En octobre, l’école supérieure en éducation de l’enfance consacre un forum aux enjeux de qualité dans le domaine de l’enfance. Interview de Marianne Boccard et Fabienne Pellegrini, co-organisatrices et responsables de formation.

(REISO) Quels sont les enjeux actuels autour de la qualité en éducation de l’enfance ?  

Marianne Boccard © esede(Marianne Boccard et Fabienne Pellegrini) Face aux évolutions politiques et économiques, la pression se fait forte pour développer les prestations d’accueil de jour de l’enfance et ouvrir de nouvelles places. Ce développement quantitatif peut mettre en péril la qualité du travail éducatif. La vraie question sera pour nous d’interroger les conditions dans lesquelles les enfants doivent être accueillis. Qu’est-ce qui leur est proposé en termes de relations humaines, de sécurité affective et de possibilités d’explorations ?  

Fabienne Pellegrini © esedeLes professionnel·les de ce champ traversent une période difficile avec des antagonismes entre ambitions pédagogiques et conditions d’exercice du métier : pénurie du personnel, turn-over, salaire faible, complexifications diverses. Il s’agit alors de réfléchir aux bases et repères sur lesquels s’appuyer pour relever ces défis, ainsi que d’imaginer de plus sages équilibres via l’innovation, le développement et la pérennisation, dans un domaine où la continuité du travail reste un élément essentiel.  

Cette réflexion se veut large car la qualité de l’accueil de l’enfance est une responsabilité collective et une question politique. L’accueil de l’enfance n’est pas seulement un détail organisationnel visant à maintenir notre capacité de production et permettant une participation accrue des femmes au marché du travail. C’est aussi un choix de société. 

En quoi un événement comme le forum est-il important ? 

Cette manifestation ambitionne justement de replacer la qualité au centre des débats. Pas une qualité abstraite ou théorique, mais une qualité vivante, incarnée dans des pratiques quotidiennes. Nous pourrons y entendre la voix des professionnel·les, des résistances discrètes mais tenaces qu’ils et elles opposent à des injonctions parfois difficiles à comprendre. Ce sont ces poches d’utopies concrètes et vertueuses qui font évoluer le système. Véritables sources d’innovation, la société gagne à les reconnaître, les partager et les consolider.  

À l’heure où la question de la qualité se pose de manière accrue, il nous semble en effet primordial de la mettre en discussion. Il ne s’agit pas de dresser la liste de bonnes pratiques et de chercher des consensus sur ces dernières. En effet, Michel Vandenbroeck (2024) nous prévient que « quand les sciences de l’éducation ne s’interrogent que sur comment bien faire les choses et non sur ce que c’est de bien faire, cela mène à la fin des sciences de l’éducation ».

Autrement dit, pour cet auteur, qui sera l’un des conférenciers de cet événement, une des questions fondamentales est : l’éducation, pourquoi ? Et, par ricochet, pour qui travaillent les professionnel·les de l’enfance ? Il nous paraît aussi nécessaire de s’interroger sur ce que le monde d’aujourd’hui fait aux enfants. Puis, encore avec M. Vandenbroeck (2024,1), on se demandera « comment l’éducation peut contribuer à cette utopie de la société dans laquelle on voudrait que les enfants puissent vivre, à ces utopies faisables ». 

Une des questions fondamentales est : l’éducation, pourquoi ? Et, par ricochet, pour qui travaillent les professionnel·les de l’enfance ? Il nous paraît aussi nécessaire de s’interroger sur ce que le monde d’aujourd’hui fait aux enfants.

Le Forum 2025 viendra éclairer ces questions par des apports variés (pédagogiques, psychologiques, sociologiques, anthropologiques, etc.). L’objectif sera de dresser des constats, en dépassant les stades de l’impuissance inquiète ou de la plainte sans fin. Nous donnerons ainsi la parole aux gardiennes et gardiens du sens qui chaque jour remettent l’ouvrage sur le métier. Faire parler le métier, ouvrir des espaces de disputes professionnelles qui, comme le développe Yves Clot, contribuent à consolider l’architecture d’un métier essentiel et qui a besoin de collectifs plus solides pour tisser une histoire qui permette de s’y ancrer pour le faire évoluer.  

Avec qui penser la qualité en éducation de l’enfance ?  

Ce forum aura aussi pour ambition d’ouvrir plus largement ces dialogues aux divers professionnel·les qui gravitent autour de l’enfance. En effet, ce renforcement nécessaire des identités professionnelles devrait éviter l’écueil corporatiste et se nourrir plutôt du dialogue interdisciplinaire. Au vu de la complexité des enjeux et de l’intrication des contextes de vie des enfants, les professionnel·les sont amené·es à se rencontrer souvent et à coopérer parfois. Un forum peut alors aussi être un lieu de mise en commun des préoccupations, une invitation à penser ensemble l’éducation d’aujourd’hui dans le champ social.  

Nous avons notamment profité de cette occasion pour collaborer avec la HETSL et la HEP. Un atelier concernant la coopération interdisciplinaire comme composante essentielle de la qualité permettra à des groupes d’étudiant·es de différentes écoles de croiser leurs regards plus spécifiquement sur ces questions, en lien avec la thématique de l’inclusion.  

Au-delà du Forum, les acteurs et actrices de l’accueil de jour de l’enfance sont appelé·es à se mobiliser dans les différents espaces des associations professionnelles pour contribuer à ces réflexions sur la qualité dans un contexte de révision des cadres légaux. La question d’un référentiel vaudois en matière de qualité se pose aussi de manière capitale, à l’image de ce qui peut se faire dans certains pays européens et en lien avec la publication du cadre national.  

(Propos recueillis par N. Berger) 

Consulter les informations sur le forum « La qualité, luxe ou nécessité », 6 et 7 octobre, Morges.

Bibliographie  

• Clot, Y. (2010). Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris : Éditions La Découverte.
• Vandenbroeck, M. (2024). La longue histoire des conseils aux parents. Dans : Chantal Zaouche-Gaudron éd., L’enfant dans son environnement (pp. 27-41). Toulouse : Érès.
• Vandenbroeck, M. (2024). Être parent dans notre monde néolibéral : Plaidoyer pour de nouvelles responsabilités éducatives. Érès.  
• Plateforme romande pour l’accueil de l’enfance (Pro Enfance) et Fédération suisse pour l’accueil de jour de l’enfant (kibesuisse) en collaboration avec l’Association de l’accueil de l’enfance de la Suisse italienne (ATAN) et la Fédération tessinoise de l’accueil familial de jour (FTFD) (2025). Concept national pour l’éducation et l’accueil de l’enfance.