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«Mon handicap, j’en ai fait ma force»

Vendredi 24.12.2021

Reconstruire sa vie et sa carrière après un grave accident ou une épreuve, c’est possible. Silke Pan, artiste paraplégique, livre son témoignage empli d’espoir.

silke pan 170© FGD Stuttgart Par Silke Pan, artiste de cirque paraplégique [1]

« Depuis quelques années, je suis régulièrement appelée à donner des conférences de motivation basées sur le témoignage de mon parcours de vie. Je n’ai pas tout de suite compris l’engouement des gens à vouloir m’écouter. J’ai alors tenté de m’observer depuis l’extérieur, comme si cette Silke Pan que je représente était une personne étrangère que je rencontrais pour la première fois. Cela m’a permis d’analyser le fonctionnement mental que j’avais acquis d’une manière inconsciente à force d’affronter les adversités. J’ai compris alors que c’est notre sens de la responsabilité envers notre destinée qui nous permet de rebondir après être tombé. C’est aussi notre volonté et notre foi en un futur meilleur qui nous permet de persévérer sur la longue route qui mène à l’accomplissement de nos objectifs.

Lorsque je me présente, il y a tout de suite quelque chose qui me distingue de la majorité des gens et qui capte l’attention, c’est mon fauteuil roulant. Durant les premières années après avoir perdu l’usage de mes jambes, les regards curieux que je sentais se poser sur moi me mettaient mal à l’aise. Entre-temps je m’y suis habituée. La chaise roulante n’est pas mon amie. Mais sachant que nous devrions passer un temps indéfini ensemble, j’ai alors renversé la situation et décidé que ce fauteuil deviendrait l’outil qui me hisserait là où mes jambes ne pouvaient plus me porter. De mon handicap, j’en ai fait ma force.

Je me souviens de mes années d’enfance où la danse et la gymnastique étaient devenus mes moyens privilégiés d’expression et d’évasion. J’avais acquis une grande agilité physique, entretenue et perfectionnée encore grâce à une formation professionnelle à l’Ecole d’État du cirque de Berlin.

Artiste de cirque est un beau et dur métier. Je vivais mon rêve mais non sans risque. J’aimais offrir des moments d’évasion à mon public et m’envoler avec lui sur mon trapèze. Et un jour, fin 2007, j’ai volé un peu trop loin. Je suis tombée au sol et ce rêve s’est rapidement transformé en cauchemar.

En me réveillant, après deux semaines d’amnésie, je me suis retrouvée paraplégique. Je n’avais pas perdu uniquement l'usage de mes jambes, mais aussi le goût et l’odorat, le bon fonctionnement des organes de mon abdomen et surtout… mon identité. Je ne savais plus qui j’étais, quel était mon rôle dans ce monde et ce que j’allais désormais pouvoir faire de ma vie. Les sept mois passés à l’hôpital m’ont permis d’imaginer et de me projeter vers ce futur que j’appréhendais.

J’ai avancé en affrontant l’inconnu, mes doutes et mes peurs. Il fallait que j’attaque les soucis avant de me laisser ronger par ceux-ci. Alors je me suis lancée, j’ai expérimenté. J’ai cherché ce qui m’attirait et ce qui ne me correspondait pas du tout en me questionnant : et si par le passé, je m’étais trompée de chemin ? Je n’ai pas tout de suite trouvé ma voie et parfois je suis tombée bien bas. Mais j’ai appris, j’ai vu et j’ai découvert ce que je n’aimais vraiment pas. Cela m’a aidée à me forger, progressivement, une nouvelle identité sociale.

Malgré le deuil de mon corps, de tout ce que j’avais construit et de mes projets futurs, j’entendais cette petite voix intérieure qui murmurait : « Et si le chemin le plus rocailleux te menait au plus bel endroit ? »

J’ai regardé alors par la fenêtre et j’ai ressenti les messages que me transmettait la nature. Comme un arbre qui naît et grandit, il est nécessaire de développer suffisamment de force pour laisser croître ses racines dans une terre qui peut être dure parfois ; de construire un tronc capable de résister aux intempéries, tout en gardant une flexibilité d’esprit pour ne pas se briser au premier coup de vent. Et enfin, l’arbre peut ouvrir largement ses branches pour recevoir la lumière nourrissante du soleil et servir d’abri à de nombre autres espèces.

Avez-vous déjà marché sur un chemin vraiment rocailleux et dû surmonter des obstacles difficiles ? Lorsque celui-ci prend la direction induite par nos propres choix, les efforts pour avancer sont plus facilement acceptables. Mais quelquefois il n'y a tout simplement pas d'autre alternative, l’unique voie qui nous permet de sortir d’un marécage dans lequel le destin nous a enfoncé est glissante et périlleuse.

Malgré tout, nous avançons, un pas après l’autre, dans le noir. Nous ne savons pas où ce chemin nous mènera mais notre poitrine sent ce léger chatouillis d’un rayon de soleil lointain. Nous savons qu’il est là, il nous attire comme un aimant. Alors nous continuons, en avant, vers ce grand néant qui s’appelle espoir.

Et un jour le voile se lève, la lumière nous éblouit de sa splendeur. Le jour est réapparu et l’univers se colore de mille et une teintes. Quel magnifique panorama s’ouvre alors devant nous ! Quel grand sentiment d’accomplissement ! Et nous constatons combien nous sommes devenus forts grâce à ce chemin.

Malgré nos doutes, malgré nos craintes et nos douleurs, nous avons tout maîtrisé. Il se peut que nous ayons vacillé parfois et atteint nos limites mais tout ceci s’efface progressivement devant la splendeur de l’objectif atteint. Nous nous sentons bien. Nous nous sommes dépassés et nous sommes alors récompensés pour avoir affronté ce défi de la vie.

Suivre son appel intérieur peut signifier devoir se détacher d’anciennes structures et prendre un chemin qui peut ne pas être compréhensible pour notre entourage. Un déménagement, un changement d'emploi… et il faut tout recommencer. Connaissez-vous ces situations ? Regardez cela d’un autre point de vue. Ce qui est merveilleux, c'est que vous vous autorisez à parcourir ce nouveau chemin. Vous pouvez fixer votre propre rythme, vous pouvez sauter de pierre en pierre et vous êtes même autorisés à faire une courte pause et à profiter de la vue qui s’offre à vous.

Plus vous irez loin, plus cela vous semblera facile. Les montagnes deviendront des collines. Les collines deviendront des rochers. Les rochers deviendront des pierres. Les pierres deviendront des grains de sable...Et ensuite plus rien ne pourra vous arrêter ! Alors... allez-y, de grandes choses vous attendent ! »

 

[1] Ndlr Dans le cadre des Conférences de Connaissance 3, l’université des seniors du canton de Vaud, l’autrice de cet article a donné une conférence sur ce thème le 16 novembre 2021 à La Tour-de-Peilz.