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«Volutionner» le monde…

Jeudi 09.04.2020
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Les technologies ont-elles pour fonction de rendre les gens heureux ? Auraient-elles au moins l’objectif de faciliter nos existences ? Dans ce texte personnel, à la fois documenté et subjectif, l’auteur invite à réfléchir à leurs richesses oubliées.

Par Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs, maître d’enseignement et de recherche en section de français, Université de Lausanne

Je ne surprendrai personne en affirmant que les nouvelles technologies ont pris possession, subrepticement, de tous les interstices de notre vie quotidienne [1]. Nous pratiquons en effet, parfois avec excès, mais sans nous en rendre vraiment compte, les GPS, les ordinateurs, les smartphones, les consoles de jeux, les assistants personnels, les plateformes de e-commerce, les robots multifonctionnels, mais aussi la réalité virtuelle, les intelligences artificielles ainsi que toutes ces technologies nommées « médicaments » qui, en leur qualité de produits de synthèse, ressemblent, dans leur mode de fabrication, aux dispositifs technologiques. Ces technologies, et toutes celles qu’il serait trop fastidieux de citer ici, nous en usons – et abusons – avec une allégresse stupéfiante, intimement convaincus que les discours marketing qui en vantent les mérites ne sont pas d’abord en recherche d’une plus-value financière, mais orientés, parfois avec sincérité, vers notre confort et notre bonheur. Nous ne consommons pas la technologie paraît-il, nous profiterions simplement de ses bienfaits.

Or, à bien regarder le comportement des gens dans un métro ou dans un train aux heures de pointe, il me semble délicat d’imaginer, en toute honnêteté, que ces technologies ont pour fonction première de nous rendre heureux ou de faciliter nos existences. La position recroquevillée des utilisateurs de smartphones, la réduction de leur corps à deux doigts, les sourires échangés avec un écran obstruant la relation à l’autre, les mouvements frénétiques et las d’un défilement, vertical pour Facebook, horizontal pour Tinder, me semblent davantage être à considérer comme des symptômes d’un mal-être anthropologique que comme les preuves d’un épanouissement individuel.

Irréfléchi et dépendant

Que le lecteur me comprenne bien. Il n’est pas question de fustiger les technologies ou de les rendre responsables de tous nos maux. Cette position est aussi inepte que réductrice. Mais plutôt d’insister sur le fait que, habituellement, nous ne réfléchissons pas vraiment, empêtrés que nous sommes dans le maelstrom de nos existences, aux problématiques que les technologies soulèvent dans notre rapport à autrui, à nous-mêmes et au monde. L’auteur de science-fiction américain Bruce Sterling rappelait que la technologie était devenue un « organe », qu’elle s’était dorénavant intégrée à nos corps [2]. Toutefois, l’inscription de la technologie dans notre espace intime n’est jamais évidente car, comme l’a suffisamment montré Michel Foucault tout au long de sa carrière, les sciences et les technologies possèdent une dimension normative importante.

Autrement dit, la facilité avec laquelle nous avons accepté de devenir radicalement dépendants de la technologie n’est pas le gage de leur utilisation harmonieuse ou créative. La technologie, en sa qualité d’objet normatif (un objet dont l’utilisation est standardisée, donc), n’est en effet pas nécessairement un objet qui accroît notre puissance, au sens aristotélicien du terme, c’est-à-dire de « capacité à faire advenir quelque chose ». Il peut aussi être un objet qui la diminue, qui l’anesthésie. Cette différence entre accroissement et diminution de notre puissance me paraît fondamentale pour penser autrement notre utilisation de la technologie. Elle pourra toujours, certes, nous rendre service, nous permettre de communiquer à distance, nous soigner ou nous permettre d’acquérir un objet rare, mais arrivera-t-elle à nous « ouvrir », à nous-mêmes et aux autres ? Sera-t-elle en mesure de développer notre créativité et notre être-au-monde ou générera-t-elle nécessairement frustration, stigmatisation et isolement ?

Il est bien entendu difficile de répondre à ces questions, essentielles mais trop complexes à développer dans un article. Par contre, laissez-moi vous faire part d’une expérience personnelle, en espérant qu’elle sera suffisamment parlante pour commencer à esquisser des éléments de réponse. En 2015, j’ai fondé le Numerik Games Festival, une manifestation dédiée à la culture numérique sous plusieurs de ses aspects : arts de la scène, arts vivants, performances artistiques, créations vidéoludiques, ateliers pour enfants et adultes, concerts, etc. J’avais pour intention de proposer aux festivaliers de se familiariser, sur un mode participatif et grand public, avec les différentes facettes des technologies numériques. Le but était, d’une part, de réfléchir sur un mode décontracté et ludique à cette révolution de notre temps et, d’autre part, d’inviter les visiteurs à devenir acteurs des technologies qu’ils fréquentent trop souvent de manière stéréotypée.

Libre et créatif

Au cœur de ma modeste démarche, il y avait par conséquent l’intention de rappeler que l’être humain, en raison de sa puissance ontologique à créer – cette puissance, on l’appelle fréquemment « liberté », et elle nous offre avec générosité la possibilité, à chaque instant, de sortir du normatif pour tendre vers le singulier – devait refuser de voir cette même puissance se réduire comme peau de chagrin par une exploitation impensée des technologies qui l’entourent.

Je ne sais pas si mon intention était louable, ni si elle possède une quelconque efficacité ; mais elle a au moins pour vertu de placer nos subjectivités au premier plan. Je suis convaincu, aujourd’hui comme hier, que les technologies, en leur qualité d’outils inventés par l’homme pour l’homme, détiennent des richesses insoupçonnées, en particulier celle de s’ouvrir à soi-même et aux autres. Les livres, qui sont aussi des objets technologiques, ont été loués pour cela. Autre richesse cachée, celle de changer le monde, de « volutionner » le monde, c’est-à-dire de le révolutionner, mais sans la dureté du son « r », pour reprendre la sensibilité poétique du romancier de science-fiction Alain Damasio.

Or, pour « volutionner » le monde, pour le changer, il est nécessaire d’accepter, en suivant Foucault ou Deleuze, que la société dans laquelle nous vivons est une société de contrôle, une société normative qui use des technologies pour s’éviter d’être confrontée aux angoisses d’un monde sans extériorité. Notre formatage du monde, notre incapacité à accepter d’autres registres de vérité que celui de la rationalité, notre peur insondable de voir notre confort diminuer, notre préférence à communiquer via un intermédiaire, notre effroi face au corps d’autrui, semblent en premier lieu être des opérations visant à dompter ce qui nous échappe.

Comme l’écrit très bien Alain Damasio [3] :

« Le texte [philosophique découvert par un des protagonistes de la nouvelle] disait en gros ceci : que la dématérialisation ne vient pas de la technologie, mais de notre esprit. Ou plutôt que la technologie n’a jamais été qu’une substitution à nos corps limités, qu’une projection de nos désirs de puissance, qu’une façon géniale d’externaliser nos pulsions dans les machines afin de nous rendre omnipotents face au réel. Derrière les capteurs, il n’existerait pas selon [ce texte] une entité pensante qui serait la Ville (la Ville ne serait qu’un totem), il y aurait plus profondément à l’œuvre une économie de désirs, partagés par tous les humains, adultes ou enfants. Lesquels ? me diras-tu. Le [texte] en cite beaucoup, par liste, j’ai retenu ça :

Conjurer le mouvement par la trace ; l’événement par sa prédiction ; l’écart par les normes. Vouloir saisir et capter, compulsivement, les gestes, les pensées et les actes. Collecter et cumuler ce qu’on prélève. Vouloir surveiller, observer, entendre – partout, tout être, toute chose et tout le temps – être dieu. »

Capteur et capté

Dans le monde fictionnel hautement métaphorique imaginé par Damasio, des enfants cherchent par tous les moyens à rejoindre leurs parents, situés à l’autre extrémité d’une rue bardée de capteurs. Or, si les enfants, durant leur traversée, ont le malheur d’être scannés par un capteur, un de leurs membres se dématérialise. La plupart rejoignent donc l’infosphère, puisque la plupart ont été incapables d’échapper aux capteurs. La citation qui précède est tirée de la fin de la nouvelle de Damasio et offre quelques éléments pour décrypter la métaphore.

Les capteurs représentent les technologies qui, tout au long de notre existence, risquent de nous « capter », c’est-à-dire d’absorber notre puissance. Ces technologies, en particulier dans une société de contrôle, ne concentrent pas notre puissance pour changer le monde, mais pour « nous rendre omnipotents face au réel ». Or, la critique de Damasio ne vise pas les technologies en soi, mais la propension de ces dernières à devenir les outils d’une société qui cherche à anéantir l’angoisse par le recours à une économie – gargantuesque – de l’attention, à une consommation effrénée de tout par tous, à l’anéantissement de tous nos instants de liberté, c’est-à-dire des espaces vides ou, autrement dit, des « temps morts ».

C’est pour cette raison que les nouvelles technologies promues par une société de contrôle préfèrent les traces, la prédiction et la norme. Les traces sont les données que nous laissons derrière nous et que nous nous refusons d’oublier, alors même que seul l’oubli nous permet de nous réinventer. La prédiction réside dans la maîtrise liberticide de tout ce qui nous échappe. La norme représente la volonté étonnante de vouloir être unique en ne recourant qu’à des pratiques, des objets et des discours standardisés.

Mouvant et vivant

Quand je lis la prose de Damasio, quand je goûte à la poésie de sa langue, je ne peux m’empêcher d’imaginer que les enfants de « C@ptch@ », c’est moi, c’est nous. Notre destinée consiste à ne pas nous laisser consumer par les prodiges technologiques (rappelons-nous à quel point les prodiges, dans l’Antiquité, sont proches des monstres, ils sont des signes à décrypter). Notre destinée consiste plutôt à lutter, se (ré)volter, pour que la technologie soit l’outil (et non la finalité) grâce auquel notre puissance pourra s’accroître.

Pour le dire autrement, je crois sincèrement que les nouvelles technologies ne devraient pas être vantées dans leur capacité à nous épanouir. Plus personne ne croit à ces discours. Elles devraient être considérées dans leur aptitude à nous ouvrir à nous-mêmes, aux autres et au monde. Cette ouverture, cette virtualité tendue vers l’acte, devrait constituer, à mon sens, l’orientation de toutes nos actions, qu’elles soient entreprises avec ou sans technologies. Les GPS ne devraient pas nous faire oublier la beauté du paysage ; les smartphones ne devraient pas nous fermer sur nous-mêmes ; les robots devraient nous créer des temps morts et non les saturer par de nouvelles actions à entreprendre ; les intelligences artificielles ne devraient pas nous enfermer dans ce que nous savons déjà de nous-mêmes ; les médicaments ne devraient pas nous éloigner de nos angoisses, mais nous apprendre à les comprendre.

Nous sommes des êtres libres, des êtres de puissance ; nous sommes toutes et tous des créateurs potentiels, des êtres capables de « volutionner » le monde. Mais pour cela, il nous faut revenir au mouvement, faire exister l’événement, accepter l’écart. Ces actions, nous le savons bien, ne s’achètent pas. Elles sont au cœur de toute existence qui refuse, avec tendresse, d’être morte-vivante.

[1] NDLR Cette réflexion a une source, partielle, dans la conférence « Les nouvelles technologies : utopie ou cauchemar ? » que l’auteur a présentée au Gérontopôle, en octobre 2019 à Fribourg. Présentation pdf en ligne

[2] Dans sa préface à l’anthologie Mozart en verres miroirs (1986).

[3] Dans sa nouvelle intitulée « C@ptch@ » (2012).

Comment citer cet article ?

Marc Atallah, «Volutionner» le monde…, REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 9 avril 2020, https://www.reiso.org/document/5797

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