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Commentaire / « Libres de le dire » de Taslima Nasreen et Caroline Fourest

Lundi 19.04.2010

Libres de le dire

Taslima Nasreen et Caroline Fourest, Editions Flammarion, 2010

Commentaire de Marie-Pierre Dupont : La foi des mécréantes

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Comment le doute vient aux enfants… Alors que sa mère la prévient que sa langue va tomber si elle parle mal d’Allah, Taslima Nasreen, 8 ans, se rend aussi sec dans la salle de bain pour adresser quelques injures bien senties en direction du Tout-Puissant. Sa langue ne tombe pas.

Entretenue dans l’idée d’un Dieu chrétien non pas vengeur mais faiseur de miracle, Caroline Fourest, elle, met beaucoup de ferveur à lui demander d’exaucer différents souhaits, dont celui de déplacer les objets. Rien ne bouge.

Mais ce qui est presque un jeu pour la petite Française, élevée dans un pays laïque, devient un acte de résistance pour la jeune Bangladaise, forcée d’apprendre par cœur et en arabe les versets du Coran. Allah qui sait tout ignore donc le bengali ? ricane-t-elle sans cesse. Et quand sa mère lui interdit, lors de ses premières règles, de toucher le Coran puisqu’elle est maintenant impure, la menace ne résiste pas à une nouvelle confrontation du réel : Taslima flanque les mains sur le Coran, et le ciel ne lui tombe pas sur la tête. Aucun livre n’est donc sacré…

Sœurs en rébellion

Des livres, des articles, Taslima Nasreen en écrira beaucoup pour dénoncer le sort fait aux femmes dans son pays, par la religion, la tradition, la culture. Ce qui lui vaudra, crescendo, censure, accusation de blasphème, condamnation à mort par fatwa, l’exil enfin qui se poursuit aujourd’hui dans des conditions souvent précaires. « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’était difficile d’être simplement en vie », relève-t-elle sobrement face à une Caroline Fourest presque gênée d’avoir disposé d’une liberté de parole que Taslima a si chèrement payée. Dans sa détermination à traquer toutes les formes, parfois sournoises, de l’intégrisme [1], la journaliste et essayiste parisienne a bien essuyé quelques avanies, mais rien de comparable aux supplices que les fous de Dieu promettent à Taslima. Les deux femmes n’ont pas vécu sur la même planète… Mais sœurs en rébellion, elles partagent un même goût de la liberté, une même volonté d’égalité, un même refus de l’injustice et de l’oppression. C’est le fil conducteur de ce passionnant livre d’entretien, « Libres de le dire » (Ed. Flammarion). Devant la montée des intégrismes ou les revendications d’un multiculturalisme prêt à rogner les droits démocratiques, leurs propos de mécréantes sonnent comme un appel à la vigilance.

Humanistes d’abord

Dans sa dénonciation de l’islam, Taslima Nasreen se montre parfois virulente. D’où l’impression d’une lutte dirigée exclusivement contre la religion. Au départ pourtant, sa révolte naît des inégalités et injustices que subissent les femmes. Il lui faudra acquérir une certaine maturité pour découvrir que c’est « malheureusement la religion qui opprime le plus les femmes particulièrement dans les pays islamiques ». Qu’on ne s’y trompe pas, cette guerrière-là, même s’il arrivait par quelque miracle que toutes les religions disparaissent, poursuivrait son combat jusqu’à ce que les femmes obtiennent une liberté et une égalité totales. « Pour la même raison qui me pousse à défendre des chrétiens, hindous ou musulmans opprimés à cause de leurs croyances. Je suis aux côtés des femmes parce qu’elles sont opprimées, torturées, violées, discriminées à cause de leur genre. »

Caroline Fourest souligne que c’est là un point clé : toutes deux se battent au nom de l’humanisme. « Qu’y pouvons-nous si Dieu reste le nom le plus utilisé pour tyranniser ? » demande-t-elle tandis que Taslima, qui ne manque pas d’humour, se dit prête à faire du Coran « son livre préféré s’il exigeait les mêmes droits pour les femmes, défendait les droits de l’homme et la laïcité »…

Religion et démocratie

Laïcité, sécularisation… Les deux interlocutrices s’accordent sur la nécessité d’une séparation entre Etat et religion. Mais ce qui est acquis pour Caroline est à la base du combat poursuivi par Taslima : « Seules une Constitution, des lois et une éducation laïques permettront une réelle émancipation féminine. » Une éducation qui, d’ailleurs, ne consiste pas seulement à acquérir des diplômes… Médecin avant d’être écrivain, elle affirme alors que « les diplômes universitaires n’ont aucun sens tant que les hommes et les femmes ne s’éduquent pas eux-mêmes dans l’idée qu’ils sont égaux ». En somme, pour Taslima Nasreen, la sécularisation précède la démocratisation. Et non l’inverse. Religion et démocratie ne peuvent-elles pour autant coexister ?

Pour Taslima, après plus de vingt ans de lutte, de souffrance, d’une implacable solitude, mais aussi au regard de l’actuelle condition des femmes dans les pays musulmans, la réponse est sans appel : « Je crois fermement que la liberté d’expression, la démocratie et les droits de l’homme et de la femme ne peuvent jamais coexister avec quelque religion que ce soit. »

Caroline Fourest, elle, ne désespère pas : il y aurait compatibilité avec les croyants pour autant « qu’ils acceptent de placer la loi des hommes au-dessus de celle de leur Dieu ». C’est le cas en Europe. Définitivement ? Taslima craint qu’au nom de la liberté culturelle, les entorses à la laïcité se multiplient : polygamie tolérée ici ou là, port du niqab, excision, etc. Des traditions tenues parfois pour de la culture alors qu’elles relèvent de l’oppression quand ce n’est pas de la torture (l’excision). Préciser ce qui est culturel ou ne l’est pas, mais avec l’objectivité que seule autorise une véritable laïcité, c’est ce que toutes deux proposent de faire. On se demande parfois s’il n’y a pas urgence.

Marie-Pierre Dupont, médiatrice de REISO

Extraits

« Les croyants juifs, chrétiens ou hindous sont devenus mes amis quand j’ai critiqué l’islam. Mais quand j’ai critiqué les hindous, j’ai perdu des amis hindous. La même chose s’est produite quand j’ai critiqué le christianisme. Je suis célébrée quand je critique l’islam, pas du tout quand je m’en prends au judaïsme, au christianisme ou aux autres religions – comme si ce n’était pas mon domaine, comme si je dépassais les bornes. « Vous êtes née dans un pays musulman, vous ne devriez pouvoir parler que de l’islam » (…) Je refuse cela. Je dépasserai toujours les bornes, parce que je ne crois pas aux bornes. Je crois à la liberté absolue d’expression. Je ne suis pas une universitaire experte d’une religion en particulier, mais il ne faut pas être Albert Einstein pour comprendre que les droits des femmes sont violés par la religion. Je rêve d’un monde sans religion. J’ai le droit de rêver, et j’ai le droit d’en parler. »

Le beau titre de pute

« A chaque fois qu’une femme lutte contre l’oppression de l’Etat, de la religion ou de la société, à chaque fois qu’elle prend conscience de ses droits, la société la considère comme une « pute ». Ce titre venant d’une société décadente, dégénérée, devrait être considéré par chaque femme comme un honneur. Jusqu’à maintenant, de tous les prix que j’ai reçus, je considère celui-là comme la plus grande reconnaissance de ce que j’ai réalisé dans ma vie. »

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