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Accès et renoncement aux soins: tour d’horizon

Lundi 06.05.2019
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Les prestations de soins sont censées être accessibles à tout un chacun. L’égalité des chances dans ce domaine n’est pourtant pas réalisée. Revue de littérature sur l’accès et les renoncements aux soins en Suisse et ailleurs.

Par Blaise Guinchard, Mélanie Schmittler, Cindy Gerber, Institut et Haute Ecole de la Santé La Source, Lausanne

De longue date, les réformes du système de santé occupent largement les débats politiques suisses, signe d’un malaise grandissant de la population et de ses représentants face à l’accès aux prestations de soins et à l’ampleur de la facture. Les études portant sur l’organisation des dispositifs socio-sanitaires et l’accès aux soins sont nombreuses. Nous proposons ici un rapide tour d’horizon de la littérature sur l’accès aux soins avec un focus sur la notion de renoncement aux soins. Il s’agit d’indiquer les principales orientations en la matière sans toutefois viser à l’exhaustivité.

Accès aux soins et égalité des chances

L’accès aux soins est couramment défini comme « l’utilisation en temps utile des services de santé par les individus de façon à atteindre le meilleur résultat possible en termes de santé » (Lombrail, 2000; Lurie, 1997). Andersen et Aday (1978), différencient l’« accès potentiel » ou possibilité d’accéder aux soins et l’« accès réalisé » ou recours aux soins. L’accès aux services de santé est décrit comme la résultante de trois ordres de facteurs : déterminants sociétaux, caractéristiques du système de soins et déterminants individuels[1].

Dans ses Objectifs Santé 2020, le Conseil fédéral titre pour le Domaine d’action n°2 « Renforcer l’égalité des chances et la responsabilité individuelle » (Office fédéral de la santé publique, 2013). Ces mots sont porteurs d’une tension entre universalité dans l’accès aux soins et responsabilité individuelle. Cet exemple illustre comment le système de santé suisse participe à la construction d’un patient-consommateur (Batifoulier, Domin, & Gadreau, 2008 ; Batifoulier, 2012) à la fois autonomisé et responsabilisé, à la fois limité et tenté à consommer du soin. L’homo economicus cher aux économistes est transformé en homo medicus (Peretti-Watel, 2010) censé gérer ses paramètres de santé tout en articulant les écueils de ses affections avec ceux de l’accès aux prestations de soins.

Dans le canton de Vaud, Regamey (2011, p. 5) souligne que « le système [de santé] actuel oblige les gens à faire des choix dans lesquels ils ne sont pas en mesure d’exercer leur libre arbitre et leur responsabilité ». Cette tension est décrite par Soulet (2005, p. 50) comme créatrice de vulnérabilité car constituée d’un affaiblissement des amortisseurs sociaux et d’un report de la responsabilité sur les individus. En 2017, le Centre Social Protestant (CSP) alertait sur les difficultés vécues par la classe moyenne inférieure qui, « avec des revenus parfois proches du seuil de la pauvreté, mais qui ne donnent pas droit à des prestations d’aide sociale est particulièrement vulnérable face aux coups durs de la vie » (CSP, 2017). En 2019, l’étude sur le non-recours aux prestations sociales à Genève a établi une corrélation claire entre précarité sociale et mauvais état de santé (Lucas, 2019).

Le point de vue des experts, « overuse » et « underuse »

Un vaste corpus d’études traitant de l’accès aux soins se caractérise par des approches basées sur un point de vue étique du phénomène (de l’extérieur), c’est-à-dire focalisées sur l’utilisations des prestations sanitaires existantes du point de vue des experts, généralement professionnels de la santé. Parmi celles-ci, deux grands types d’études sont à relever. Le premier type est composé d’études qui traitent de la surutilisation des prestations sanitaires (« overuse ») et développent des réflexions sur les moyens de limiter la consommation abusive (Srivastava, Lafortune, Paris, Belloni, & Organisation for Economic Co-operation and Development, 2014). Le second type d’études s’intéresse aux difficultés d’accès aux prestations sanitaires pour certains groupes de la population et leur sous-utilisation, thématique abordée au travers de notions telles que le non-recours ou l’« underuse » (Heisler, Langa, Eby, Fendrick, Kabeto, & Piette, 2004; Krůtilová, 2016; Rode, 2010). A noter que les études du premier type sont plus nombreuses que celles du second.

Le point de vue des patients, le renoncement aux soins

Adoptant un point de vue émique, de l’intérieur (De Sardan, 1998), l’approche par la notion de renoncement aux soins se réfère à l’auto-évaluation d’un besoin subjectif de l’individu. Pour Warin (2011, p. 81), « […] le renoncement aux soins est établi sur une base déclarative : On demande aux personnes si elles ont renoncé à des soins sur une période donnée. […] Il s’agit d’un besoin de soin identifié mais non satisfait ».

Lorsque la précarité économique de la situation des personnes est le facteur déterminant des situations de renoncement, on parle de renoncement financier. Cet angle de recherche est majoritaire dans des études qui, pour la plupart, sont quantitatives et évaluent l’ampleur du renoncement aux soins au sein d’une population type et identifient les groupes sociaux ou caractéristiques à risques et les soins auxquels les individus renoncent le plus fréquemment.

L’enquête de 2011 sur les revenus et les conditions de vie (SILC) de l’OFS aboutit à un taux de renoncement de 4.7% parmi la population résidente de 16 ans et plus qui affirment avoir renoncé pour des raisons financières à une consultation chez le médecin ou chez le dentiste (Office fédéral de la statistique, 2013). Le rapport de l’OBSAN (Merçay, 2016, p. 31) indique une augmentation du renoncement à des soins, à des traitements ou des contrôles médicaux pour des raisons financières durant les six dernières années avec un passage de 10.3% à 22.5% du taux de renonçants. Nos travaux portant sur les personnes âgées modestes dans le canton de Vaud ont montré un taux de renoncement de 17,6% (Guinchard, Schmittler, Gally, Amiguet, & Barry, 2015).

En France voisine, les résultats de l’étude CERESO mettent en exergue la grande diversité des personnes confrontées au renoncement « du point de vue des origines, des parcours et des situations » (Warin, 2013, p. 12). Les prestations auxquelles une majeure partie des personnes renoncent sont diverses. Les soins dentaires occupent la première place, mais l’optique ainsi que les consultations chez le médecin généraliste ou le spécialiste figurent aussi dans la liste (Dourgnon, Jusot, & Fantin, 2012).

A propos des facteurs de renoncement

En complément à la nécessaire évaluation quantitative de l’ampleur du phénomène, il est essentiel de comprendre les raisons du renoncement financier aux soins. En Suisse, le lien entre difficultés financières et renoncement aux soins est observé : « […] il existe bien une association entre le fait de disposer d’un très bas revenu ou de souffrir de privation matérielle et le renoncement aux soins pour des raisons financières » (Office fédéral de la statistique, 2013, p. 6). A Genève, Guessous, Gaspoz, Theler, & Wolff (2012) mentionnent une variation du taux de renoncement de 3.7% pour le groupe ayant le revenu le plus élevé à 30.9% pour les plus bas revenus. L’importance de la variable « revenu » est corroborée à l’international par de nombreux auteurs (Bazin, Parizot, & Chauvin, 2006; Mielck, Kiess, Knesebeck, Stirbu, & Kunst, 2009).

D’autres éléments déterminants tels que le sexe, l’âge, la présence d’une maladie chronique, des facteurs psychosociaux ou culturels sont également relevés (Bazin, Parizot, & Chauvin, 2006; Patel, Piette, Resnicow, Kowalski-Dobson, & Heisler, 2016; Rode, 2010; Zivin, Ratliff, Heisler, Langa, & Piette, 2010), de même que des éléments liés aux parcours de vie (Guinchard et al., 2015), ce qui laisse penser à une forte variabilité des facteurs favorisant le renoncement. Tout renoncement n’est pas forcément restrictif, puisque certaines personnes renoncent mais se tournent vers d’autres pratiques thérapeutiques ou le font pour éviter de grever les budgets publics.

Rares sont les études sur le renoncement financier qui analysent la signification que les individus donnent à leurs actes. Desprès (2013) et Desprès, Dourgnon, Fantin, & Jusot, (2011) se sont intéressés à ce qu’entendent les personnes lorsqu’elles disent avoir renoncé à des soins. Les auteurs décrivent deux formes principales de renoncement. Le « renoncement-barrière » lorsque « […] l’individu doit faire face à un environnement de contraintes qui ne lui permet pas d’accéder au soin désiré » et le « renoncement-refus » défini comme « l’expression d’un refus de soins par rapport au système de santé (médecine conventionnelle) » (Despres et al., 2011). Les études RENO et RENO-PARR (Guinchard et al., 2015, Guinchard, Schmittler & Gerber, 2019), s’intéressent aux motivations du renoncement et aux stratégies utilisées pour l’éviter ou pour pallier au manque de soins, parfois de concert avec les prestataires.

Plus de prestations et plus de renoncements

Gardons du rapide tour d’horizon des études sur l’utilisation des prestations de santé que les limitations d’accès aux dispositifs socio-sanitaires ont des effets négatifs qui varient de manière inversement proportionnelle aux revenus des personnes. Dourgnon, Jusot, & Fantin (2012) relèvent qu’en France « […] le renoncement aux soins pour raisons financières pointe un problème de santé publique parce qu’il touche une part importante de la population, qu’il est concentré dans certains groupes sociaux, et parce qu’au final, il affecte significativement l’état de santé général mesuré par l’état de santé subjectif ». Notons aussi que les études s’intéressant au point de vue des personnes concernées sous un angle qualitatif sont très minoritaires par rapport aux nombreuses études quantitatives.

Relevons finalement l’apparent paradoxe entre une augmentation générale des prestations de soins et l’augmentation du nombre de personnes déclarant renoncer à des soins, constat qui amène Merçay (2016, p. 30) à suggérer « une étude approfondie […] afin de mieux comprendre les mécanismes du renoncement aux soins en Suisse ».

 

 

Bibliographie

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[1] Les déterminants individuels sont eux-mêmes composés de l’état de santé perçu, des facteurs prédisposants (caractéristiques démographiques, niveau d’instruction, catégorie socioprofessionnelle, opinions et croyances des individus) et des facteurs favorisants (capacité des individus à se procurer des services de soins en fonction de leurs besoins, le niveau de revenu, le type de protection sociale, l’existence d’une source de soins habituelle).

Cet article appartient au dossier Le prix de la santé

Comment citer cet article ?

Blaise Guinchard, Mélanie Schmittler, Cindy Gerber, «Accès et renoncement aux soins : tour d’horizon», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 mai 2019, https://www.reiso.org/document/4404