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«Il existe une intelligence collective dans les institutions»

Mardi 25.10.2022

Interview d’Alexandre Lambelet, doyen de la filière Travail social de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne, auteur du livre « Le défi de l’accompagnement des personnes âgées en institution ».

alexandre lambelet 170Alexandre Lambelet © HETSL

(REISO) Au niveau professionnel, tant d’un point de vue du travail social et que de celui de la santé, y’a-t-il de nouveaux défis en ce qui concerne l’accompagnement des personnes âgées en institution ?

(Alexandre Lambelet) Mon ouvrage s’intéresse en premier lieu au défi « ordinaire » de l’accompagnement des personnes âgées en institution. Pour ces personnes, cela signifie d’accepter, en échange d'une sécurité et de différentes aides, de voir certaines libertés limitées ou envies non réalisées. A l’inverse, c’est aussi trouver dans ces institutions un soutien pour réaliser des envies que la vie à domicile ne permettait plus. Pour les professionnel·le·s, le défi est de devoir simultanément aider les aîné·e·s pour les actes de la vie quotidienne tout en réussissant à proposer des activités significatives ou à recréer des liens, dans les limites des cadres légaux, administratifs ou financiers qui tendent à homogénéiser les pratiques. Plus largement enfin, c’est le défi pour chacun·e, professionnel·le·s, résident·e·s, famille, de faire face au vieillissement de la personne accueillie, qui plus est lorsqu’il s’accompagne de troubles cognitifs.

Les éléments que vous mentionnez ont déjà fait l’objet d’études et de recherches. Quelle valeur ajoutée apportez-vous avec cette publication ?

Cet ouvrage veut offrir différents outils pour mieux faire face à cet éternel défi. C’est ainsi, d’abord, une synthèse des savoirs que devraient détenir tout·e professionnel·le, me semble-t-il, au moment de s’engager dans un métier de l’accompagnement des personnes âgées, dans les institutions. Depuis 20 ans, beaucoup de travaux, de réflexions et d’expérimentations ont effectivement été écrits ou menés en Suisse et à l’international. Si une large littérature scientifique existe donc à ce sujet — tout comme les projets visant à proposer un accompagnement qui soit « centré sur les personnes » —, il manquait à mon sens une synthèse de ces connaissances facilement accessible aux professionnel·le·s qui travaillent auprès de ce public. Ce texte a pour but de les soutenir dans leurs réflexions sur l’accompagnement qu’elles et ils entendent proposer.

Les attentes des personnes âgées hébergées en institution évoluent avec la société. Selon vous, comment conjuguer leurs attentes et leurs besoins avec les exigences politiques et économiques actuelles ?

Sans nier les difficultés financières et les ressources budgétaires limitées avec lesquelles doivent faire face les institutions (et une enquête de l’Université de Bâle que je cite rappelle assez combien des « rationnement implicites » sont déjà évoqués par les professionnel·le·s quand ils et elles sont interrogé·e·s sur leur travail), mon livre émet l’hypothèse qu’avec les moyens aujourd’hui à disposition, une amélioration qualitative de l’accompagnement peut déjà être réalisée. Parce que des institutions, ici, en Suisse romande, le proposent déjà. La perspective qui sert de fil rouge à cet ouvrage, celle d’une approche centrée sur la personne, montre combien l’amélioration de l'accompagnement, si elle peut bénéficier de moyens financiers supplémentaires, est d’abord le résultat d’un « geste politique », pour reprendre une expression de Carl Rogers.

Selon vous, quelles sont donc les pistes pour améliorer cet accompagnement de manière significative ?

Il s’agit bien sûr de ne plus partir d’une offre préconçue, mais de questionner le type de « pouvoir » ou de « contrôle » que les professionnel·le·s désirent avoir ou au contraire restituer aux résident·e·s. C’est aussi avoir le souci de lutter contre le « risque asilaire », inévitablement présent dans toute institution. La recherche scientifique offre bien sûr des pistes, à travers des résultats probants quant aux effets bénéfiques ou négatifs de certaines formes d’accompagnement. Le livre en rend compte. De même, de belles expériences sont menées dans des EMS comme des réflexions très riches y sont développées. Il existe une intelligence collective dans les institutions qui se traduit par des pratiques concrètes dans l’accompagnement des résident·e·s et qui sont aussi valorisées dans cet ouvrage.

Il est indiqué de votre ouvrage que « Les perspectives qu’il offre permettent de (ré-)ouvrir des possibles pour faire face à ce défi qu’est l’accompagnement des personnes âgées en institution » : quels sont ces possibles ?

Je vais donner un seul exemple, celui de la place des proches. Cette question est difficile dans nombre d’institutions. Mais cette complication n’est-elle pas liée au fait que la répartition du pouvoir entre professionnel·le·s, résident·e·s et familles n’est pas clarifié, discuté ? Que l’intention des professionnel·le·s vis-à-vis de ces familles n’est pas assez explicitée ? Comme l’interrogeait une professionnelle d’un EMS vaudois, citée dans l’ouvrage : « Quand vient le moment de faire un soin, ou une activité avec M. Bolomey et que son épouse est présente, va-t-on dire : « Madame Bolomey, vous pouvez sortir pendant que l’on fait la toilette de votre mari ? » ou « Madame Bolomey, vous voulez nous aider à faire la toilette de votre mari ? » ». Voilà une question, qui, me semble-t-il rouvre des possibles, d’autres manières d’être en lien, en soin.

Si l’on vous comprend bien, cette publication a donc aussi pour objectif d’encourager les professionnel·le·s de l’accompagnement à prendre du recul sur leurs pratiques ?

En effet. Lorsque l’on est pris dans le quotidien de son activité, il est parfois difficile de penser à d’autres possibles, de questionner ses propres pratiques, ou de suivre l’actualité de la recherche. L’habitude devient parfois la norme. De mon côté, cela fait des années que je possède un petit carnet dans lequel je note, à chaque fois que je visite une institution, ce qui me semble être des bonnes idées ou des pratiques inspirantes. J’y compile ainsi des manières de faire ou des dispositifs qui permettent aux résident·e·s de gagner en autonomie, en pouvoir, en indépendance, qui les aident à mieux se situer dans l’espace, de mieux inscrire ce nouveau lieu dans leur histoire, ou je ne sais pas quoi encore. Je conçois mon travail de professeur en travail social non seulement comme celui d’un chercheur qui mènerait différentes enquêtes, mais aussi comme celui d’une personne dont le rôle est peut-être d’abord de faire circuler l’information, les idées ou les bonnes pratiques. Et j’espère que cet ouvrage y contribue.

(Propos recueillis par Céline Rochat)

« Le défi de l’accompagnement des personnes âgées en institution », Alexandre Lambelet, Ed. HETSL, 2022, 143 pages

defi accompagnement personnes ages lambelet hetsl 170Une conférence pour le vernissage de l'ouvrage

Vernissage de l’ouvrage le mardi 1er novembre à la HETSL, dès 18h30, en présence de François Matt, Directeur de l’EMS Le Home-Les Pins. Entrée libre, sur Inscription (sur cette page). Cet événement peut également être suivi par visioconférence.

Le vernissage est précédé, à 17h, d’une conférence intitulée « Une expérience piklérienne au home Les Charmettes à Neuchâtel : le soin, support de la relation avec les personnes âgées ». L’approche Pikler repose sur une vision forte de l’individu et sur quelques principes de base : il s’agit d’une éthique du sujet dont découle une éthique du soin. La méthode piklérienne dans les soins en établissements médico-sociaux montre combien cette approche questionne la manière dont les soins et l'accompagnement des actes de la vie quotidienne sont pensés et peuvent être réalisés, encourageant à percevoir ces activités non pas comme des nécessités fonctionnelles mais relationnelles. Les réflexions et discussions sur les pratiques à la lumière de l’approche Pikler ont pu montrer la plus-value de cette vision pour les résident·e·s et les soignant·e·s, mais également les difficultés auxquelles les professionnel·le·s sont confronté·e·s.

Cette conférence est donnée par Agnès Rákóczy, éducatrice de la petite enfance, et Alexandre Lambelet. Entrée libre, sur inscription (sur cette page). Il est également possible de suivre cette conférence à distance.