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Comprendre comment les rêves sont fabriqués

Mardi 01.02.2022

La Professeure Francesca Siclari, du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV, a reçu une bourse européenne pour lancer son projet Dreamscape. Elle y étudie les mécanismes qui génèrent les songes. Interview.

SICLARI Francesca 500Pre Francesca Siclari © Eric Deroze

(Reiso) En janvier, le Conseil européen de la recherche vous a octroyé une bourse ERC Starting Grant pour mener votre projet Dreamscape. Vous avez été primée parmi plus de 4'000 candidatures. Qu’est-ce qui a retenu l’attention du jury selon vous ?

(Francesca Siclari) Il est vrai que c’est un honneur d’avoir été choisie parmi autant de projets européens tous très compétitifs. Je pense que ce qui a retenu l’attention du jury, c’est la thématique que j’aborde. Les mécanismes qui régissent les rêves sont très peu étudiés. Dreamscape cherche vraiment à découvrir quelles zones du cerveau et quels circuits neurologiques sont à la base de la création des rêves.

Comment vous est-venue l’idée de cette recherche ?

Je suis neurologue de formation et je me suis spécialisée dans la médecine du sommeil. Je voyais à l’époque des patient·e·s qui se plaignaient de troubles liés aux rêves. J'ai alors réalisé que ce domaine était relativement peu étudié d’un point de vue médical et qu’au niveau scientifique, les mécanismes liés aux rêves étaient peu connus. Pour approfondir mes connaissances dans ce domaine, j’ai travaillé, entre 2011 et 2014, aux Etats-Unis au Center for sleep and consciousness de Madison, dans le Wisconsin. Grâce à un encéphalogramme muni d’une grande quantité de capteurs, j’ai pu voir quelles zones du cerveau s’activaient pendant les rêves. Cela m’a donné envie d’aller plus loin.

Avant d’évoquer les détails de votre projet, pouvez-vous préciser en quoi consiste les troubles des rêves et comment ils sont identifiés ?

Les patient·e·s peuvent se plaindre de plusieurs aspects de leurs rêves. Certains évoquent de cauchemars fréquents, d’autres de rêves qui sont incessants et qui altèrent leur sommeil. Ils et elles disent par exemple que leur cerveau ne se repose jamais. D’autres personnes font des parasomnies : elles bougent ou parlent pendant leurs rêves. En d’autres termes, elles font ce dont elles sont en train de rêver.

En quoi consiste Dreamscape ?

L’idée de ce projet au long cours, qui va s’étaler sur une période de cinq ans, est d’enregistrer l’activité cérébrale des dormeur·se·s et de les réveiller fréquemment pour leur demander de quoi ils se rappellent de leurs rêves. Nous voulons ainsi savoir s'ils et elles rêvent, et de quoi. Nous avons déjà identifié quelque chose d’assez étonnant : lorsqu’une personne rêve du visage de quelqu’un, la zone du cerveau qui s’active est celle liée à la reconnaissance faciale. En d’autres termes, un visage perçu lorsque l’on est éveillé ou perçu en rêve stimule le cerveau de la même manière. Alors qu’en veille cette perception vient du monde extérieur, pendant le rêve elle est générée intérieurement. Avec Dreamscape, nous voulons comprendre comment le cerveau génère cette image par lui-même, alors qu’il est déconnecté de l’environnement pendant le sommeil.

Le but de Dreamscape est donc de comprendre comment les rêves sont générés ?

En effet. Je fais souvent une analogie avec un film projeté sur un écran. L’écran est ce que nous voyons, en rêve ou en éveil. Lorsque nous sommes éveillé·e·s, le projecteur n’est que l’action qui se déroule sous nos yeux. Mais où est le projecteur pendant le sommeil ? C’est précisément ce que ma recherche va devoir élucider.

Comment allez-vous vous y prendre pour trouver ce projecteur ?

Nous suspectons que des systèmes neuronaux s’activent de manière intermittente et génèrent ainsi les rêves. Avec des médicaments et des stimuli acoustiques administrés aux cobayes, nous allons essayer de moduler ces mécanismes et d’observer les conséquences de ces manipulations sur les rêves.

A quoi pourra servir le fruit de cette recherche, une fois terminée ?

Elle contribuera à saisir comment le cerveau arrive à créer une réalité qui est indépendante du monde extérieur. Ceci nous permettra peut-être aussi de mieux comprendre d’autres formes d’hallucinations, notamment celles qu’on retrouve dans certaines maladies psychiatriques. Si nous parvenons à trouver les mécanismes cérébraux précis qui génèrent les rêves, nous parviendrons peut-être également à développer des traitements plus ciblés pour les personnes qui souffrent de troubles des rêves. Aujourd’hui, nous pouvons leur administrer des somnifères mais ceux-ci engendrent des effets secondaires importants et ne sont pas spécifiques.

(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)

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