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Lectures estivales : Saint-Exupéry, à lire et à relire

Lundi 23.07.2018

Commentaire de Jean Martin


Terre des hommesOn peut bien sûr relire Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) dont on dit qu’il est le deuxième ouvrage le plus traduit au monde après la Bible. Là, je viens de relire Terre des hommes, publié en 1939 peu avant la guerre qui le fera mourir (disparu en Méditerranée lors d’une mission). On sait sa finesse dans la compréhension des rapports humains. Avant lui comme après lui, beaucoup ont aussi cherché à dire ce qui compte et ce qui compte moins. Avons-nous beaucoup appris ? Quelques citations, essentiellement tirées de ce livre mais reprises ailleurs aussi, qui continuent de résonner des décennies plus tard.

Unir les hommes. « Telle est la morale que Jean Mermoz [héros de la Compagnie Aéropostale, années 1920-1930] et d’autres nous ont enseignée. La grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir les hommes : il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. En travaillant pour les seuls biens matériels, nous bâtissons notre prison, solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre. Si dans mes souvenirs je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m’eût procurées (…) Cette nuit de vol et ses cent mille étoiles, cette sérénité, l’argent ne les achète pas. Cet aspect neuf du monde après l’étape difficile, ce concert des petites choses qui nous récompensent, l’argent ne les achète pas. »

Les progrès techniques. « Dans l’exaltation de nos progrès [parlant de la colonisation], nous avons fait servir les hommes à l’établissement de voies ferrées, au forage de puits de pétrole. Nous avions un peu oublié que nous dressions ces constructions pour servir les hommes. » Plus loin: « Si nous croyons que la machine abîme l’homme, c’est que peut-être nous manquons de recul pour juger de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies (…) Chaque progrès nous a chassés hors d’habitudes que nous avions à peine acquises. Nous sommes de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore », parlant des jouets qui ont été sa vie, les avions. Qu’en dire, à l’heure des interrogations autour d’autres nouvelles machines, de Big Data, de l’intelligence artificielle.

Intéressant propos sur le progrès techn(olog)ique : « Tout l’effort industriel de l’homme, tous ses calculs, semblent n’aboutir qu’à la seule simplicité, comme s’il fallait l’expérience de plusieurs générations pour dégager peu à peu la courbe d’une colonne ou d’un fuselage, jusqu’à leur rendre la pureté élémentaire de la courbe d’un sein ou d’une épaule (…) Il semble que la perfection soit atteinte, non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. » Avec une conclusion qui laisse songeur : « La perfection de l’invention confine ainsi à l’absence d’invention »…

La responsabilité de chacun. Un élément fort chez lui est l’insistance répétée, martelée, sur la responsabilité de chacun – important ou pas, fort ou faible, quelles que soient les circonstances. Il a cette phrase en parlant des équipes de pilotes et d’autres, dans leurs métiers risqués de l’Aéropostale – ou encore dans un engagement de guerre : « Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous .»

Il importe pour Saint-Exupéry de dépasser son intérêt propre et celui du moment présent. « N’espère rien de l’homme s’il travaille pour sa propre vie et non pour son éternité. » Ailleurs : « Quiconque lutte dans l’unique espoir de biens matériels ne récolte rien qui vaille de vivre. » « Etre homme, c'est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. » Ailleurs encore: « Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix. » Des idées dont la considération ne nuirait pas aujourd’hui.

Dans le même ordre d’idée mais applicable à la justice sociale : « Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. » Autre citation : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. » Formidable formule à l’heure où le racisme ne montre pas de signe de faiblir.

L’amour et la mort. La fameuse formule « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction » est souvent reliée au couple, à qui bien sûr elle peut s’appliquer. En fait, le journaliste St-Ex l’évoque à propos d’une nuit passée, pendant la guerre d’Espagne, avec un groupe de soldats qui vont lancer une attaque dans laquelle il est probable qu’ils trouveront la mort – il le dit aussi d’une cordée d’alpinistes.

Autre épisode lorsqu’ils sont perdus, avec son mécanicien, dans le désert de Libye en décembre 1935. Ils marchent plusieurs jours avant de rencontrer un Bédouin. Décrivant ses états d’âme alors qu’il a craint de mourir : « A part votre souffrance [s’adressant en pensées à ses proches], je ne regrette rien. J’ai eu la meilleure part. Si je rentrais, je recommencerais. L’avion n’est pas une fin, c’est un moyen. Ce n’est pas pour lui qu’on risque sa vie. On fait un travail d’homme, avec des soucis d’hommes (…) Je suis heureux dans mon métier. Dans un train de banlieue, je sens mon agonie bien autrement qu’ici ! J’ai joué, j’ai perdu, c’est dans l’ordre. »

Sur le futur. « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » Et pour conclure, cette phrase très connue, même si il n’est pas certain qu’elle soit de lui : « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents [ancêtres], nous l'empruntons à nos enfants. »

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