Réduire la victimisation dans le travail du sexe

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Les personnes travailleuses du sexe connaissent de nombreuses et fréquentes formes de violences. Une meilleure prévention en la matière passe notamment par l’intégration des personnes concernées dans le développement d’actions.
Par Lorena Molnar, chercheuse postdoctorale FNS, Haute école pédagogique du Valais et chargée de recherche et de cours, Université de Lausanne, et Julien Chopin, chercheur senior, Université de Lausanne
Les travailleuses et travailleurs du sexe (TdS) sont particulièrement exposé·es aux violences physiques, sexuelles et psychologiques. Celles-ci se trouvent aggravées par la stigmatisation, la criminalisation et les difficultés d’accès à la justice [1]. Cet état de fait existe en Suisse également, où les TdS rapportent subir une grande variété de violences [2]. Si diverses initiatives de prévention existent, leur efficacité est rarement évaluée et leur adaptation aux réalités du terrain demeure un défi.
Cet article synthétise les résultats d’une étude [3] publiée dans le Journal of Evidence-Based Social Work (Revue du travail social fondé sur des preuves). Il s’appuie sur une revue exploratoire des interventions visant à réduire la victimisation — le fait d’être victime d’infractions, soit d’actes punissables par le Code pénal — des personnes travailleuses du sexe et propose une analyse accessible des stratégies efficaces ainsi que des défis rencontrés dans leur mise en œuvre.
Les principes PRISMA
PRISMA comprend une checklist de 27 éléments à respecter (comme décrire les sources de données, les critères d’inclusion/exclusion, les méthodes d’analyse, etc.) afin de réaliser des revues systématiques de manière rigoureuse, transparente et structurée. L’objectif est de garantir que la revue est complète, rigoureuse et reproductible.
La revue de la littérature a été menée selon les principes PRISMA [4]. Dans notre étude, après sélection, onze articles scientifiques, portant sur huit études internationales, ont été analysés. Ces recherches, utilisant des méthodologies variées (essais contrôlés randomisés, études pré-post interventionnelles, analyses transversales), ont conduit à l’identification de stratégies efficaces pour réduire les violences subies par les TdS et d’en examiner les facteurs de succès, ainsi que les limites.
Stratégies efficaces
Les interventions les plus prometteuses en matière de prévention et de soutien aux TdS s’appuient sur une approche globale qui combine des dimensions communautaires, juridiques, économiques et psychosociales. Cinq grands axes d’action ressortent des études analysées.
Tout d’abord, la mobilisation communautaire et les actions menées par les pair·es jouent un rôle central. L’implication directe des TdS dans la conception, la mise en œuvre et parfois l’évaluation des interventions — notamment à travers des programmes de proximité, des groupes de soutien et des organisations communautaires — renforce leur pouvoir d’agir, la cohésion sociale et l’accès aux ressources. Ces approches ont montré des effets positifs sur la réduction des violences et le sentiment de sécurité.
Ensuite, les efforts de sensibilisation et de plaidoyer juridique, comme la formation des forces de l’ordre ou des professionnel·les de la santé et du travail social, contribuent à limiter la stigmatisation et à améliorer la réponse institutionnelle. Des ateliers juridiques et des dispositifs de gestion de crise, accompagnés d’une meilleure connaissance des droits, aident aussi les TdS à faire face aux abus.
Le troisième axe en matière de prévention de la victimisation concerne l’accès à des espaces sécurisés et à un soutien psychosocial. L’ouverture de centres d’accueil, des centres d’accueil ou de points de contact favorise l’accès aux soins, à une aide juridique et à des activités de groupe. L’existence de tels lieux contribue à briser l’isolement et à renforcer la confiance en soi.
Par ailleurs, plusieurs interventions ont ciblé la réduction des risques liés à l’alcool ou à l’environnement de travail, notamment dans la rue. Ces démarches s’effectuent par le biais de sessions de conseil, de formations sur la gestion des situations à risque avec les clients, ou de stratégies visant à diminuer les consommations problématiques.
Enfin, l’autonomisation économique représente un levier important pour diminuer l’exposition aux violences, notamment via des programmes de littératie financière, de microépargne ou encore de formation professionnelle alternative. Certaines études ont en effet montré que ce type d’approche contribue à accroître la stabilité économique des TdS et, dès lors, leur pouvoir de négociation et leur capacité à sortir de situations précaires. En somme, les approches les plus efficaces sont celles qui partent des besoins réels exprimés par les TdS et qui mobilisent plusieurs leviers d’action de manière complémentaire.
Défis et limites des interventions
Malgré ces avancées, plusieurs obstacles freinent l’impact des interventions de prévention mises en place. Tout d’abord, de nombreuses initiatives sont confrontées à un taux d’abandon élevé, ce qui limite considérablement leur efficacité à long terme. Par ailleurs, le manque d’évaluations rigoureuses constitue un frein majeur : peu d’études, et notamment aucune réalisée en Europe, s’appuient sur des méthodologies robustes, ce qui complique l’appréciation précise de leur impact réel.
De plus, les résultats obtenus varient fortement en fonction des contextes législatifs et socioculturels, rendant difficile la généralisation des approches efficaces. Enfin, la sous-déclaration des violences subies par les TdS — souvent liée à la peur du stigmate ou de représailles — empêche une évaluation complète et fidèle des dispositifs existants. La capacité des programmes de prévention à ajuster les interventions en fonction des besoins réels du terrain s’en trouve ainsi limitée.
Implications pour la recherche et la pratique
Les résultats de cette étude mettent en lumière plusieurs pistes concrètes d’amélioration des interventions de prévention de la victimisation auprès des TdS. En premier lieu, la promotion de politiques publiques adaptées, notamment la décriminalisation du travail du sexe et l’amélioration des conditions de travail, apparaît comme un levier fondamental pour réduire la victimisation et renforcer la protection des droits. Ensuite, l’encouragement des approches participatives et de la recherche-action, impliquant directement les TdS dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes, permettrait d’en accroître la pertinence, l’acceptabilité et l’impact. Par ailleurs, un renforcement des méthodologies d’évaluation s’avère nécessaire : l’adoption de méthodes mixtes, combinant analyses quantitatives et qualitatives, offrirait une compréhension plus fine et plus complète des effets à long terme des interventions.
Enfin, le développement d’indicateurs victimologiques spécifiques représenterait une avancée importante. En effet, la majorité des évaluations s’inscrit dans une approche de santé publique, alors qu’une lecture intégrant davantage les outils de la criminologie et de la victimologie soutiendrait une meilleure analyse des dynamiques de violence et une meilleure adaptation des dispositifs de prévention.
Collaborer pour mieux développer
Prévenir les violences à l’encontre des personnes travailleuses du sexe exige des stratégies intégrées et participatives. Les approches fondées sur la mobilisation communautaire, le soutien juridique, les espaces sécurisés et l’autonomisation économique affichent des résultats encourageants.
Toutefois, leur efficacité dépend de leur adaptation aux réalités locales et d’une évaluation rigoureuse. La collaboration entre chercheur·euses, travailleur·euses sociaux·ales et décideur·euses politiques est essentielle pour concevoir des programmes mieux ciblés et durables.
[1] Benoit, C., Jansson, S. M., Smith, M., & Flagg, J. (2018). Prostitution Stigma and Its Effect on the Working Conditions, Personal Lives, and Health of Sex Workers. The Journal of Sex Research, 55(4–5), 457–471.
[2] Molnar, L., McGuinness, E., Miria, N., & Merz, G. (2024). Les violences vécues par des travailleuses du sexe en Suisse: Un rapport communautaire. ProCore.
[3] Molnar, L., & Chopin, J. (2025). What Works to Reduce Sex Workers’ Risk of Crime Victimization? A Scoping Review. Journal of Evidence-Based Social Work, 1–19.
[4] Moher, D., Liberati, A., Tetzlaff, J., Altman, D. G., & Group, P. R. I. S. M. A. (2010). Preferred reporting items for systematic reviews and meta-analyses: The PRISMA statement. International Journal of Surgery (London, England), 8(5), 336–341.
Lire également :
- Jenny Ros, Silvia Pongelli et Sandrine Devillers, «De nouveaux besoins dans le travail du sexe», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 mars 2021
- Lorena Molnar et Silvia Pongelli, «On n’achète pas un corps mais une prestation», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 30 janvier 2020
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Comment citer cet article ?
Lorena Molnar et Julien Chopin, «Réduire la victimisation dans le travail du sexe», REISO, Revue d'information sociale, publié le 19 mai 2025, https://www.reiso.org/document/14145