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Le projet «Tissons la toile : un modèle de coordination de proximité pour lutter contre l’isolement social des seniors» montre l’importance de l’échelon communal dans le maintien de liens sociaux pour les seniors.
Dans le contexte du vieillissement de la population et dans la perspective du maintien à domicile, le risque d’isolement social des seniors devient un enjeu prioritaire. Pour prévenir ce risque, il faut agir dans la proximité sur le lien social : le tisser, le renforcer et le maintenir pour faire société en impliquant l’ensemble des actrices et des acteurs concerné∙es.
Menée conjointement par la Haute école de santé et la Haute école de travail social de Genève, dans une volonté d’articulation santé-social, sur mandat et en partenariat avec la Plateforme du réseau seniors Genève, une recherche-action a eu comme objectif d’expérimenter, à l’échelle du quartier de Champel, des modalités de coordination de proximité afin de lutter contre l’isolement social des seniors. La force du dispositif se trouve dans l’intégration, aux côtés des professionnel∙les, des actrices et acteurs informel∙les du quartier qui détiennent une part essentielle de l’expertise de proximité (les commerces, le voisinage, etc.). L’originalité du projet réside dans la création d’un modèle de coordination portant spécifiquement sur la prévention et la lutte contre l’isolement social.
Le projet s’inscrit dans un contexte genevois particulièrement propice. La lutte contre l’isolement social ne peut être menée et dupliquée qu’à une échelle locale, comme celle d’un quartier où les actrices et les acteurs de proximité peuvent s’identifier, tisser des partenariats et des liens de confiance durables et finalement se coordonner. Menée durant deux ans, la recherche montre l’importance de partir du local et de l’existant, car chaque quartier bénéficie d’une riche offre d’actions, de prestations, d’actrices et d’acteurs qui lui est propre. Par conséquent, l’échelon communal est identifié comme le niveau idéal pour pouvoir agir dans la proximité : la commune est experte de son territoire, elle connaît ses habitant∙es et les accompagne dans toutes les étapes de la vie.
(Source : HETS-GE)
En savoir plus (rapport de synthèse et rapport complet de la recherche action)
L’économiste anglaise et autrice Kate Raworth a parlé de son modèle du «donut» le 19 février dernier à l’Université de Lausanne. Retour sur une soirée aux réflexions incontournables pour assurer le «vivre ensemble» futur.
Par Jean Martin
Le modèle du « Donut » développé par Kate Raworth entend assurer pour tou·tes une existence digne, située entre un plancher social indispensable, répondant aux besoins fondamentaux, et un plafond déterminé par la durabilité écologique. Dans l’activité d’une société, il s’agit donc de respecter les limites planétaires pour ne pas dépasser ce plafond.
Le 19 février, l’économiste anglaise a tenu une conférence à l’Université de Lausanne, dans le cadre de la série de conférences Dubochet. Joignant les actes à la parole, Kate Raworth a présenté par vidéo, évitant ainsi un vol supplémentaire, un exposé novateur, éclairant. L’éloignement n’a rien enlevé à la vivacité du propos de cette personnalité charismatique, sérieuse et souriante, ni au débat qui a suivi. Pour cette deuxième partie, Camille Gilloots, du Centre de compétences en durabilité de l’UNIL, et Julia Steinberger[1], une autrice principale du dernier Rapport du GIEC, étaient également conviées.
L’autrice de l’ouvrage La théorie du donut : l’économie de demain en 7 principes [2] insiste sur l’importance de remplacer le sacro-saint PIB comme étalon de la performance économique, dont elle souligne l’inanité dans les circonstances actuelles [3]. Comme le modèle (néo-)libéral dont il est issu, le PIB — qui comptabilise comme productives, par exemple, les ressources dédiées à la limitation et au traitement des pollutions et autres externalités négatives de l’activité humaine — ne répond pas aux exigences de transparence et surtout de pertinence de notre temps anthropocène. Kate Raworth fustige le fait que la grande majorité des Facultés d’économie et Business Schools restent accros aux lois du marché à l’ancienne, au mantra de l’offre et de la demande, alors qu’il s’agirait de les revisiter en fonction du « donut ». Contre-proposition à la pensée dominante, l’autrice de 53 ans parle de son modèle comme d’une « boussole pour la prospérité ».
À propos des échanges dans un monde globalisé, elle évoque l’« esclavage moderne importé », avec notre exploitation des ressources, humaines et d’autres natures, par rapport au pays du Sud, exploitation qui ne donne pas suffisamment d’attention à l’empreinte carbone liée à ce phénomène. À ses yeux, l’unique mandat de l’économie devrait d’être au service des humains et des sociétés. Face aux doctrines économiques (qui sont une science humaine !) basées pour une part sur des croyances, il importe de prendre conscience que nos façons de penser et cadres de référence ont été formatés par les théories et pratiques du siècle dernier. Son credo : « Nous devons mettre en place un dispositif économique pour le XXIe siècle ».
L’oratrice revendique une société qui avance sur plusieurs fronts vers des modalités de « gouvernance et prise de décisions participative », moyens alternatifs et complémentaires aux rouages de la démocratie parlementaire. Elle cite la mise en place d’Assemblées citoyennes, qui apportent des éclairages différents sur les problématiques qui leur sont soumises, permettant de sortir du cadre (think out of the box), comme l’a montré en France la Convention citoyenne sur le climat. Une expression revient à plusieurs reprises : « Nous voulons de nouvelles manières d’être et de faire qui soient “régénératives’ », c’est-à-dire résilientes et susceptibles de se renouveler sans épuiser les ressources.
En fin de soirée, ce 19 février à Lausanne, ont été présentées les démarches pratiques de l’UNIL dans le sens du donut, pour répondre à la question « Comment guidons-nous toute une communauté académique sur le chemin d’un lieu de vie juste et sûr ? ». L’institution lausannoise a mentionné la création de son Assemblée de la transition, composée de soixante personnes tirées au sort dans la communauté universitaire, qui a siégé un an. Rendu en septembre 2023, son rapport [4] détaille 28 grands objectifs et 146 pistes d’action. (https://wp.unil.ch/assemblee-transition/le-rapport/). Aux côtés de nombreuses initiatives à l’international promouvant le donut dans des milieux et contextes divers, l’économiste anglaise a jugé très encourageant ce qui se fait à Lausanne.
[1] Kate Raworth a d’ailleurs fait référence aux travaux majeurs de Julia Steinberger et de ses collègues sous le titre « Living Well Within Limits ».
[2] Kate Raworth, La théorie du donut : l'économie de demain en 7 principes, Ed. Plon, 2018, 432 pages
[3] Elle suit ainsi Robert F. Kennedy, précurseur qui, peu avant son assassinat en 1968, avait vivement critiqué le PIB : « Pourtant, le produit national brut ne permet pas d'assurer la santé de nos enfants, la qualité de leur éducation ou la joie de leurs jeux. Il n'inclut pas la beauté de notre poésie, l'intelligence de notre débat public. Il ne mesure ni notre esprit, ni notre courage, ni notre sagesse, ni ce que nous apprenons. Il mesure tout en somme, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ».
[4] Lire le rapport de l’Assemblée de la transition de l’UNIL
Les stigmatisations dont restent victimes les mères travailleuses du sexe sont nombreuses. Carine Maradan, collaboratrice scientifique du réseau national de défense des droits et intérêts des travailleur·se·x·s du sexe, décrypte les enjeux.
[1] a publié un magazine sur le travail du sexe et la maternité. Dans ce numéro, la stigmatisation dont les femmes travailleuses du sexe (TdS) font l’objet est pointée à plusieurs reprises. Pourquoi l’inconscient collectif considère, encore aujourd’hui, qu’une travailleuse du sexe ne peut pas être une bonne mère ?
(REISO) Carine Maradan, en fin d’année dernière, ProCore(Carine Maradan) Comme l’explique la chercheuse Giovanna Gilges, les images de la « sainte » et de la « putain » sont diamétralement opposées dans nos imaginaires, empreints de religion et de morale. Dans la même idée, une femme ne peut pas être à la fois « mère » et « putain ». Les stéréotypes en lien avec le travail du sexe ont la vie dure. La vision que la société a du travail du sexe est souvent très limitée : une femme qui travaille la nuit dans un « bordel », qui consomme de l’alcool et des drogues. On n’attribue généralement pas aux TdS la capacité de s’organiser et le sens des responsabilités. Je me rappelle d’une femme qui me disait qu’elle était plus présente et disponible pour sa famille en travaillant dans la prostitution qu’en faisant des ménages. Ces propos restent encore difficilement acceptables pour une majorité. À cause du stigmate de la « pute », il est impossible d’être vue comme une « bonne mère ».
Dans une interview, une travailleuse du sexe bulgare parle de l’image qu’elle souhaite donner à sa fille, et de la façon dont elle veut la protéger de ce qu’elle vit par son travail. Est-ce que leur travail et les représentations qui y sont liées sont une pression importante qui pèse sur les épaules de ces femmes ?
Vraiment. La stigmatisation est souvent intériorisée. Des TdS ont honte d’exercer cette profession qui leur permet pourtant de vivre et de subvenir aux besoins de leurs proches. Elles vivent avec la peur d’être « outée » sur internet ou dans l’espace public. La révélation de leur activité peut avoir de graves conséquences pour elles comme la perte de leur logement ou même de la garde de leurs enfants.
Certaines témoignent avoir commencé le travail du sexe après la naissance d’un·e enfant, afin de pouvoir subvenir à ses besoins. Est-ce une situation fréquente ?
Il est difficile de répondre à cette question. Nous n’avons pas de données statistiques, mais comme pour toutes les autres femmes, subvenir aux besoins de ses enfants est une des motivations des TdS à avoir un travail rémunéré. Des personnes choisissent le travail du sexe comme projet temporaire. D’autres car elles n’ont pas beaucoup d’autres options sur le marché par manque de formation, d’expérience professionnelle ou de réseau en Suisse, à cause de leur situation administrative ou leur statut de mère célibataire… Toutes les situations personnelles sont bien entendu différentes.
Le travail du sexe est à la fois une cause, une conséquence et un risque de pauvreté pour les femmes.
Vous soulevez la question de la précarité de ces mères, très souvent issue de la migration. Pourquoi les travailleuses du sexe migrantes sont-elles particulièrement concernées par la pauvreté ?
De manière générale, les femmes migrantes sont surreprésentées dans la population précaire. De plus, les TdS migrantes sont victimes de discriminations multiples liées au sexisme, au racisme, au classisme et à la putophobie. Leur accès à des prestations sociales, aux soins et à la justice s’avère difficile malgré le soutien d’associations spécialisées. Si elles ne sont pas hautement qualifiées, elles ne sont susceptibles de trouver du travail que dans des secteurs mal payés comme le travail du care, le nettoyage ou encore le travail du sexe. Comme mentionné dans le magazine, le travail du sexe est à la fois une cause, une conséquence et un risque de pauvreté pour les femmes.
Une chercheuse évoque les difficultés que rencontrent ces personnes lorsqu’elles se séparent, faisant face aux préjugés de juges souvent « paternalistes et sexistes ». En tant que Réseau national pour les droits des travailleur·se·x·s du sexe, entendez-vous mener des actions pour faire évoluer les mentalités ?
Un de nos objectifs 2024 est justement de développer des lignes directrices contre la stigmatisation des TdS à l’attention des autorités (santé, justice, police, migration, etc.). Des TdS participeront à des ateliers pour apporter leurs expériences et leur expertise. Lors de la publication de ce guide, nous proposerons des temps de sensibilisation aux administrations. Nous espérons que le milieu judiciaire sera sensible à notre offre.
Finalement, le magazine se concentre sur les mères travailleuses du sexe, et ne parle pas de la question de pères travailleurs du sexe. Est-ce parce qu’ils n’existent pas ?
Ils existent, mais sont minoritaires. Nous avons fait le choix rédactionnel de mettre en lumière les mères pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, le souci parental et le travail du care incombent encore majoritairement aux femmes. Des enjeux spécifiques sont liés aux conditions de vie et au statut de mère célibataire. Finalement, nous trouvions important de relayer des voix féminines rarement entendues dans l’espace public et médiatique comme celle d’une mère TdS avec un parcours migratoire.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
Lire le magazine « Travail du sexe ; La mère, la sainte et la putain », ProCoRe, 2023, 24 pages
[1] ProCoRe est le réseau national qui défend les droits et les intérêts des travailleur·se·x·s du sexe en Suisse. Association d’utilité publique, basée sur les droits humains, politiquement et confessionnellement neutre, ProCoRe s’engage pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleur.euse.x.s du sexe et lutte également contre l’exploitation, la traite des êtres humains et la stigmatisation du travail du sexe. Elle reconnaît le travail du sexe comme un fait social et comme un travail.
Dans son premier bulletin de l’année, l’Académie suisse des sciences médicales s’intéresse à l’apport de l’intelligence artificielle (IA) dans la pratique de la médecine, et plus particulièrement en oncologie.
« ll existe (...) des domaines de la médecine dans lesquels le besoin d’assistance par l’IA pour le traitement des données est déjà élevé, et où les capacités humaines ne suffisent plus. » Ces propos d’Andreas Wicki, de l’Université de Zurich, figurent dans un article publié dans le premier bulletin de l’année de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM). L’oncologue y décrypte les apports actuels de l’intelligence artificielle à la pratique de la médecine, notamment là où de nombreuses données doivent être traitées, à l’image de la radiologie et de la génétique, en plus de l’oncologie.
Détaillant d’abord les développements scientifiques engendrant une explosion des données disponibles en cancérologie, le professeur estime que « sans IA, nous ne pourrons pas progresser dans ce domaine à une vitesse raisonnable. Nous devons réfléchir aux instruments d’IA les plus utiles, parmi la palette disponible, pour développer peu à peu des modèles prédictifs qui permettent de prendre des décisions thérapeutiques basées sur des données et des règles. » Puis de mentionner les défis à relever : « Quel que soit l’usage fait de l’IA en oncologie, nous devons prouver par des méthodes scientifiques robustes que son utilisation améliore le sort des patient.e.s atteint.e.s d’un cancer ».
Si le traitement à proposer à un·e personne malade sera toujours plus personnalisé grâce à l’aide de l’IA, il n’est aujourd’hui pas question de laisser à une machine quelque aspect thérapeutique décisionnel. Andrea Wicki précise : « En ce qui concerne le choix thérapeutique, je me suis (...) toujours imaginé que nous allions passer de directives rigides, établies à partir d’études particulières pour toute une population de patient.e.s, à des prédictions dynamiques, basées sur des études et des données, et conçues pour chaque patient.e de manière individuelle. »
Le deuxième article de ce bulletin qui aborde la thématique présente ce que le Swiss Personalized Health Network (SPHN) a mis en place pour constituer une « base solide pour les développements émergents de l’IA dans le domaine de la recherche et des soins médicaux ». Ce texte attire notamment l’attention du lectorat sur le fait que « la qualité des modèles d’IA et la pertinence de leurs résultats ne sont que le reflet de la qualité des données mises à disposition de l’algorithme pour son entraînement. »
FInalement, dans son édito, Henri Bounameaux, président de l’ASSM, insiste sur la nécessité de s’emparer des questions et défis liés à l’IA, quels que soient les termes choisis par certain·es pour décrire l’outil (intelligence augmentée plutôt qu’artificielle). Une réflexion sur l'usage de ces machines est aujourd’hui impérative, « ne fût-ce que pour désarmer les craintes de ceux qui anticipent la prise de pouvoir des robots sur l’homme. » L’ancien doyen de la faculté de médecine de l’Université de Genève conclut par un constat général : « L’IA sera ce que nous en ferons. Une évolution avec ses aspects positifs comme (...) en oncologie, et négatifs comme son impact sur l’environnement, son intrusion dans la sphère privée et les risques avérés de son utilisation criminelle (...) »
(Céline Rochat)
Voir le bulletin de l'ASSM 01/2024 contenant l'article « L’intelligence artificielle en oncologie: son potentiel pour le choix des thérapies »
Un ouvrage collectif s’interroge sur les normes morales qui guident l’intervention sociale contemporaine, en se basant sur des recherches sociologiques menées dans différents domaines et contextes nationaux.
(REISO) Jean-Pierre Tabin, l’ouvrage que vous avez contribué à diriger porte sur « la nouvelle morale de l’intervention sociale ». Sur quoi se base cette « nouvelle morale » ?
(Jean-Pierre Tabin) À l’origine, la politique sociale reposait sur la charité et la compassion. Elle s’appuie aujourd’hui sur de nouvelles normes morales qui se réfèrent parfois au bien commun, parfois à la justice sociale, ou encore à la réduction des inégalités, à la dignité, etc. À partir de ce constat, la question que nous nous posons dans ce livre est de savoir comment ces nouvelles normes morales sont appropriées ou réinterprétées par le personnel du travail social et de l’intervention sociale.
Au terme des recherches contenues dans ce recueil, quels sont les nouveaux défis auxquels l’intervention sociale doit faire face ?
Les analyses proposées dans les quatorze chapitres de ce livre montrent que les personnes en charge de l’intervention sociale ne sont pas toujours en accord avec les normes morales imposées, ni entre elles, ni sur le plan de la légalité, ni avec les institutions pour lesquelles elles travaillent. Les chapitres documentent plusieurs défis : l’impossibilité d’effectuer un travail en adéquation avec les normes morales de l’institution qui les mandate, l’existence de normes contradictoires, ou de normes en opposition avec les valeurs du travail social, etc.
Les politiques sociales à éviter sont celles qui remettent en question le sens du travail effectué, obligent à des bricolages individuels ou collectifs.
Les textes compilés dans ce livre sont issus de recherches menées dans des contextes nationaux très diversifiés. S’il fallait retenir les points forts de l’une ou l’autre politique pour créer une « politique sociale idéale », quels éléments prendriez-vous où ?
Les contextes sont variés, puisque les recherches non seulement se déroulent dans des contextes nationaux différents (France, Suisse, Canada, Maroc), mais encore dans des domaines très différents de l’intervention sociale (vieillesse, enfance, sans-abrisme, services scolaires, chômage, etc.). Les politiques sociales à éviter sont celles qui remettent en question le sens du travail effectué, obligent à des bricolages individuels ou collectifs, parfois en marge de la légalité, et conduisent à l’épuisement professionnel faute de pouvoir penser l’action de manière cohérente.
Vous concluez la présentation de cet ouvrage par l’affirmation : « ce livre invite à ne pas conclure trop vite sur l’émergence d’une nouvelle morale de l’intervention sociale, mais à prendre en compte les tensions normatives et les dilemmes pratiques qu’elle rencontre aujourd’hui. » Quels sont les éléments à lever pour qu’émerge cette nouvelle morale de l’intervention sociale ?
Il paraît plus précis de s’interroger sur les normes morales en tension et leurs métamorphoses, ainsi que sur les rapports de domination qui font que certaines s’imposent au détriment d’autres. Lorsque ces normes entrent en contradiction avec la pratique, il y a des tensions. La non-prise en compte des normes morales des publics concernés est un autre problème qu’il faudrait reconnaître, car c’est une dépossession de la capacité individuelle à décider quel est son propre intérêt.
(Propos recueillis par Céline Rochat)
« La nouvelle morale de l’intervention sociale et ses apories ». Maryse Bresson, Yvette Molina, Jean-Pierre Tabin (dir). L’Harmattan, 2024, 252 pages
Créé en France par plusieurs associations engagées dans la prévention et les addictions, un guide vise à compléter la «boîte à outils» des professionnel·les qui travaillent avec des personnes âgées consommant de l’alcool.
Démystifier les préjugés sur la consommation d'alcool et informer sur les réactions à éviter ; Repérer les risques prioritaires ; Adopter les bons réflexes pour sécuriser une situation ; Identifier les ressources et les dispositifs en addictologie sur lesquels s'appuyer : ces quatre objectifs sont ceux visés par la publication du manuel « Intervention auprès des personnes âgées consommatrices d'alcool dans une perspective de Réduction Des Risques (RDR) ». Si le quatrième but ne s’avère que peu utile au lectorat suisse (les ressources figurant dans le guide sont logiquement situées en France), le reste du contenu représente des informations pertinentes également pour les professionnel·les suisses romand·es.
Non voué à se « substituer » aux spécialistes en addictologie, ce document vise à permettre aux professionnel·les qui interagissent quotidiennement avec les personnes âgées et/ou leurs proches aidant·es de se familiariser avec les outils suggérés, dans le cadre d'une approche de réduction des risques liés à l'alcool et d'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées.
Créé en collaboration entre diverses associations actives dans le domaine de la vieillesse et de la prévention, ce manuel se base sur les nouvelles recommandations de la Haute autorité santé « Prévention des addictions et Réduction des Risques et des Dommages (RdRD) dans les ESSMS », publiées en novembre 2022.
En complément au manuel, une « fiche repère pour l'intervention auprès des personnes consommatrices d'alcool dans une logique de réduction des risques » est également disponible, offrant une sensibilisation à l'approche générale de réduction des risques liés à l'absorption excessive de boissons alcoolisées.
(CROC)
Voir le manuel « Intervention auprès des personnes âgées consommatrices d'alcool dans une perspective de Réduction Des Risques (RDR) ». France, 2023,19 pages
Voir la fiche repère pour l'intervention auprès des personnes consommatrices d'alcool dans une logique de réduction des risques
Dans un rapport paru aujourd'hui, Unisanté met en évidence une vision fragmentée de la santé dans le système de gouvernance actuelle. Forte de ces conclusions, l'ASSM plaide pour l'élaboration d'une loi fédérale sur la santé.
L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), qui a élaboré plusieurs prises de position en faveur d’un système de santé suisse plus durable, a mandaté Unisanté pour conduire des travaux d’analyse de la gouvernance du système de santé suisse, évaluer la pertinence d’une loi fédérale sur la santé et faire des propositions de contenu. Unisanté s’est appuyé sur un modèle d’analyse de la performance des systèmes de santé proposé par l’Observatoire européen des systèmes et politiques de santé, ainsi que sur un avis de droit de l’Institut de droit de la santé de l’Université de Neuchâtel. Un soutien complémentaire de la Fondation Leenaards a permis de réaliser deux ateliers de travail, dans le but d’enrichir le contenu du mandat par des interactions avec des scientifiques et des acteurs du système de santé de toute la Suisse.
Globalement performant, le système de santé helvétique fait face à de nombreux défis. Des actions concrètes sont déjà nécessaires et deviendront de plus en plus urgentes dans les années à venir pour répondre à ces challenges : citons le vieillissement démographique, la digitalisation, la pénurie de professionnel·les, la garantie de l’accès aux soins, la maîtrise des coûts ou encore les enjeux de durabilité.
Les travaux montrent que la gouvernance actuelle du système de santé suisse dilue les responsabilités auprès de nombreux acteurs. Elle n’offre pas le cadre nécessaire pour garantir que les parties prenantes s’accordent sur des objectifs communs répondant aux besoins en santé de la population et œuvrent à leur réalisation. Le pilotage du système de santé est ainsi de plus en plus questionné, laissant la place à un sentiment de perte de maîtrise et d’un système devenu difficilement gouvernable.
Autres constats, la Constitution fédérale aborde la santé de manière fragmentée et le plus souvent sous l’angle des soins et de la maladie. Témoin des évolutions sociétales et de l’évolution de la médecine, elle a été enrichie au fil du temps par de nouveaux articles, parfois issus d’initiatives populaires. Ce morcellement se traduit actuellement dans un cadre légal en silos thématiques, qui ne permet pas d’appréhender globalement les grands enjeux de santé à venir. Notre système de santé continue d’être principalement régulé par une loi fédérale sur l’assurance-maladie, aucun autre texte légal ne permettant d’ancrer une vision plus large de la santé. Les conséquences directes sont un manque de considération des enjeux majeurs de promotion de la santé et de prévention, et un système qui investit en majorité dans la maladie.
Si la santé est constitutionnellement de compétence cantonale, l’analyse montre en réalité un important enchevêtrement des attributions fédérales et cantonales. La question de la bonne articulation des compétences entre les différents niveaux décisionnels se pose et l’organisation actuelle ne permet pas de nommer clairement les responsabilités de pilotage. Les travaux dévoilent d’autres limites, notamment des mécanismes de participation à la gouvernance déséquilibrés : certains groupes d’intérêts disposent de beaucoup plus de pouvoir que d’autres et des associations de patient·es ou de consommateur·trices ne pèsent qu’un faible poids. Enfin, le rapport pointe l’insuffisance du système d’information qui ne permet pas suffisamment de produire des données utiles à la prise de décisions éclairées.
Dans le contexte actuel, le pilotage du système de santé parait bloqué et dans l’incapacité d’entamer les travaux de fond nécessaires à son adaptation. La gouvernance devrait être revue afin de la rendre plus cohérente et permettre la mise en œuvre d’un système de santé plus durable, capable de répondre aux besoins croissants de santé de la population. La santé devrait être appréhendée de manière globale, en considérant tant la promotion de la santé et la prévention, que les soins.
Selon les résultats du rapport, la proposition faite par l’ASSM, à savoir l’élaboration d’une loi fédérale sur la santé, prend tout son sens et offrirait un cadre adéquat pour établir les futures politiques de santé. Pour être mise en œuvre, l’option d’une modification de la Constitution fédérale parait la plus pertinente. Désormais, l’étude réalisée offre un cadre de réflexion précis sur la gouvernance du système de santé suisse, avec l’espoir de susciter une réflexion politique dans le cadre des réformes de fond indispensables à mener.
(Source : communiqué de presse)
Lire le rapport «Analyse de la gouvernance du système de santé suisse et proposition d’une loi fédérale sur la santé »
En comparaison internationale, la durée de l’allaitement est courte en Suisse. Quelles conditions le favorisent et quels sont ses bienfaits pour le nourrisson, la mère, ainsi que l’ensemble de la société ? Un rapport fédéral fait le point.
Nombre de mères et de spécialistes en médecine sont conscient·es des bienfaits de l’allaitement sur différents plans. Dans la réalité quotidienne toutefois, il n’est pas rare que l’allaitement ne soit pas possible ou (trop) rapidement plus possible pour des raisons extérieures au noyau familial. C’est le cas notamment si une mère qui a repris une activité rémunérée n’est pas soutenue par son employeur ou s’il n’est financièrement pas supportable de consacrer de nombreuses heures à l’allaitement maternel au détriment d’une autre activité.
Convaincues que les avantages de l’allaitement dépassent le seul cadre de la famille, les autrices du policy brief récemment paru, L’allaitement concerne toute la société, formulent plusieurs recommandations. Sonja Merten, membre de la Commission fédérale pour les questions familiales (COFF), et Jordyn Wallenborn, toutes deux de l’Institut tropical et de santé publique suisse, préconisent de faciliter l’allaitement au travail et dans les lieux publics, ainsi que le développement d’une stratégie de communication nationale pour informer les parents, les employeurs et la société en matière d’allaitement maternel et en améliorer l’acceptation. Dans l’objectif de disposer de données exhaustives, elles invitent également à collecter des données auprès de la population au moins tous les cinq ans.
Afin qu’il soit possible de suivre les recommandations en faveur de l’allaitement exclusif, elles invitent à introduire un congé parental de plusieurs mois avec prolongation du congé de maternité.
La COFF est une commission indépendante consultative qui s’engage pour des conditions favorables aux familles. En tant que commission spécialisée, elle fournit aux autorités politiques et administratives des connaissances spécifiques sur la politique familiale. Elle publie régulièrement des policy briefs sur des sujets d’actualité importants pour la vie des familles.
(Source : communiqué de presse)
Portée par des associations engagées pour l’enfance, Kidimo est une application ludique conçue en collaboration avec les principaux et principales concernées. Un outil utile pour mieux les sensibiliser à des thèmes parfois complexes.
Les enfants connaissent-ils et elles la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée en 1989 à New York, ainsi que les lois qui les protègent ? Pour donner accès aux plus jeunes au contenu de ces textes qui les concernent, une soixantaine de chercheur·euses et des représentant·es de différentes associations suisses [1] ont élaboré l’application Kidimo.
Ce jeu interactif, codéveloppé avec la participation de 170 enfants âgés de 7 à 13 ans durant un projet de trente mois, passe en revue trois mondes graphiquement différents : celui de la protection, celui de l’encouragement et celui de la participation. Dans chacun de ces univers, le·la joueur·euse crée un avatar personnalisé et résout des quiz, répond à des questions, ou cherche des situations qui vont à l’encontre de ses droits, entre autres. Il ou elle gagne ainsi des points et progresse dans le monde choisit.
Par exemple, un questionnaire à choix multiples demande quels sont les droits fondamentaux des mineur·es. « Avoir le dernier iphone ou ne pas être exclu·e » ? « Manger des kebabs tous les jours ou dormir dans un lit » ? L’ensemble des phases du jeu est disponible en français, en italien et en allemand.
Certaines étapes proposées par l’application sont assez simples, mais d’autres nécessitent une réflexion, voire une discussion avec un adulte pour approfondir le sujet.
Kidimo est aussi prévu pour les écoles et pour les professionnel·les de l’enfance. L’équipe de projet interdisciplinaire a en effet publié en complément des indications sur la manière dont l’application peut être utilisée dans le contexte scolaire, dans le travail en milieu ouvert avec les enfants ou par les professionnel·les de la protection de l’enfance. Par ailleurs, un guide pratique destiné à aider d’autres organisation à imaginer des offres pour et avec les enfants a été conçu.
(Yseult Théraulaz)
Voir le matériel d’accompagnement
[1] Kidimo a été initié par la Haute école spécialisée de Suisse orientale, par la Haute école pédagogique de Lucerne, par UNICEF Suisse et Liechtenstein. De nombreux·ses partenaires y ont contribué, parmi lesquel·les Pro Juventute, l’Office de l’Ombudsman des droits de l’enfant Suisse, Terre des Hommes Suisse, Integras, éducation21, PACH Pflege- und Adoptivkinder Schweiz, Procap et Pro Infirmis.
Les aléas liés au cycle menstruel restent peu pris en considération dans les milieux professionnels. Trois questions à Aline Boeuf, autrice et doctorante à l’Institut de recherches sociologiques de l’Université de Genève.
[1]. Vous êtes donc partie du principe que de nos jours, ce thème est encore peu ou pas abordé en public ?
(REISO) Aline Bœuf, votre livre s’intitule « Briser le tabou des règles »(Aline Boeuf) Lorsque j’ai commencé mes recherches, en 2019, j’avais en effet cet a priori, du moins en ce qui concerne le monde du travail. Mon livre s’intéresse aux menstruations comme un fait social et à la façon dont il est perçu dans le milieu professionnel. J’ai alors constaté que l’on peut parler des règles au travail soit sous forme de blague entre collègues, soit avec son ou sa responsable si la femme connaît un problème de santé lié à cette période du mois. En revanche, les menstruations ne sont jamais abordées comme un fait qui doit être pris en considération par les dirigeant·es et pour lequel des mesures devraient être mises en place.
Des mesures comme le congé menstruel que l’Espagne a adopté en 2023, ou, plus récemment, les villes de Fribourg et d’Yverdon-les-Bains ?
Pas uniquement. Le congé menstruel ne devrait être qu’une solution parmi d’autres. Avant même de penser au monde professionnel, il faudrait améliorer l’éducation dans les écoles et dans les milieux de la formation. Ensuite, il est important également d’effectuer des démarches de sensibilisation auprès des entreprises et de la société. Lorsqu’un directeur ne sait pas ce qu’est l’endométriose et ses conséquences sur la santé d’une employée touchée, comment peut-il comprendre ses difficultés et mettre en place des mesures adaptées ? La répartition des informations sur le cycle menstruel est encore trop genrée. Les hommes devraient aussi être informés et ainsi mieux comprendre ce que vivent les femmes autour d’eux.
En proposant des congés spéciaux ou des assouplissements aux employées dont les règles sont particulièrement handicapantes, existe-t-il un risque supplémentaire de stigmatisation des femmes actives ?
Les effets négatifs pour le corps et l’esprit des variations hormonales auxquelles les femmes sont sujettes, et donc également la période des règles, sont clairement influencés par l’environnement. En permettant à celles qui en ont besoin de réduire leur stress, de leur allouer des moments de repos, voire une salle pour pouvoir s’allonger un moment, les entreprises auraient des employées en meilleure santé. D’un point de vue strictement économique, cela augmenterait leur productivité.
(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)
Six pistes d'actions pour faire évoluer les mentalités
Issu d’une enquête menée durant trois ans, Briser le tabou des règles explore de manière étendue la question des menstruations, que chaque femme « connaît en moyenne pendant plus de six années, en temps cumulé », comme le rappellent Zoé Marsaly et Gisou van der Goot dans la préface de l’ouvrage.
Explorant les règles comme un « fait social », puis s’interrogeant plus particulièrement sur la relation entre règles et monde professionnel, Aline Bœuf enrichit son analyse de nombreux témoignages. Avant de plonger dans le chapitre « Vivre ses règles au travail », l’autrice lit le « corps féminin » à travers le prisme des menstruations, puis consacre quelques pages aux premières années du cycle menstruel, de l’avant des ménarches au vécu d’une adolescence rythmée par l’écoulement mensuel de sang.
La question du congé menstruel est notamment discutée dans le chapitre sur les règles dans le milieu professionnel, puis réabordée dans une optique de déconstruction d’un tabou. Dans ses entretiens, Aline Bœuf a interrogé ses témoins sur les remarques ou « blagues » sexistes qu’elles auraient pu rencontrer, à l’image de la fameuse et tristement sexiste question « Qu’est-ce que t’as ? t’as tes règles ? ». Et à ce sujet, l’autrice indique que, de manière générale, les menstruations, douleurs et syndromes prémenstruels « ne sont plus la cible de moqueries, mais des événements pouvant être vécus, si ce n’est sans, en tout cas avec moins d’appréhension. Les remarques ou blagues sexistes ont donc tendance à se faire plus rare dans l’espace professionnel » (p. 112). Cependant, dans les paragraphes intitulés « Un tabou qui persiste », la doctorante relève que : « Il est encore admis aujourd’hui que les menstruations ne devraient pas être évoquées ouvertement, notamment avec des hommes. » (p.104)
L’autrice consacre un chapitre entier à cette nécessité de « Déconstruire le tabou », qui passe selon elle et comme elle le mentionne dans l’interview donnée à REISO, par une meilleure éducation à la santé sexuelle. Elle cite aussi la lutte contre la précarité menstruelle, la libération de la parole en ligne et dans les librairies, ainsi qu’une nécessaire posture bienveillante des professionnel·les de la santé aux mesures visant à ouvrir les esprits. Elle insiste encore sur le fait que casser ce tabou passe également par une autre implication des hommes, qui doivent être inclus dans les conversations portant sur les règles « et plus largement sur la santé sexuelle et la contraception. (...) Ces représentations (notamment dans les films et les séries où les hommes ne sont jamais impliqués dans ces sujets, ndlr) ont des effets néfastes : elles perpétuent l’idée qu’il est normal de considérer que la santé des femmes ne concerne pas les hommes et que ces derniers n’ont donc pas à s’impliquer dans ces questions » (p. 157) Et Aline Bœuf d’interpeler directement les hommes, pour les inviter à se questionner et s’informer sur les enjeux liés au cycle menstruel.
En conclusion du résultat de son enquête, la chercheuse énonce six actions à relever « pour briser le tabou des règles », dont le congé menstruel, qui « est bien plus qu’une mesure socialement et médicalement efficace. Il est également symbolique et politique (...) ». Des mesures qui, en réalité, portent sur de plus larges enjeux liés à la place des femmes, aujourd’hui, dans la société occidentale.
(Céline Rochat)
[1] « Briser le tabou des règles », Aline Bœuf, Lausanne, EPFL press, septembre 2023, 192 pages
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