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Face au régime d'austérité annoncé par le Conseil fédéral pour 2025 déjà, une pétition a été lancée par cinq organisations actives dans le domaine des addictions. Le point en trois questions avec Camille Robert, du GREA.
Camille Robert © GREA(REISO) Une pétition pour contrer les coupes budgétaires dans le domaine des addictions, annoncées par la Confédération, a été lancée. À l’heure où les addictions génèrent chaque année plus de 8 milliards de francs de dommages économiques et sociaux pour la Suisse, comment comprendre cette décision ?
(Camille Robert, co-secrétaire générale du Groupe romand d’étude des addictions) Cette décision est très difficile à comprendre. Le Parlement et le Conseil fédéral, à majorité bourgeoise, ont décidé qu’il fallait faire des économies dans tous les secteurs, sauf dans l’armée. En 2025, c’est 25% du budget dédié à la prévention qui a été coupé et cette tendance risque bien de se poursuivre. Pourtant, les études prouvent que chaque franc investi dans la prévention, notamment dans la prévention contre l’alcool et le tabac, permet de faire des économies en diminuant les coûts sociaux générés par leur consommation. Cette stratégie de coupe budgétaire est à courte vue et va reporter les charges sur les cantons, les primes d’assurance maladie, les communes et les personnes concernées.
Selon vous, le Conseil fédéral a-t-il perdu sa vision stratégique et ses forces de réactivité par rapport au domaine des addictions ?
Lorsque les addictions et les maladies non transmissibles (MNT) ont fusionné à l’administration fédérale, la crainte des professionnel·les des addictions était de voir notre domaine perdre en importance. Cette crainte s’est confirmée, les compétences et les visions stratégiques se sont diluées. L’excellent travail des professionnel·les sur le terrain a permis d’améliorer beaucoup de choses, mais a également contribué à invisibiliser la thématique et les problèmes liés aux addictions dans l’espace public et dans les médias. Aujourd’hui, les addictions sont très peu thématisées au Parlement fédéral, alors même que les problèmes tendent à augmenter. Avec ces coupes budgétaires, le Conseil fédéral indique clairement que les addictions ne font pas partie de ses préoccupations et démontre son absence de vision stratégique.
Manque de vision stratégique
Les organisations spécialisées du domaine des addictions tirent la sonnette d’alarme : ce n’est pas le moment de couper les budgets dans le domaine des addictions. « Nous avons plutôt besoin de renforcer les stratégies et les moyens alloués à la lutte contre les addictions. Pour faire face aux enjeux actuels, il nous faut une politique fédérale ambitieuse avec une vision stratégique claire », affirment Addiction suisse, le GREA, le Fachverband Sucht, Ticino Addiction et la SSAM dans leur communiqué publié au mois de mai. Les organisations craignent en plus un effet boule de neige, avec des coupes supplémentaires prévues par le Conseil fédéral pour les années à venir, notamment dans le cadre de son programme d’allègement budgétaire 2027.
« À une époque où les défis dans le domaine des addictions sont omniprésents, c’est une erreur de mettre en œuvre des mesures d’économie et d’ignorer la grande expérience acquise par la politique et la science des addictions au cours des quarante dernières années », estiment les structures engagées dans la prévention des addictions, qui ont donc lancé une pétition demandant au Conseil fédéral de renoncer aux coupes budgétaires annoncées.
Crise du crack, menace du fentanyl, alcool, nicotine, jeux vidéos : les risques de dépendance sont nombreux et réels en Suisse. Quels sont les risques pour la population si les budgets pour la prévention sont coupés ?
En coupant dans les moyens alloués à la prévention des addictions, la Confédération réduit les activités d’information et de prévention, la formation continue des professionnel·les des addictions, la recherche et le monitorage des comportements, les capacités d’innovation et la réalisation de nouveaux projets. Ce qui est inquiétant, c’est que la tendance vers plus d’austérité est également présente dans les cantons qui pratiquent aussi les exercices de coupes budgétaires. À noter que de base, la prévention est déjà le parent pauvre de la politique suisse des quatre piliers et les moyens étaient déjà maigres. Le risque, c’est de voir les prévalences d’addictions augmenter dans la population, sans que l’on ne puisse bien les mesurer ni que l’on puisse réagir de manière appropriée. Au final, ce sont les personnes concernées, leurs proches et la société dans son ensemble qui vont supporter les coûts de cette politique.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
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