Améliorer l’accès aux soins pédiatriques
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En pédiatrie, la transmission d’informations à des parents migrants allophones représente un défi. Un projet d’innovation participatif a élaboré un dispositif de communication sous la forme d’une vidéo multilingue.
Par Sarah Depallens, cheffe du Service de santé et prévention, Ville de Lausanne, ancienne médecin associée, Département femme-mère-enfant (DFME), CHUV ; Caroline Heiniger, médecin-cheffe de clinique, DFME, CHUV ; Elise Méan, responsable communication, DFME, CHUV ; Gladys Robert, assistante diplômée, Institut des sciences sociales, Université de Lausanne ; Flavie Saucy, doctorante FNS, Unisanté, Lausanne ; Carla Vaucher, chargée de Ra&D, HESAV, Lausanne.
« Quand ça concerne la santé, j’ai peur de dire quelque chose d’inexact face aux questions des médecins : les malentendus peuvent avoir des conséquences, donc c’est stressant », confie une mère géorgienne en Suisse depuis trois ans. La consultation de pédiatrie générale, qui se situe depuis mai 2025 dans la policlinique du nouvel Hôpital des enfants du CHUV, assure le suivi pédiatrique de nombreuses familles migrantes allophones. Elle recense une soixantaine de langues parlées par les patient·es et leurs proches, et collabore avec des interprètes communautaires de l’association Appartenances depuis plus de 20 ans.
La langue utilisée pour la correspondance reste toutefois le français, ce qui peut conduire à certains malentendus et à des craintes. Les conséquences sont notamment des rendez-vous manqués et des retards, qui posent des difficultés dans l’organisation des soins et dans l’accueil de ces familles lorsqu’elles se présentent à la réception sans les documents attendus. « La première fois que je suis venue, la personne qui était à la réception est devenue malpolie, désagréable, en me demandant la carte d’assurance que mon bébé n’avait pas encore », confie une mère équatorienne.
Un projet d’innovation sociale participatif
Le déménagement de l’Hôpital de l’enfance vers l’Hôpital des enfants a représenté une opportunité d’amélioration de l’accès aux soins pédiatriques des familles primo-arrivantes dans la région. Dans ce contexte, une vidéo informative a été créée pour présenter ce suivi pédiatrique au CHUV. Réalisée en français, elle a été doublée dans les dix langues les plus représentées à la policlinique.
Ce projet a été soutenu par l’Association suisse pour la promotion de l’innovation sociale, dans le cadre du cycle 2024-2025 de l’Innovation Booster « Co-Designing Human Services », qui avait pour thématique « Le bien-être des enfants, des jeunes et des familles » [1]. Une équipe interdisciplinaire, constituée d’anthropologues spécialisées dans le domaine de la santé, d’une étudiante en sciences sociales, de médecins pédiatres et d’une spécialiste en communication, a été constituée.
L’Innovation Booster recommande une approche participative, en impliquant au maximum les enfants, les jeunes, les familles concernées et les professionnel·les qui les accompagnent dans la définition des objectifs du projet et les solutions envisagées. Des parents d’enfants suivis à la policlinique de pédiatrie ont ainsi été intégrés à la démarche, ainsi que des jeunes mineurs non-accompagné·es et des interprètes communautaires. Durant ce travail, l’équipe de projet a identifié les parents comme étant son public cible prioritaire, et plus spécifiquement les mères, qui semblent assumer davantage la charge des consultations pédiatriques de leurs enfants.
La méthodologie adoptée dans le cadre du projet a inclus des observations ethnographiques, un questionnaire destiné aux parents, quatre entretiens semi-directifs et trois focus groups. Les observations ethnographiques ont été menées dans le cadre de consultations en pédiatrie générale. Elles ont porté sur sept consultations impliquant des enfants de 16 mois à 15 ans, de quatre nationalités différentes. Seule l’une d’elles s’est déroulée sans interprète. Dix-neuf questionnaires visant à mieux comprendre la situation et les besoins en matière d’orientation et d’informations des familles consultant à la policlinique ont ensuite été remplis avec l’aide de médecins assistantes, souvent en présence d’interprètes, à la fin des consultations.
L’équipe de projet a ensuite mené quatre entretiens semi-directifs. Parmi ceux-ci, l’un s’est déroulé avec une mère érythréenne, un autre avec un père somalien, tou·tes deux accompagné·es d’interprètes. Le troisième entretien s’est fait avec l’aide d’une interprète d’origine albanaise, et le dernier avec un interprète d’origine tchétchène traduisant le romani, l’ukrainien et le russe. Ces échanges ont confirmé que le premier obstacle des familles dans l’accès aux informations sur la santé de leur enfant était la barrière linguistique. Ce phénomène est déjà documenté par la littérature scientifique (Heath et al. 2023, Gil-Gonzalez et al. 2015, Flores et al. 2012). Cette difficulté survient autant durant les consultations médicales que lors de la réception de convocations à des rendez-vous ou de la lecture de brochures de prévention ou promotion de la santé.
Finalement, trois focus groups, réunissant quinze personnes, ont été organisés. Le premier avec deux femmes hispanophones d’origine colombienne et équatorienne et le second avec cinq femmes d’origine géorgienne. Le dernier a intégré huit jeunes hommes âgés de 15 à 17 ans d’origine afghane, ouzbèke, somalienne, guinéenne et érythréenne. Ils résident dans un foyer pour mineurs non accompagnés. Ces groupes de discussion ont été animés par deux membres de l’équipe, en collaboration avec une interprète communautaire pour les deux premiers, et de trois interprètes pour le troisième.
Durant ces échanges, une méthode de photolangage a été utilisée afin d’inviter les participant∙es à partager leurs expériences en pédiatrie. Les personnes ont répondu à des questions projectives (par exemple : « comment expliqueriez-vous à un∙e ami∙e la manière dont se déroule une consultation en pédiatrie ? ») afin de sonder leur compréhension du déroulement et de l’utilité des consultations pédiatriques en Suisse romande. Enfin, des supports d’information de divers types — vidéo, audio et papier — leur ont été présentés, dans leurs langues et en français, afin de les questionner sur leurs préférences en la matière. Finalement, les participant∙es ont vu un premier prototype de vidéo réalisé à l’aide d’une intelligence artificielle sur la base des informations récoltées.
Un suivi pédiatrique différent du pays d’origine
Les parents, les jeunes et les interprètes ont relevé des différences dans le suivi pédiatrique entre leur pays d’adoption et celui d’origine. Certaines mères ont confié être surprises par le fait qu’en Suisse, des consultations pédiatriques sont planifiées pour effectuer le suivi des enfants, y compris lorsqu’ils ne sont pas malades. La dimension très détaillée et personnalisée des consultations a également été soulevée. Comme l’exprime une maman d’origine équatorienne, « C’est comme si tu expliquais une histoire à la pédiatre, une histoire qui raconte le quotidien de ton enfant, comment il dort, comment il mange, toutes les petites choses, tous les détails comptent. » Certaines personnes ont été surprises par le fait que les pédiatres posent aussi des questions directement aux enfants.
Depuis leur établissement en Suisse, les personnes soulignent qu’elles ont appris les « règles à respecter » lors d’une consultation. Notamment le fait de toujours prendre avec soi le carnet de santé et de vaccination de l’enfant, d’être à l’heure aux rendez-vous et de les annuler à l’avance au besoin.
Des suggestions ont ensuite émergé, comme le fait de prévenir les familles récemment arrivées dans la région que les consultations sont facturées en cas d’annulation moins de 48 heures à l’avance ou en cas de non-présentation. La nécessité de mieux informer les personnes sur leur droit à demander la présence d’un·e interprète et de la possibilité de recourir aux services d’un·e assistant·e social·e a également été soulignée.
Les focus groups ont permis d’affiner les attentes et les préférences des familles concernant le fond (éléments informatifs nécessaires) et la forme (QR codes et vidéos) du projet. Ils ont notamment fait ressortir la préférence des mères et des jeunes pour une information via des vidéos, dans une langue qu’ils∙elles comprennent, montrant une personne et des locaux réels, davantage que des vidéos d’animation par exemple. En outre, les participant∙es se sont exprimé en faveur d’une traduction audio plutôt que d’une vidéo sous-titrée.
Une vidéo issue d’un travail collectif
La démarche d’innovation a donc consisté à réaliser une vidéo d’information doublée en dix langues[2] , transmettant aux familles non francophones des informations sur la prise en charge de la santé de leurs enfants ou adolescent∙es à la consultation de pédiatrie générale du CHUV. Les vidéos sont accessibles depuis un code QR figurant sur un flyer. Comportant une phrase de bienvenue dans les langues concernées, ce dernier est distribué avec le courrier de convocation à un rendez-vous pédiatrique en policlinique. Les vidéos sont hébergées sur une page du Département femme-mère-enfant du CHUV [3].
Sur la base de ces échanges, l’équipe de projet a rédigé un premier texte en français. Il contient des rubriques telles que « À quoi sert une consultation à la policlinique de pédiatrie générale du CHUV ? » ou « Comment nos consultations se déroulent-elles ? ». Avec l’aide du Service de communication CHUV, une médecin énonçant le texte en français a été filmée.
Un outil d’intelligence artificielle a ensuite été testé afin de générer une première traduction du texte en somali, tigrinya et en russe. Une agence de traduction et des interprètes communautaires ont ensuite vérifié et amélioré la traduction du texte. Puis les interprètes ont prêté leur voix afin de doubler la bande-son de la vidéo en français. Le choix des couleurs, l’aspect visuel, le rythme et le contenu des phrases, ainsi que le volume de la voix doublée ont été validés par des membres du Groupe de référence migration.
Ce projet de vidéo a démontré l’importance de proposer des supports accessibles dans plusieurs langues. Lors du visionnage du prototype, une interprète a confié : « J’ai adoré, car en très peu de temps, la doctoresse a dit tout ce qui était nécessaire et ce qui peut éviter les malentendus ». « On aurait été très contente de recevoir ça à notre arrivée », ont formulé plusieurs femmes géorgiennes.
Un tel dispositif de communication est également bénéfique pour le personnel hospitalier, car une transmission claire des informations clés facilite l’organisation du travail. Cela permet un accueil plus adapté aux besoins de ces familles [4]. À moyen terme, l’utilité de la vidéo pourra être évaluée non seulement en analysant les statistiques de visionnage en ligne, mais aussi à travers les pratiques et expériences des usagers·ères de la policlinique de pédiatrie du CHUV. Ce projet innovant pourrait par la suite inspirer d’autres services du CHUV ainsi que d’autres institutions qui accompagnent des familles issues de la migration comme les services des écoles ou les prestations extrahospitalières en lien avec la pédiatrie sociale et communautaire.
Références
- Flores, Glenn, Milagros Abreu, Cara Pizzo Barone, Richard Bachur, et Hua Lin, 2012, « Errors of medical interpretation and their potential clinical consequences: a comparison of professional versus ad hoc versus no interpreters », Annals of emergency medicine, vol. 60, N°5, 545‑53.
- Gil-Gonzalez, Diana, Mercedes Carrasco Portino, Carmen Vives Cases, Andrés A. Agudelo-Suarez, Ramón Castejon Bolea, et Elena Ronda-Perez, 2015, « Is Health a Right for All? An Umbrella Review of the Barriers to Health Care Access Faced by Migrants », Ethnicity & Health, vol. 20, N° 5, 523‑41. doi : 10.1080/13557858.2014.946473.
- Heath, Morten, Anne Mette Floe Hvass, et Christian Morberg Weijse, 2023, « Interpreter services and effect on healthcare-a systematic review of the impact of different types of interpreters on patient outcome », Journal of migration and health, vol. 7, N°100162, 1-11, doi : 10.1016/j.jmh.2023.100162.
[1] https://www.innovationsociale.ch/ntn-innovation-booster/cycle-dinnovation-2023/2024-1
[2] Kurde/turc, tigrinya, dari/farsi/persan, somali, albanais, arabe, russe, espagnol, géorgien, anglais.
[3] https://www.chuv.ch/fr/dfme/dfme-home/enfants-famille/specialites-medicales/pediatrie-generale/presentation-de-la-consultation-de-pediatrie-generale-en-video (consulté le 20.06.25)
[4] Une réflexion pour ajouter des pictogrammes aux lettres de convocation pour préciser le motif de chaque consultation est d’ailleurs en cours au sein de la policlinique de pédiatrie générale du CHUV.
Cet article appartient au dossier Solidarité et lien social
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Sarah Depallens et al., «Améliorer l’accès aux soins pédiatriques», REISO, Revue d'information sociale, publié le 22 décembre 2025, https://www.reiso.org/document/14941

