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Recension / « Le conflit – la femme et la mère » d’E. Badinter

Samedi 13.02.2010

Le Conflit – la femme et la mère

Elisabeth Badinter, Flammarion, février 2010, 256 pages

Les ayatollahs de l’allaitement gagnent du terrain. Dans son livre, Elisabeth Badinter démonte leurs arguments et prône le libre choix des femmes. Polémique(s).

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Chaque ouvrage d’Elisabeth Badinter bénéficie à sa sortie d’une large couverture médiatique. D’où l’empressement de beaucoup à rappeler que la dame jouit de certains privilèges [1]. L’un entraînant l’autre, le battage serait assuré. Quel que soit le thème ? En tout cas celui-ci, qui touche à la maternité provoque des poussées d’urticaire qui semblent tenir davantage à la philosophe elle-même qu’à ses propos. Pour les féministes « différentialistes », les militantes de la gauche prolétarienne, certaines écologistes et, bien sûr, pour toutes les conservatrices et les réactionnaires, il y a péché originel et, dirait-on, inexpiable : Elisabeth Badinter, née une cuiller d’argent dans la bouche, ne saurait comprendre les motivations, les préoccupations, la vie quoi, des femmes plus « ordinaires ». Autant l’accuser d’exercer son métier de philosophe avec intelligence, d’analyser la société contemporaine avec lucidité… Vertus rédhibitoires en ces temps où le cœur et la tripe, le sentiment et l’émotion président à tant de discours.

Sainte Nature

Madame Badinter, elle, frappe à la tête. Elle n’entre pas dans le débat d’opinion mais dans le patient démontage des mécanismes qui freinent l’émancipation des femmes, quand ils ne la remettent pas en cause. Démonter, mais d’abord débusquer, car les nouvelles formes d’oppression avancent sous toutes sortes de masques. Celui de mère Nature n’étant pas le moins séduisant, la voici sacralisée, invoquée sans relâche par de zélés disciples soucieux de ramener les femmes à leur biologique et femelle condition : faire des enfants, devenir une bonne, une « vraie » mère. Pardon, une Maman, comme on dit dans la nunucherie ambiante. Quand cet heureux sort lui advient, une authentique Maman donc, n’a plus qu’un objectif en tête : assurer santé-bien-être-épanouissement-radieux-avenir etc. à ses petits.

Saint Robert

Encore faut-il que Maman entame ce long parcours en nourrissant exclusivement bébé du lait de ses seins. Et pas juste pendant le congé maternité, non mais ! Prière de donner jusqu’à la dernière goutte. Ce qui peut prendre une année ou deux, voire trois si le bambin y trouve son bonheur.

Celles qui reprochent à Elisabeth Badinter de prôner le biberon (elle ne demande "que" le libre choix) n’ont pas lu son livre. Elles partageraient les craintes de la philosophe en découvrant, par exemple, les Dix commandements (sic) édictés par la très prosélyte Leche League américaine [2]. Là, rien ne relève du conseil ou de la recommandation, mais tout du dogme, d’un radicalisme quasi religieux. Morceaux choisis : « Je suis le lait de tes seins. Tu n’auras d’autre nourriture pour l’enfant dans ta maison. » Puis, histoire d’enfoncer le clou : « Tu n’auras aucun substitut artificiel, en latex ou silicone, biberon, tétines ou sucettes. » Ou, en cas de mauvaise influence : « Tu ne permettras à personne de contester l’allaitement, les besoins du bébé et l’allaitement prolongé. »

Saint Innocent

S’il n’y avait que ce décalogue, dont l’outrance prête à sourire… Les ayatollahs de l’allaitement usent avec habileté de tous les arguments propres à développer un sentiment que connaissent trop bien les femmes qui doivent assumer travail et maternité : la culpabilité ou du moins la crainte de ne pas être à la hauteur. Comment répondre à un « Mais vous ne voulez donc pas le bien de votre enfant » ? Sous la question affleure l’injonction : à l’enfant, tout tu sacrifieras. On dirait du Benoît XVI.

Ainsi, quarante ans après avoir acquis la maîtrise de la procréation, enterré le patriarcat, conquis son indépendance financière et, du moins en théorie, un parfait statut d’égalité, la femme devrait sacrifier à un nouveau maître, l’enfant. Et plonger dans une nouvelle servitude, d’autant plus efficace qu’elle est consentie par amour. Voici donc l’enfant – qui n’en peut mais ! – devenu « le meilleur allié de la domination masculine ». Vous doutez de la persistance de cette dernière ? Pourrait-il en aller autrement puisque, comme le rappelle Elisabeth Badinter, cette autre réalité perdure : entre 80 et 90 % des tâches ménagères sont encore et toujours accomplies par les femmes.

Saint Glinglin

Ce pourcentage, à quelques nuances près, concerne tous les pays d’Europe, de la Scandinavie – pourtant « féministe » exemplaire – aux rives de la Méditerranée. On aura compris que, s’il y a « guerre » à mener, c’est contre le non-partage des travaux domestiques. D’autant qu’une nouvelle offensive pourrait encore les alourdir. Les écolos purs et durs préconisent en effet de revenir à la couche-culotte lavable ! Sachez, mesdames, que laver le caca pourrait sauver la planète, alors que la couche jetable pourrait ravager l’environnement. Qui mettrait un à deux siècles pour digérer la « tonne » de déchet produite par un bébé jusqu’à 30 mois. Et pour un vrai partage entre homme et femme, combien de millénaires ?

Marie-Pierre Dupont, journaliste, médiatrice de REISO