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Migrantes victimes de violences conjugales sous-protégées

Lundi 19.07.2021

Le groupe de travail national « Femmes migrantes & violences conjugales » a émis un rapport dans lequel il constate que les femmes migrantes victimes de violences conjugales manquent de protection en Suisse.

femmes migrantes 400© erinbetzk / Pixabay

La législation actuelle et son application poussent les victimes ayant un statut précaire à rester auprès de leur conjoint violent. C’est le constat du groupe de travail « Femmes migrantes & violences conjugales » dans son rapport publié en juin à l’attention du Groupe d’expert·e·s sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Ce document a été émis en parallèle au premier rapport de la Suisse sur la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul. Ce groupe de travail compte notamment des représentant·e·s du CSP Vaud, du Bureau information femmes Vaud, du Centre Suisses-Immigrés Valais et de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers.

En cas de violences conjugales, la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration permet de prolonger l’autorisation de séjour de certaines victimes étrangères lorsqu’il y a rupture de la vie commune dans les trois années qui suivent leur mariage. Mais, selon le rapport émis par le groupe de travail, la loi ne remplit pas sa mission initiale car elle ne protège pas réellement contre les violences conjugales les conjointes étrangères venues en Suisse par regroupement familial. Pour le groupe de travail, le champ et les conditions de son application s'avèrent trop restreints.

Victime : manque de reconnaissance

Dans la pratique, affirme ce même groupe de travail, les dispositions légales et la jurisprudence sont appliquées de manière restrictive, voire arbitraire. Les exigences en matière de preuve de la violence sont trop élevées. Les autorités migratoires ne reconnaissent en effet, souvent, les violences qu’en cas de condamnation de l’époux à la suite d’une plainte pénale. Les attestations des psychologues, médecins et services spécialisés sont mises en doute et le fait d’avoir été reconnue comme victime au sens de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infraction (LAVI) ne permet pas non plus de se faire reconnaître systématiquement comme victime.

Toute une série d’actes de violence ne sont, de plus, que trop peu pris en compte, comme les violences psychiques ou les actes commis après la séparation du couple. Ces faits s’inscrivent en parfaite contradiction avec l’art. 3 de la Convention d’Istanbul.

Ce rapport formule encore un autre constat : la formation et la sensibilisation du personnel amené à traiter les situations de migrantes victimes de violences conjugales sont clairement insuffisantes. Méconnaissances des dynamiques liées aux violences conjugales, ignorance des vulnérabilités particulières liées à la précarité du statut et à l’exil, pratiques de condamnation pour séjour illégal de certaines victimes sans statut légal lorsqu’elles font appel à la police : ces éléments empêchent le processus de reconstruction et entraînent des phénomènes de victimisation secondaire.

Rester pour ne pas risquer son permis

L’art. 59 de la Convention d’Istanbul prévoit une protection et l’octroi d’un permis autonome pour toutes les victimes dont la résidence dépend de celle de leur conjoint. Or, au moment de la ratification, la Suisse a émis une réserve à cet article, s’arrogeant ainsi la possibilité de ne pas l’appliquer, ou partiellement. L’octroi d’une autorisation de séjour est en effet uniquement accordé aux époux·ses de ressortissant·es suisses et de titulaires d’un permis C. La loi fédérale sur les étrangers et l’intégration instaure ainsi une discrimination entre victimes en fonction du statut du conjoint.

La législation actuelle ne permet pas non plus de protéger sans risque d’expulsion les migrantes sans statut légal et les femmes étrangères vivant en concubinage. De nombreuses victimes n’osent ainsi pas quitter leur conjoint par peur de perdre leur permis de séjour et/ou de se faire expulser. Pour celles qui voient leur permis renouvelé, la peur ne faiblit pas : le fait de toucher une aide sociale reste un motif de révocation du permis et certaines victimes reçoivent des menaces de non-renouvellement dès l’année suivante, alors que leur dépendance à l’assistance publique est étroitement liée aux séquelles des violences subies.

Entre autres recommandations, le groupe de travail « Femmes migrantes & violences conjugales » demande donc à la Suisse d’assurer que les renseignements fournis par les services spécialisés dans le domaine des violences conjugales soient systématiquement pris en compte comme preuves de violences, d’assurer une meilleure formation des professionnel·le·s en contact avec les victimes, de lever la réserve à l’art. 59 de la Convention d’Istanbul et d’ouvrir le droit prévu à l’art. 50 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration à toutes les personnes étrangères victimes de violences conjugales, quel que soit leur statut et celui de leur conjoint. Enfin, le groupe recommande de ne plus permettre que le seul recours à l’aide sociale amène par la suite un retrait du permis des victimes.

(ODAE / CSP / croc)

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