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Lorsque le musée devient espace d’art-thérapie

Lundi 15.08.2022
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© Elizaveta / Adobe Stock

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En développant un espace propice à la création, les institutions peuvent jouer un rôle dans les processus de guérison intérieure ou le développement personnel de leur visiteur·euse·s, ainsi que l’illustre le projet Art & bien-être.

Par Jessica Di Ciocco, art-thérapeute indépendante, Vevey

Les musées, gardiens d’histoire et de culture, créent des liens entre la société et la santé publique. Depuis quelques temps, un grand nombre de chercheur·euse·s et médecins reconnaissent les bienfaits du processus créatif à l’intérieur d’une institution muséale. Grâce à leur potentiel thérapeutique, ces lieux contribuent à briser les murs de la discrimination et donc à promouvoir l’inclusion sociale et le bien-être des visiteur·euse·s. Ces institutions encouragent de plus en plus l’introspection, la santé mentale et se focalisent sur l’éducation, la cohésion et l’interaction sociale.

Le Musée des beaux-arts de Montréal [1] définit le musée comme un espace social, thérapeutique et innovant. Il s’agit d’un lieu inclusif, avec des médiations adéquates et thérapeutiques qui visent le bien-être des visiteur·euse·s. De telles actions s’adressent tant aux publics fragiles qu’à tout le monde. Sur la base de ce scénario, est-il possible de transformer le musée contemporain en espace thérapeutique porteur de soutien psychologique et émotionnel du visiteur·euse ? Depuis 2019, certaines institutions suisses ont ouvert leurs portes à l’art-thérapie.

Ainsi, à partir de novembre 2019, le projet Art & bien-être, ateliers créatifs à but art-thérapeutique, a été mené en collaboration avec le Musée Jenisch Vevey et le Centre d’art contemporain d’Yverdon-les-Bains. Ce projet précurseur et innovant fait de la visite d’un musée d’art une étape-clé du processus art-thérapeutique.

Focalisés sur le bien-être des visiteur·euse·s, les ateliers ciblent des thématiques différentes, comme l’identité, le changement, l’anxiété, la souffrance, l’estime de soi, la confiance en soi. Ils s’adressent aux adultes, retraité·e·s ou jeunes qui souhaitent explorer l’art et l’expression par un processus créatif pour atteindre un mieux-être.

Les sessions sont en lien avec les expositions en cours. Organisées en groupes de cinq participant·e·s au maximum, les activités se déroulent entre les espaces d’exposition et la salle de médiation.

Amplification des émotions

L’activité se déroule principalement sur deux temps, celui de la visite et celui de la création, entrecoupés par des moments de partage et d’observations en groupe. Non guidée, la visite est cependant encadrée par des consignes. Il s’agit, par exemple, de trouver une œuvre en forte résonance avec la thématique de l’exposition. Puis, à tour de rôle, chacun·e présente celle-ci aux autres avec ses propres mots, dans un climat empreint de confiance.

La deuxième partie de l’activité se passe dans l’espace médiation du musée. L’art-thérapeute propose un large panel de moyens d’expressions, de techniques, de matériaux. Elle guide le groupe en prenant comme point de départ le thème du jour, puis chacun·e met en marche sa créativité en toute liberté.

Le processus créatif se déroule dans un espace d’exposition du musée qui est en mesure de soutenir et d’encourager le·la visiteur·euse à accueillir et à reconnaitre ses émotions tout au long du parcours de développement personnel. L’institution devient un espace extraordinaire, un refuge pour le·la participant·e qui tente d’exprimer sa propre vision du monde et la relation avec soi-même.

Pour l’art-thérapeute, il s’agit d’aider la personne à exprimer ses émotions à travers un processus créatif ciblé, en favorisant une réflexion sur son chemin de vie et en l’amenant à découvrir d’autres ressources et facettes de son identité.

La visite du musée joue un rôle très important puisqu’elle participe à l’effet thérapeutique. Une conviction est à l’origine de ce projet : la visualisation de toute création artistique agit comme amplificateur d’émotions. Il est finalement rare de sortir d’une exposition sans que la visite n’ait apporté quelque chose aux visiteur·euse·s.

Processus de transformation

Les bienfaits attendus de cette expérience pluriannuelle sont nombreux. Elle favorise l’exploration du potentiel créatif et l’intégration de personnes de cultures différentes ; elle offre aux visiteurs et visiteuses un travail d’introspection à travers la contemplation d’œuvres d’art ; elle soulage la souffrance, développe l’intelligence émotionnelle, augmente la confiance en soi et l’estime de soi. L’art-thérapie accompagne le·la visiteur·euse vers un processus créatif et de transformation. Elle établit un équilibre entre âme, corps et esprit.

Une fois l’activité terminée, les participant·e·s témoignent se sentir apaisé·e·s, riches en nouveaux stimuli et en nouvelles idées. Après des années de recherche et de pratique sur le terrain, les résultats sont flagrants : les personnes semblent avoir acquis plus de confiance en soi et une meilleure estime d’elles-mêmes. « Avant de venir à cet atelier j'étais vraiment sceptique, n'étant pas du tout quelqu'un de créatif mais plutôt très terre à terre », explique Lia, facility manager, venue pour la première fois à une des séances organisées au musée. « Mais malgré le sujet de l'atelier assez dramatique (la souffrance), l’art-thérapeute a réussi à créer une atmosphère de partage assez unique au milieu de cette pièce remplie d'œuvres d'art. La souffrance s'est transformée en cheminement vers un message beaucoup plus positif et on quitte l'atelier avec un sentiment de bien-être et satisfaction très agréable. Et créatif ou pas, on s'étonne soi-même de ce qui peut en ressortir sur une simple feuille blanche 

Quant à Eva, historienne de l’art, elle relève : « Dans cette approche intuitive laissant place aux émotions, j’ai aimé être guidée avec bienveillance par l’art-thérapeute et échanger avec les autres participants. Une vraie découverte pour appréhender de façon intime ces espaces compliqués. »

Lieu sécurisant

Les retours des visiteur·euse·s permettent d’observer à quel point le sentiment de protection de ce dispositif et de liberté sont essentiels dans le processus de création. Les ateliers offrent un moment de jeu dans un lieu sécurisant, un espace de soutien et de prévention. Toutefois, le temps devient sacré : le·la participant·e explore son imagination, son inconscient, il·elle met à l’épreuve les capacités créatives visant à des nouvelles perspectives et à une nouvelle individualité.

Le dialogue, les échanges, l’empathie de groupe, l’engagement émotionnel de chaque individu dans le processus créatif sont à la base de leur bien-être et créent les conditions pour faire face à des nouvelles expériences de réparation en présence d’un traumatisme.

Projet Art & bien-être

Le projet Art & bien-être propose un cheminement personnel par le biais de la découverte de diverses techniques artistiques, telles que la peinture, le dessin, l’argile, l’aquarelle ou le collage. Aucun savoir-faire ou talent artistique n’est requis car l’art-thérapie n’est pas un cours artistique. Cette approche sollicite plutôt l’imagination, l’intuition, la pensée, les émotions et la spontanéité. Elle a pour but de mobiliser et de renforcer les propres ressources des participant·e·s. Elle vise le relâchement des souffrances et des conflits intérieurs et permet de retrouver un équilibre en soi-même.

Bibliographie

  • Association Mêtis (2022), cycle de rencontres « Mieux-être au musée », Paris.
  • Berger J. (2017), Sul guardare. Il Saggiatore, Milan.
  • Coccia E. (2011), La vita sensibile. Il Mulino Ed., Bologne.
  • De Botton A., Armstrong, J. (2014), Art et Thérapie. Phaidon Ed., Paris.
  • Malavasi L., Denner A. (2005), Arteterapia: metodologia e ricerca. Atelier terapeutici di espressione plastica. Del Cerro Ed., Pise.
  • Mastrandrea S. (2015), Psicologia dell’arte. Carocci Ed., Rome.
  • Pépin C. (2013), Quand la beauté nous sauve. Comment un paysage ou une œuvre d’art peuvent changer notre vie. Robert Laffont Ed., Paris.
  • Poli E. F. (2019), Le emozioni che curano. Stare bene con la nuova medicina delle emozioni. Mondadori Ed., Milan.
  • Rogers N. (2019), La connessione creativa. Armando Ed., Rome.
  • Silvermann L. (2009), The social work of museums. Routledge Ed., Londres.
  • Winnicott Donald D. (2001), Gioco e realtà. Classici Armando Ed., Rome.

[1] https://www.mbam.qc.ca/fr/

Comment citer cet article ?

Jessica Di Ciocco, «Lorsque le musée devient espace d’art-thérapie», REISO, Revue d'information sociale, publié le 15 août 2022, https://www.reiso.org/document/9407