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Gøsta Esping-Andersen / Investir dans le social

Vendredi 22.10.2010

Pour le professeur Gøsta Esping-Andersen, chaque « dépense » qui permet à terme des gains sociaux doit être considérée comme un « investissement ». En septembre à Berne, un débat nourri a suivi son exposé. Compte rendu.

Par Jean-Pierre Tabin, professeur à la Haute école de travail social et de la santé EESP et à l’Université de Lausanne

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Selon Esping-Andersen, toutes les dépenses qui permettront à terme des gains sociaux devraient être considérées comme des investissements. Donner les conditions pour que les parents soient encouragés à faire des enfants, c’est investir socialement, puisque ces enfants seront plus tard producteurs de richesse. Permettre une bonne éducation, c’est également un investissement social, car de coûteux problèmes sociaux dans la jeunesse seront évités. Construire des crèches, c’est encore un investissement social, car elles vont permettre aux mères de participer plus largement au marché de l’emploi.

Gøsta Esping-Andersen soutient donc que les enfants doivent être considérés comme des biens publics. Partant du constat que le coût des enfants pour les mères est en augmentation, à cause des interruptions de carrières qu’ils impliquent, et relevant que le vieillissement des populations est un problème social important, il propose de développer des politiques permettant de réagir : congé parental de longue durée, crèches généralisées, etc. Selon lui, ces politiques sociales sont des investissements qui seront largement remboursés par la participation accrue des parents sur le marché de l’emploi, par le fait que les enfants se porteront mieux et qu’ils seront plus nombreux réduisant ainsi le vieillissement de la population. Soutenir la parentalité permet donc un retour sur investissement.

Deuxième orateur du jour, le professeur Giuliano Bonoli défend également cette idée, tout en relevant que le renforcement du capital humain que représente l’investissement dans l’enfance est difficile en Suisse. Il l’explique par des obstacles idéologiques, comme l’opposition à l’État ou le fait de considérer la famille comme une affaire privée. À ces obstacles idéologiques s’ajoutent des obstacles institutionnels, comme le fédéralisme. Il suggère en conséquence le développement d’une politique d’investissement social progressive, commençant par une discussion autour de la nécessité de favoriser la parentalité en vue du maintien de l’AVS.

La troisième oratrice du jour, la professeure Pascale Vielle de l’Université de Louvain relève que l’implémentation d’une politique d’investissement social n’est pas non plus assurée dans l’Union européenne. Partant du Traité de Lisbonne, elle constate que l’Union européenne compte bien désormais une clause sociale horizontale qui rééquilibre les finalités économiques du traité. La question est de savoir comment cette clause sociale va être appliquée et si elle permettra des investissements sociaux. Elle en doute. Si en effet le « triangle d’or » danois est promu en modèle – qui propose des politiques sociales généreuses, entremêlées de politiques actives de retour à l’emploi en échange d’une plus grande flexibilité accordée aux entreprises – les réformes actuelles dans l’Union européenne se concentrent sur la seule flexibilisation du marché de l’emploi au détriment de l’investissement social.

Le dernier orateur, le professeur Hans-Uwe Otto, de l’Université de Bielefeld, a sans doute été le plus critique par rapport à la notion proposée par Esping-Andersen. Relevant que parler d’investissement social, c’est jouer le jeu du marché, et donc nier les différences de classe pour se concentrer sur la seule productivité, il suggère de partir d’une approche plus qualitative basée sur les travaux d’Amartya Sen pour rompre avec cette logique économiciste. Il lui semble dès lors plus utile de réfléchir aux politiques sociales en fonction de ce qu’elles permettent plutôt qu’en fonction de ce qu’elles rapportent.

Un débat qui mérite d’être poursuivi.

Conférence donnée à Berne le 21 septembre 2010 dans le cadre d’une journée organisée par l’Association suisse de politique sociale