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Avoir une mauvaise vue, fatalité de l’âge?

Jeudi 20.09.2018
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Le handicap visuel lié à l’âge s’installe de manière insidieuse. Ce handicap est souvent expliqué par le fatalisme : « Ma foi, on vieillit. » Il est pourtant possible d’adopter une attitude proactive face à cette déficience.

Par Stefan Spring, chargé scientifique, Union centrale suisse pour le bien des aveugles, Zurich

Les personnes âgées concernées par un handicap visuel souffrent d’une diminution d’autonomie et d’un rayon d’action limité. L’étude COVIAGE (Coping with visual impairment in old age) de l’Université de Zurich, parue en février 2018, montre qu’il est possible d’atteindre une qualité de vie élevée malgré un handicap visuel qui survient avec l’âge. Elle précise aussi le rôle qui incombe aux ophtalmologues dans cette démarche proactive.

Le fait de prendre soin de soi et de vivre à la maison détermine très largement la qualité de vie des personnes âgées. En Suisse, 98 % des personnes de 70 à 80 ans vivent à la maison. A un âge plus avancé, cette proportion baisse et la capacité visuelle a une forte influence sur l’autonomie. Plusieurs études menées au cours des dernières années le confirment.

  • En Allemagne, les médecins de 14 cliniques ophtalmiques ont suivi environ 600 résidents de 32 établissements pour personnes âgées. Ils ont constaté que près de deux tiers d’entre elles présentent des symptômes de maladies oculaires qui devraient être traitées. Très souvent pourtant, ces soins ne sont pas dispensés. Les difficultés de transport et d’accompagnement chez l’ophtalmologue, banales à surmonter semble-t-il, se sont révélées le principal obstacle aux soins (Fang, 2017). Les corrélations entre déficience visuelle et affections psychogériatriques ont également été documentées (Blaser 2013, Adler 2016).
  • Une analyse des données d’évaluation d’environ 40 000 personnes âgées bénéficiant de soins ambulatoires (à domicile) ou stationnaires (en établissement médico-social) en Suisse a montré de son côté que 42 % des personnes en EMS et 33 % des personnes soignées par les CMS présentent des déficiences visuelles, parfois graves, qui affectent le quotidien. De plus, 27 % des résidents d’EMS et 11 % des personnes bénéficiant de soins ambulatoires présentent en même temps un handicap auditif important et ne peuvent donc compenser que difficilement par l’ouïe les conséquences des pertes de vision (Spring 2017).

L’étude et ses objectifs

Ces diverses études montrent également que les personnes âgées ont besoin d’un soutien spécifique pour vivre avec leur handicap visuel. Il manquait toutefois des connaissances gérontologiques et sociologiques précises. C’est ce qui a incité à lancer l’étude COVIAGE sur la gestion des déficiences visuelles chez les personnes âgées en Suisse. Elle met en évidence les conditions qui favorisent une vie autodéterminée et bien remplie malgré un handicap visuel tardif. Elle s’est focalisée sur les personnes atteintes d’une déficience visuelle grave survenue avec l’âge (surtout à partir de 70 ans) et a combiné une revue de la littérature spécialisée, des sondages qualitatifs et quantitatifs de personnes concernées (N = 1299) et des rencontres d’experts (Seifert 2017).

Un handicap visuel nécessite en soi d’importants efforts de gestion. Avec l’âge, ceux-ci sont plus difficiles puisque les personnes âgées sont confrontées à diverses tâches d’adaptation et de gestion qu’elles doivent maîtriser avec des ressources qui ont tendance à diminuer. Il est donc fréquent qu’elles gèrent une mauvaise vue avec des ressources corporelles, auditives, sociales ou cognitives également réduites.

Motivation et aspects fonctionnels

Chez les personnes âgées, la dynamique d’apprentissage est en principe présente, mais elle est ralentie. Surmonter l’obstacle mental – « ça ne vaut plus la peine à mon âge ! » – constitue un défi pour le travail de soutien. Une relation qui favorise la volonté individuelle d’apprendre et aide à acquérir de nouvelles stratégies de gestion du handicap est donc particulièrement importante.

Si certaines activités sont encore pratiquées de façon indépendante ou avec de l’aide, le sentiment d’autonomie augmente, de même que la qualité de vie perçue. La peur des conséquences négatives qu’une déficience visuelle provoque sur la gestion du quotidien est très répandue et il faut donc accorder la plus grande attention aux aspects fonctionnels de la vision.

Les personnes qui étaient déjà handicapées de la vue avant l’âge de la retraite disposent souvent d’un meilleur réseau de ressources liées au handicap. Elles savent par exemple utiliser des moyens auxiliaires, leur entourage est informé et les soutient. Dans la plupart des cas, elles ont aussi passé par un processus d’acceptation, d’adaptation et de nouvelle perception de soi et savent donc utiliser des stratégies de gestion du handicap de façon plus naturelle.

Les personnes âgées confrontées à ce handicap alors qu’elles sont déjà à l’âge de la retraite doivent apprendre à accepter le diagnostic et les adaptations qu’il implique. Il importe alors qu’elles se constituent un réseau de ressources et apprennent à se servir de moyens auxiliaires à un âge où la flexibilité mentale et la vivacité intellectuelle ne vont plus de soi.

La perception de son propre handicap

Les entretiens avec les personnes concernées ont révélé que les personnes malvoyantes confrontées à des pertes de vue progressives depuis qu’elles sont âgées ne se considèrent pas immédiatement comme « handicapées ». Le fait de mal voir est associé au vieillissement et n’est pas perçu comme un « handicap visuel » en tant que tel. Cette perception de soi qui rejette catégoriquement le « handicap » amène les personnes concernées à ne réfléchir que tardivement à leur handicap visuel et à ne pas aller chercher de soutien auprès de centres de consultation spécialisés ou d’organisations d’entraide.

La grande majorité des personnes concernées expliquent qu’elles apprécient l’ophtalmologue comme conseiller·ère, notamment dans les premières phases de l’évolution. Une tâche d’information et de motivation incombe donc aux ophtalmologues : lorsque les personnes atteintes de déficience, sur le conseil de l’ophtalmologue, acceptent de bonne heure l’aide de centres de consultation spécialisés ou de groupes d’entraide, il est alors possible de mettre en place des stratégies d’adaptation dès le stade précoce de la maladie.

Les ressources internes incluent la capacité de se débrouiller avec des situations nouvelles. Ce facteur tient à la personnalité de chaque personne concernée, à son expérience de vie et aux stratégies de gestion qu’elle a déjà appliquées par le passé. Cette « attitude proactive » peut être apprise et renforcée grâce aux conseils et au soutien des centres de consultation spécialisés.

Plusieurs dangers à repérer

Les résultats du sondage montrent que la plupart des personnes rencontrent des difficultés individuelles dans la gestion du quotidien, avec des conséquences négatives sur leur sentiment d’autonomie. De nombreuses personnes concernées réussissent « d’une manière ou d’une autre » à faire face, mais elles laissent souvent tomber des activités qu’elles aiment et qui fondent leur identité, ce qui se répercute sur leur satisfaction.

Environ 35 % des personnes interrogées sont clairement mises en danger par leur « handicap ». Ce sont les personnes indiquant que les problèmes de vue leur posent énormément de difficultés et qu’elles se sentent très limitées dans la vie de tous les jours. Ces personnes ne sont certes pas forcément plus limitées par la déficience visuelle que d’autres, mais l’analyse des degrés de difficulté montre qu’elles ressentent la déficience visuelle comme un stress intense. Selon nos résultats, ces personnes sont celles dont on considère « la qualité de vie comme nettement mise en danger ». C’est là que l’ophtalmologue devrait intervenir, les repérer et leur recommander les offres à bas seuil de l’aide aux handicapés de la vue.

Cinq recommandations et des collaborations

Sur la base de la littérature, des sondages et des entretiens avec les experts, il est ainsi possible de formuler les recommandations suivantes[1] :

  • On peut apprendre en toute conscience à bien vivre avec une capacité visuelle réduite. A côté de l’examen médical et du traitement (et non pas seulement après qu’il est terminé), il faut assurer le maintien des compétences de la vie quotidienne. Il est opportun de le faire dès qu’il est prévisible que le trouble visuel, malgré le traitement, sera permanent ou durera au moins plusieurs mois.
  • Une évaluation et un conseil en basse vision permettent de s’informer sur les moyens auxiliaires spécifiques adaptés à de nombreuses situations et d’exercer leur maniement.
  • Il importe d’inclure l’entourage social de bonne heure. Les proches doivent savoir que les problèmes de vue compliquent la vie au jour le jour. Il comprendra alors comment le problème se manifeste, quel soutien est possible et quel rôle il peut jouer dans la gestion du handicap.
  • Une réflexion précoce et proactive sur les problèmes de vue et sur leurs conséquences a une influence positive sur la qualité de vie. Par « gestion proactive », nous entendons l’acceptation des changements et la recherche active de nouvelles stratégies de gestion du handicap pour remédier quelque peu à la situation apparemment désespérée.
  • Il serait très utile aux personnes âgées handicapées de la vue d’être effectivement adressées par les instances médicales (ophtalmologues, cliniques, etc.) à un service de consultation de l’aide aux handicapés de la vue compétent en gérontologie.

L’étude COVIAGE montre les ressources individuelles et familiales pour pallier et gérer progressivement une affection oculaire grave à un âge avancé. En plus de soins ophtalmologiques solides, les personnes concernées ont besoin d’être aidées à adopter le plus tôt possible une attitude proactive face à la déficience visuelle. La position défendue autrefois selon laquelle il fallait attendre d’avoir épuisé les possibilités de traitement médical est obsolète et contre-productive.

L’étude démontre que les personnes confrontées à une déficience visuelle à un âge avancé considèrent l’ophtalmologue comme leur conseiller principal. Elle nous apprend en même temps qu’un nombre relativement faible de ces personnes tirent profit du soutien qu’apportent les offres de réadaptation des centres de consultation pour handicapés de la vue. Lorsqu’elles le font, c’est en outre après avoir attendu (trop) longtemps. Des années sont ainsi perdues.

Références

Les rapports de l’étude COVIAGE sont disponibles sur cette page du site de l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA).

Fang PP, et al. Ophthalmologische Versorgung in Seniorenheimen – Die OVIS-Studie. Der Ophthalmologe 9/2017.

Adler J. et al (2016), Dépistage visuel et auditif pour des soins optimisés. HfH Zürich, BFH Bern et Union centrale pour le bien des aveugles (UCBA). En ligne

Blaser R. et al (2013), Démences, handicap visuel et surdicécité. Une étude sur les influences réciproques entre les démences et les déficiences visuelles ou de la vue et de l’ouïe dans le diagnostic des personnes âgées. BFH Berne et l’Union centrale pour le bien des aveugles. En ligne

Seifert A., Schelling, H. R. (2017). Gérer un handicap visuel à un âge avancé – rapport de synthèse de l’étude COVIAGE. Une étude de l’Université de Zurich et de l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles. En ligne

Spring S. (2017) Vision et audition dans les soins à domicile et stationnaires. Une étude exploratoire sur les déficiences sensorielles et la démence telles qu’elles apparaissent dans le système d’évaluation RAI des établissements médico-sociaux et des soins à domicile en Suisse. Une étude de Q-Sys AG et de l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles. www.ucba.ch/recherche

[1] La méthode et les résultats détaillés ainsi que les raisons des recommandations sont exposés dans le texte intégral de l’étude, publié au format ePaper dans l’app ophta, ou dans la publication spécialisée imprimée à commander par simple mail au

Comment citer cet article ?

Stefan Spring, «Avoir une mauvaise vue, fatalité de l’âge ?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 21 septembre 2018, https://www.reiso.org/document/3472