Début novembre, Pro Enfance consacre son colloque romand aux enjeux d’accessibilité de l’accueil de l’enfance, sur la base notamment d’observations menées dans le cadre d’un projet pilote de la plateforme. Interview.

(REISO) Pour quelles raisons avoir choisi de mettre l’accent sur l’accessibilité de l’accueil de l’enfance pour votre colloque ?

© Pro Enfance(Marie Girard, cheffe de projet) Il s’agit d’un enjeu central pour le développement des enfants et pour la société. Trop souvent encore, les dispositifs d’accueil de la petite enfance et du parascolaire, en milieu collectif ou familial de jour, sont perçus comme un simple outil de conciliation entre vie familiale et professionnelle. Or, ils remplissent bien davantage de fonctions : favoriser le développement global de l’enfant, soutenir la socialisation, prévenir les inégalités et renforcer la cohésion sociale. C’est pourquoi nous parlons d’un véritable investissement sociétal.

Garantir le droit à l’éducation et à l’éveil dès la naissance implique que chaque enfant puisse accéder à une offre de qualité, adaptée à ses besoins et à ceux de sa famille. Or, de nombreux obstacles persistent. Ces difficultés touchent particulièrement les familles vulnérables et en situation de précarité.

Pro Enfance s’engage pour un accueil accessible à toutes et tous, indépendamment du contexte familial, du statut socio-économique ou des besoins spécifiques de l’enfant. L’éducation et l’éveil au monde doivent être considérés comme des processus continus, dont l’égalité d’accès doit être garantie dès la naissance et non dès l’entrée à l’école. Nous recommandons que les critères d’accès se fondent sur l’intérêt de l’enfant et non sur le statut administratif ou professionnel des parents. En mettant l’accent sur l’accessibilité, nous affirmons que l’accueil de l’enfance doit concerner l'ensemble des enfants, sans distinction.

Quels sont aujourd’hui les enjeux rencontrés par les structures pour accueillir tous les enfants ?

L’accueil de l’enfance se trouve à la croisée de nombreux défis. Les équipes éducatives et les accueillant·es familiales de jour accompagnent des enfants aux parcours et besoins variés, issus de milieux socio-économiques et familiaux hétérogènes, pouvant présenter des difficultés de santé ou sociales. À cette diversité s’ajoutent des attentes parentales contrastées. Y répondre exige des moyens adaptés.

Un premier enjeu concerne l’accessibilité et le financement. Les coûts restent une barrière pour de nombreuses familles. Dans un contexte de manque de places, l’accès des familles les plus défavorisées est limité.

Le deuxième enjeu réside dans les conditions-cadres. Pour offrir un accueil de qualité, les équipes doivent disposer de conditions de travail adéquates, impliquant notamment du personnel qualifié, un taux d’encadrement suffisant, du temps pour préparer les activités, collaborer avec les familles et le réseau, ainsi que pour se former en continu.

Promouvoir un environnement institutionnel inclusif au service du collectif

Un troisième enjeu touche à la vision de l’inclusion. Les mesures de soutien sont souvent conditionnées à l’« enfant identifié » sur la base d’un diagnostic ou d’un certificat médical. Ce modèle individualise les situations et peut mener à une stigmatisation, au lieu de promouvoir un environnement institutionnel inclusif au service du collectif. Développer des pratiques inclusives signifie notamment renforcer la formation des équipes éducatives, leur donner les outils pour adopter une approche réflexive et analyser ces pratiques.

En résumé, l’accueil de l’enfance est prêt à jouer son rôle en matière d’inclusion et de prévention. Toutefois cela exige une vision cohérente, des bases légales solides, des financements suffisants et pérennes ainsi qu’une gouvernance renforcée.

En quoi ce colloque peut-il contribuer à construire une politique publique cohérente et inclusive de l’accueil de l’enfance en Suisse romande ?

Cette journée représente une opportunité pour faire avancer la réflexion collective. La politique de l’enfance est aujourd’hui marquée par une fragmentation des dispositifs : d’un côté, des prestations pensées principalement pour la conciliation entre vie professionnelle et familiale ; de l’autre, des mesures centrées sur la socialisation ou la prévention. Ces logiques séparées ne correspondent pas à la réalité des enfants et des familles.

Nous plaidons pour une approche globale, cohérente et coordonnée, qui articule toutes les dimensions de l’encouragement de l’enfance, du début de la vie jusqu’à 12 ans. Construire une telle politique publique exige d’abord une vision commune : considérer l’accueil de l’enfance comme un droit inconditionnel et un investissement, et non comme un coût. Cela suppose aussi de renforcer la coordination entre les services — éducation, social, santé, intégration — et de développer des espaces de concertation institutionnalisés et financés, aux niveaux communal, cantonal et intercantonal. Enfin, une base légale fédérale, voire un article constitutionnel, devrait garantir l’équité d’accès et de qualité sur tout le territoire.

Nous plaidons pour une approche globale, cohérente et coordonnée, qui articule toutes les dimensions de l’encouragement de l’enfance, du début de la vie jusqu’à 12 ans. Construire une telle politique publique exige d’abord une vision commune : considérer l’accueil de l’enfance comme un droit inconditionnel et un investissement, et non comme un coût.

Le colloque proposé par Pro Enfance contribue à cette dynamique en créant un espace de dialogue entre personnes actrices du terrain, chercheur·euses, responsables politiques et administratif·ves. Il permet de croiser les regards, de partager des pratiques innovantes déjà existantes dans différents cantons, de dégager des pistes pour une gouvernance renforcée et de nourrir la réflexion collective autour d’une vision forte et durable de l’accueil de l’enfance.

En ce sens, il ne s’agit pas seulement d’une journée d’échanges, mais aussi d’un levier pour construire une politique publique de l’accueil de l’enfance durable, fondée sur les droits de l’enfant et la reconnaissance de ses besoins dès la naissance.

(Propos recueillis par N. Berger)

En savoir plus sur le colloque « Accueillir tous les enfants : et si on repensait l’accessibilité de l’accueil de l’enfance ? », le 4 novembre à Yverdon-les-Bains, organisé par Pro Enfance. Délai d’inscription : lundi 27 octobre.

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• Marie Girard «Les places de socialisation, un outil d’intégration», REISO, Revue d'information sociale, publié le 26 février 2024

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