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Commentaire / « La différence des sexes » de Françoise Héritier

Mardi 31.08.2010

La Différence des sexes

Françoise Héritier, Ed. Bayard, Collection Les petites conférences, février 2010, 98 pages.

Commentaire par Marie-Pierre Dupont

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Quatre, peut-être cinq femmes à la tête de ce pays qui fut parmi les derniers au monde à leur accorder le droit de vote ? Alleluia. De là à parler d’avancée fulgurante et de partage du pouvoir, il y a un pas… toujours promptement franchi par ceux qui voient dans le féminisme un combat dépassé. Quand il n’est pas suspect aux yeux de certaines ayant pourtant largement bénéficié des luttes et conquêtes de leurs aînées. Ainsi la journaliste-présentatrice Marie Drucker déclarant que pour elle, « le féminisme s’apparente au sectarisme ». On lui suggère un petit retour aux fondamentaux, en compagnie de Françoise Héritier qui, à l’intention des enfants (dès 10 ans) éclaire toute la problématique de « La Différence des sexes ».

Mille ans de servitude

D’abord rappeler aux écoliers qu’une plus grande présence féminine au gouvernement n’entraîne pas, hélas, la fin des discriminations (professionnelles, salariales, domestiques, etc.) touchant les femmes. L’égalité c’est pour après-après-après-après demain et encore. Françoise Héritier rappelle ainsi que, selon de très sérieux chercheurs en économie, l’égalité salariale ne devrait pas être atteinte, en Europe, avant cinq cents ans. Et sur toute la planète ? Comptez trois à quatre mille ans.

« Filles et garçons ont les mêmes capacités cérébrales et leur cerveau fonctionne exactement de la même manière. »

Quant à l’égale répartition des tâches domestiques, le calcul des probabilités frôle l’éternité ! Selon l’OCDE, les femmes continuent d’en assurer 80% et consacrent deux fois plus de temps aux enfants que leurs pères. Ceux-ci ont fait des efforts visibles… comme la partie émergée de l’iceberg, car il s’avère qu’aux corvées quotidiennes, ils préfèrent les activités ludiques : emmener les enfants au cinéma, faire du sport, bricoler, etc. Sans compter qu’à partir de deux ou trois enfants, leur implication diminue nettement. Difficile de changer une répartition des rôles approuvée par la société et qui s’appuie sur un modèle de culture élaboré depuis des millénaires…

Moi Tarzan, toi Jane

A partir de ces constats, tout le talent de Françoise Héritier est de décrypter pour les enfants la mise en place de ce modèle de culture. En insistant sur le choix et le sens des mots. Exemples : « Etre différent ne veut pas dire inégal. Le contraire du mot différent est semblable. Le contraire d’inégal est égal et non pas semblable. La différence n’implique pas l’inégalité. » Précisions nécessaires à la compréhension de cette vérité première : « les différences physiques n’entraînent nulle hiérarchie, c’est le regard cognitif qui les exploite qui en extrait de l’inégalité ». Celle-ci relève donc de constructions mentales d’autant plus susceptibles de changer qu’elles n’obéissent à aucune nécessité naturelle.

Histoire d’inviter les filles à « refuser de se laisser inscrire dans un stéréotype comme dans un destin », notre anthropologue donne quelques exemples de formatage observés dans son travail. Ainsi, chez les Samo du Burkina Faso, quand un bébé mâle pleure, sa mère cesse immédiatement toute activité pour le nourrir. Si c’est une fille, on la laisse pleurer et attendre. Parce que, disent les mères « les garçons ont le cœur rouge, ils sont violents par nature et ne supportent pas la frustration », alors que les filles… autant leur apprendre la patience dès leur plus jeune âge ! Ainsi formate-t-on « deux « races » d’individus : l’une qui, par expérience directe s’attend à voir ses désirs satisfaits sur le champ, une autre qui attend qu’on veuille bien s’occuper d’elle et s’accoutume à la frustration. »

S’approprier la marmite

La culture, la culture… n’empêche que les premiers hommes ont tout de suite décidé que les garçons étaient plus forts que les filles, signale un élève. Résumons (beaucoup) la genèse : les hommes constatent vite que ce sont toujours les femmes qui font les enfants, non seulement des filles, à leur image, mais des garçons qui ne leur ressemblent pas. Puisqu’elles font des bébés toutes seules, à quoi servent donc les hommes ? A mettre la petite graine miraculeuse… Du coup, les femmes sont considérées comme « un matériau, une sorte de marmite » dans laquelle ils mettent les enfants ».

« A quoi servirait un monde où les femmes auraient le pouvoir et tiendraient les hommes en dépendance ? »

Le matériau féminin devient donc une ressource à gérer, « une matière première extrêmement précieuse, une monnaie d’échange pour faire les enfants et surtout les fils. Il faut donc qu’elles appartiennent aux hommes. A leur père d’abord. A leur mari ensuite. Les filles étaient donc privées de l’usage de leurs corps. Et cela est toujours vrai dans une très grande partie du monde ».

Privées, aussi de l’accès à l’éducation, au savoir qui pourrait susciter quelque rébellion, bref, la mise en tutelle des femmes tient à ce privilège « exorbitant et incompréhensible avec les moyens intellectuels et techniques dont disposait l’humanité jusqu’au XVIIIe siècle » : faire les enfants. Il faudra attendre le XXe siècle pour comprendre, avec la génétique, qu’ovules et spermatozoïdes président à toute naissance. Une découverte de dernière minute à l’échelle du temps historique…

Permission de tuer

A l’étonnement de beaucoup, Françoise Héritier n’use jamais du mot misogynie. Parce que dit-elle, le terme implique le fait de ne pas aimer, de rejeter les femmes. Or « la domination masculine peut très bien se faire avec des hommes qui aiment les femmes, celles qui sont douces, désirables et qui savent rester à “leur” place, celle de leur genre ». Elle refuse aussi de lier la notion du bien et du mal aux comportements des femmes et des hommes : les unes ne sont pas meilleures que les autres puisque c’est leur genre et non la biologie qui détermine leur attitude. La morale n’est pas affaire d’anthropologue. Les faits, rien que les faits… qui ne témoignent pas toujours de la supériorité humaine.

Quand on lui demande si nous ne sommes pas prisonniers de l’héritage de nos ancêtres les primates, le non fuse, catégorique. D’abord les primates sont situés sur d’autres lignes d’évolution. Et puis – elle tient à le souligner : « Nous n’avons jamais vu un mâle gorille s’en prendre à une femelle et l’occire. Ils se battent entre mâles. Nous sommes la seule espèce où les mâles tuent volontairement les femelles en raison de règles sociales édictées ou tacitement admises. »

Le propos est d’une actualité brûlante : le 9 août 2010, en Afghanistan, Bibi Sandar, 35 ans, veuve, enceinte et soupçonnée d’adultère a reçu, en public, deux cents coups de fouet avant d’être exécutée de trois balles dans la tête.

Marie-Pierre Dupont, journaliste, médiatrice de REISO