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Commentaire / « L’homme expliqué aux femmes » de V. Cespedes

Dimanche 12.12.2010

L’homme expliqué aux femmes

Vincent Cespedes, Editions Flammarion, 2010

Commentaire de Marie-Pierre Dupont

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Le titre de cet ouvrage, L’Homme expliqué aux femmes, témoigne de son attention à leur égard. On se demande toutefois s’il n’y a pas erreur d’aiguillage dans cet intitulé qui suggère une énième variation sur le thème relationnel, cher aux magazines féminins. Ce qui n’encourage pas les hommes à sa lecture… Ils auraient bien tort puisqu’il n’est ici question que d’eux ! Au passé, au présent et au futur. En même temps qu’il dresse le portrait de l’homme occidental au terme de vingt siècles d’évolution, l’auteur modélise celui qui devrait naître au XXIe : un homme (presque) réconcilié avec lui-même, pour autant qu’il parvienne à surmonter une méchante crise identitaire.

In virilitas veritas

Le masculin est donc en crise. La faute aux femmes dont l’émancipation aurait un effet castrateur ? Une Jane qui n’a même plus peur dans la jungle, terrible-jungle, ça lui couperait son élan à Tarzan ! Mais la définition de cette « virilitas » en perdition est à revoir. Les hommes ne se dévirilisent pas, ils s’humanisent, suggère Vincent Cespedes (photo ci-contre), qui invite à ne pas confondre le pouvoir, apanage du masculin, et la puissance, relevant du féminin. « Le pouvoir domine et soumet. La puissance se partage et rend digne. Le pouvoir se délègue, se divise, il nécessite un calcul, une claire conscience des rapports de force. La puissance ne calcule rien, elle n’agit jamais par souci d’intimidation, elle se transmet aux autres sans s’exercer sur eux. »

S’humaniser serait donc perdre en pouvoir et gagner en puissance… Aller du masculin au féminin, et vice versa, la puissance résultant de l’acceptation du masculin et du féminin qui sommeillent en chacun(e) de nous. A contrario, « l’impuissance, c’est l’homme uniquement masculin comme la femme uniquement féminine. » Reste à savoir comment assumer cette double part dans un univers du travail devenu impitoyable.

Mi-homme, mi-robot

La performance comme religion, les hommes y ont toujours sacrifié, mais plus encore depuis une trentaine d’années. « Dans les années 70, l’efficacité masculine pouvait aller de pair avec les émotions, les fragilités humaines », relève l’auteur. Virage dans la décennie suivante, qui voit « l’humanité de plus en plus dominée par les machines », avant qu’elle adopte pour modèle les performances de l’ordinateur. Voici le salarié devenu mi-homme, mi-robot, soumis à un système d’interconnexion désincarnée et déshumanisante. « On atomise les salariés, on les badge, on les manage, on restructure et finalement, on les coupe de leur puissance propre. »

Ce nouveau mode capitaliste va générer, selon Christopher Lasch qui s’en inquiète en 1981 déjà, « une nouvelle personnalité dominée par l’angoisse. Loin de tout accomplissement de soi-même, travailler signifie désormais survivre et ce verbe s’applique aussi bien à la survie réelle (se nourrir, se loger, etc.) qu’à la survie narcissique, celle de notre image et des gratifications virtuelles qui lui sont associées. » [1] Vincent Cespedes en déduit que l’ambition d’image compense l’impuissance réelle à laquelle un travail aliénant condamne les hommes. Compensation encore, le peu d’empressement mis à céder les commandes aux femmes ?

Un management castrateur

Si les hommes tiennent à leur prérogative de mâle dans le travail c’est, avoue notre auteur, « pour qu’il rende ce qu’il nous a pris : la sensation de notre puissance masculine. Les femmes ont tout à gagner au travail (indépendance, égalité financière ou symbolique), mais nous y avons émoussé notre virilité et nous les mettons sur la touche en favorisant les cooptations mâles et l’entre - mâles afin de nous revisser le phallus. » Plus généralement, c’est la division du travail qui est accusée de tous les maux. Cette division ou segmentation, entre managers formés pour organiser et employés voués à exécuter les ordres, a engendré « un nouveau contrôle social foncièrement antidémocratique. »

« Nous cessons d’être capables d’accomplir des tâches élémentaires sans l’intervention d’experts autoritaires qui nous disent comment élever nos enfants, ou avoir des rapports sexuels, mais aussi quoi manger, quoi penser, quoi vouloir. » Ce que veut Vincent Cespedes, comme Christopher Lasch, est clair : il faut « détruire la bureaucratie des grandes entreprises », rattraper ce déficit démocratique qui entraîne précarité existentielle autant que salariale, et dévirilisation… Dans le fond, si l’entreprise se féminisait (voire les valeurs citées plus haut), les hommes – et toute la société – s’en porteraient-ils beaucoup mieux ? L’auteur n’est pas loin de le penser.

Lâches, égoïste et infidèles ?

Au chapitre de la lâcheté et de l’égoïsme prêtés aux hommes, Vincent Cespedes montre une belle franchise. Lâches oui, parce qu’obéir aux impératifs de la masculinité (contrôler, maîtriser, posséder, vaincre) qui leur ont été « vissés dans le crâne » est mission impossible. D’où la honte, d’où la lâcheté… Tout est affaire d’éducation bien sûr, mais pour l’auteur celle réservée aux filles – du moins sous l’angle du courage – est exemplaire. Il n’y a pas de courage sans peur. Alors que les garçons, en bons petits mecs, sont invités à ignorer la peur, les filles sont poussées à identifier les leurs pour mieux les surmonter, « car il en va de leur survie dans une société virile qui leur sera hostile ». S’il y a peu de femmes lâches, c’est parce qu’elles ont conscience de leur fragilité…

Quant à la fidélité, elle est d’autant malmenée qu’elle relève de ce que l’auteur nomme un « encouplement obligatoire » et complètement dépassé. « Le propre des encouplés est leur hantise d’être cocufiés. Plus on attend de l’autre qu’il soit fidèle, plus on s’imagine ses infidélités. » Après invitation à détruire la bureaucratie des entreprises, l’auteur nous convie aussi à bazarder le Couple Obligatoire et la Famille Nucléaire…

Marie-Pierre Dupont, journaliste, Vouvry, médiatrice de REISO