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Lettre d’un proche aidant abasourdi

Lundi 07.10.2019

Les articles de REISO évoquent souvent les proches aidants. La revue a reçu cette lettre de lecteur qui présente la situation particulièrement difficile d’une femme de 60 ans, gravement atteinte dans sa santé depuis deux ans, sous assistance respiratoire permanente depuis un an et au bénéfice d’une prestation de l’assurance invalidité. Au lieu de la compréhension et de l'aide espérées, les services concernés harcèlent cette personne avec des demandes sans fin de relevés administratifs, de situations financières, de décomptes LPP et de chômage, etc. Son proche aidant témoigne.



On marche sur la tête !

Quelle drôle et tragique histoire que celle de cette femme de 60 ans. Elle est gravement atteinte dans sa santé depuis deux ans et sous assistance respiratoire permanente depuis une année.

Au bénéfice d'une assurance invalidité de 1670 francs, elle disposait d'aides complémentaires de l'Hospice Général pour couvrir le coût élevé de son logement pour une personne seule, de son assurance maladie et de quelques dépenses liées à des prestations en nature de l’Institution genevoise de maintien à domicile (IMAD). Une solution d'hébergement dans un EMS, malgré le handicap de son jeune âge, était à l'étude.

Chaque mois, elle était invitée à présenter son relevé bancaire, ainsi que les justificatifs des différents paiements qu'elle avait effectués, au CAS de son quartier en s'y déplaçant péniblement à l'aide des transports publics, des bonnes volontés disponibles et de son indispensable déambulateur.

Chaque mois, on lui demandait de nouveaux documents tels que son acte de mariage et le jugement complet de son divorce. Bien que résidente de longue date à Genève, ceux-ci avaient été établis en Suisse alémanique puisque ces dispositions civiles étaient enregistrées à Uster et à Zurich. Étant malheureusement libellées dans la langue de Goethe, il lui a été demandé d'en faire la traduction car il n'appartenait pas aux services sociaux de faire ce travail, lui avait-il été dit.

Ces aides complémentaires lui permettaient d'avoir recours à des soins infirmiers à domicile, à une femme de ménage et à une personne chargée d'effectuer ses achats alimentaires et d'entretien une fois par semaine. De surcroît, elle bénéficiait de repas à domicile cinq jours par semaine. Au mois de juillet, ses soutiens financiers complémentaires lui ont été retirés. Elle ne peut plus payer son loyer et se retrouve, malade alitée à domicile, dans la crainte d'être expulsée. Elle renonce successivement aux livraisons de ses repas et aux prestations de la femme de ménage et des préposés à ses achats. A son retour d'une semaine d'hospitalisation en urgence, les soins infirmiers à domicile deviennent quotidiens. Elle doit en assurer le coût avec sa seule rente AI. Cette instance n'a pas retenu le niveau d'impotence de son cas.

Elle trouve refuge provisoire chez un ami qui a de la compassion pour son cas et sa situation.

Elle passe ses journées quasiment alitée, ponctuées de séjours épisodiques aux HUG (le dernier remonte au 2 septembre). Néanmoins avec l'accord de sa pneumologue et de son médecin traitant et avec l'aide de la Ligue pulmonaire suisse, elle peut envisager un bref séjour à Lugano de quatre jours pour fêter son anniversaire. Elle est accompagnée de son proche aidant qui effectue le déplacement en voiture avec toutes les précautions prises pour assurer sa maintenance sous oxygène dont deux arrêts à Viège pour remplir sa bonbonne portable.

Peu avant son départ, lueur d'espoir, elle apprend par son assistante sociale que le Service des prestations complémentaires (SPC) peut lui venir en aide pour contribuer au minimum vital qui lui permettrait de faire face aux prestations. Elle doit malheureusement vite déchanter car la commission du Service veut la rencontrer en toute urgence le 26 septembre alors qu'elle avait planifié son voyage dont l'organisation avait été très contraignante. Elle pense, tout comme son proche aidant, que ce déplacement lui sera profitable pour son moral et donc pour sa santé. Faute donc de rencontrer les délégués de la commission en question à la date fixée, l'assistante sociale qui s'en fait la porte parole lui indique, comble de l'ironie en regard du descriptif de la situation de cette personne, qu'elle doit transmettre dans les plus brefs délais une série d’informations. Parmi elles : l’état de sa rente LPP avec décompte de sortie et justificatif du non-droit à cette rente, la preuve qu’il n’y a aucune incription au Registre du commerce, une déclaration nominative des personnes qui ont partagé son logement, une déclaration sur l’honneur qu’elle n’a pas de bien immobilier ni bancaire au Japon (son pays d’origine qu’elle a quitté à l’âge de 20 ans et où elle n’est plus retournée), copie de tout contrat de travail des deux dernières années ou confirmation de son statut d’indépendante, décompte des indemnités journalières de l’assurance chômage si elle en a eues, copie de la vente d’un bien immobilier à Chardonne en 2013 et justificatifs de la diminution des avoirs depuis 2013, etc.

Un travail de titan que seule une personne en pleine possession de ses facultés est susceptible de remplir convenablement dans un délai raisonnable alors que, pendant ce temps, les urgences matérielles courent et que personne ne se préoccupe de ses besoins élémentaires immédiats. Aucun travail transversal systémique n'est entrepris entre les différents partenaires concernés pour apprécier la situation particulière de cette personne et de convenir d'un soutien et d'une aide d'urgence appropriée.

Jusqu'au bout, l'administration et les aides sociales pensent que le client/la cliente, aussi malade soit-il/elle, certificats médicaux à l'appui, doit être apte à se présenter à des guichets, à rencontrer des commissions, à remplir des questionnaires et à constituer des dossiers sans que son état de santé soit pris en compte. C'est simplement affligeant, pire, monstrueux. Peut-être que dans un mois, six mois, une année, cette malheureuse personne sera à l'article de la mort mais jusqu'à cette extrémité, l'administration et ses représentants resteront droits dans leurs bottes et fidèles à un règlement aveugle qui, in fine, fait fi de l'être humain.

Léon Meynet, Genève