés de faits réels

Loin d’un ouvrage purement théorique, McGregor propose un constant dialogue virtuel avec ses lectrices et lecteurs, basé sur son expérience de terrain. Tout en soignant, enseignant et menant ses recherches, cette urgentiste à la Brown University (Rhode Island) a été conduite à se pencher particulièrement sur les inadéquations, voire erreurs, dans les réponses que le système de santé donne aux situations pathologiques des femmes.

Que ce soit en urgence ou sur un mode chronique, en milieu hospitalier ou ambulatoire, on trouve dans chaque section du livre la description de cas précis de patientes rencontrées. On le sait bien, la communication se situe au centre de la relation soigné-soignant. Ainsi, dit l’autrice, « dans mon travail, le plus difficile — et le plus gratifiant — n'est pas de faire des recherches sur les différences de sexe, c'est d'avoir des conversations fructueuses avec mes patientes et leurs proches » (p. 189).

Six grands domaines sous la loupe

L’ouvrage se divise en trois grandes parties. McGregor propose d'abord un tableau d'ensemble de la médecine « masculine » prédominante, comment elle fonctionne en pratique et comment elle méconnaît les différences physiologiques des femmes.

La deuxième partie examine ensuite les particularités et différences dans six grands domaines : les affections cardio-vasculaires, la prise et les effets des médicaments, ce que les soignants pensent, souvent sans raison adéquate, de la psychologie voire de l'intuition féminine (« l’anxiété devrait être le diagnostic d’exclusion, et non le diagnostic par défaut »), la douleur, les aspects hormonaux, et enfin les dimensions culturelles et identitaires, y compris raciales. Le « syndrome de Yentl » (pp. 136-141), nom donné par la cardiologue Bernardine Healy aux biais entraînant des inégalités de prise en charge, de traitement et de suivi entre les hommes et les femmes, y est abordé.

Dans la troisième section, l'autrice formule des recommandations aux patientes (« il existe des ressources dans lesquelles vous pouvez puiser pour prendre en main votre santé »). Elle propose aux femmes une série de questions en vue « d'obtenir des soignants les réponses dont vous avez besoin ».

Conscientiser pour faire (beaucoup) mieux

Cet ouvrage bénéficie d'une préface de l'historienne française Muriel Salle, qui présente l'évolution dans laquelle se place le travail de McGregor. Elle rappelle le mouvement féministe étatsunien des années 1960, avec le grand précurseur qu'est « Our Bodies Ourselves », issu du Boston Women's Health Collective (1970, traduit en français en 1977). Et Muriel Salle ne manque pas de relever que, comme toujours, les facteurs influençant une situation donnée sont multiples et qu'il s’agit donc de se garder de tout ramener à une seule cause : « Il convient d'être attentif aux différences, pas seulement à celles entre les sexes, et ne pas les imputer de manière systématique à la biologie et au sexe. (Il faut) s’interroger sur leurs origines et leurs conséquences et penser leur dimension culturelle et construite ». Judicieux.

Les différences objectives, entre les sexes, des problèmes de santé et des soins reçus n'ont pas du tout retenu suffisamment l'attention pendant longtemps. Il importe de faire plus et mieux, notamment dans le contexte large des abus et violences faites aux femmes, grand sujet sociétal et civilisationnel au début du XXIe siècle.

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