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« La mort appréciée », une étude toute en nuance

Mardi 29.06.2021

Une récente publication des Editions Antipodes donne à comprendre la complexité de l’assistance au suicide. Un travail de terrain en profondeur.

livre mort appreciee 2021C’est une immersion complète que les Editions Antipodes proposent avec leur nouvelle publication au titre quelque peu interpellant : La mort appréciée. Cette lecture au souffle retenu n’a pas la superficialité du sourire que décroche cette figure de style – un oxymore osé pour un sujet malgré tout encore tabou - mais bien la profondeur d’une étude de terrain impliquant de nombreux·ses partenaires.

La publication a le mérite, avec une juste distance grâce à un travail de narration précis, d’offrir une compréhension du dispositif d’assistance pour la Suisse, ainsi que des enjeux émotionnels et relationnels.

Des chercheur·se·s présent·e·s, parfois jusqu’à la fin

Les 340 pages de cet ouvrage relèvent d’une étude ethnographique. Sa particularité est que les chercheur·se·s ont investi un rôle de participant·e·s durant le long parcours de l’assistance au suicide. Les scientifiques ont rencontré à plusieurs reprises des personnes ayant sollicité une telle assistance, ainsi que leurs proches. Cette présence a parfois duré jusqu’à l’acte même du suicide et à la levée du corps.

Les faits que les scientifiques relatent relèvent de suivis d’environ deux ans, de quinze situations d’assistance au suicide entre 2016 et 2020. Il s’agit ainsi de plus de huitante rencontres formelles et informelles.

Signer de sa présence en tant que scientifique est bien là l’originalité de cette étude. Ce choix, radical, implique des mesures éthiques en termes de participation et de responsabilités. Les auteurs et les autrices mettent en évidence les possibles jeux d’accusation et d’investissement. Le doute d’avoir fait le « bon choix » en étant présent·e demeure en filigrane des diverses situations. Cette remise en question conduit les auteurs et les autrices à aller au-delà des aspects juridiques et ouvre sur une autre interrogation : leur présence, a-t-elle, ou non, facilité l’acte ?

La Suisse ou la pratique de la « parazone »

L’institutionnalisation du suicide n’a rien de nouveau. Guy de Maupassant en avait déjà imaginé les grandes lignes. En Europe, la Suisse occupe une place particulière et les médias, la littérature, ne manquent pas de manifester leur intérêt en la matière. Pour résumer, l’assistance au suicide en Suisse s’y déploie dans une zone faiblement délimitée, poreuse et néanmoins séparée de la pratique médicale. Pour reprendre le titre de l’article du juriste Gunther Arzt [1], il s’agit d’une véritable zone grise.

En Suisse, le passage de la vie à trépas se fait dans une « parazone », contrairement aux autres pays où cela se déroule dans un milieu médical ou en privé sans accompagnement spécifique. Et dans cette « parazone », cette étape s’effectue avec la combinaison d’une autorisation médicale et d’un accompagnement réalisé par une association. Dans cet ouvrage, les deux associations qui ont collaboré avec les scientifiques sont Exit pour les cantons romands, et Lifecircle pour la région de Bâle ainsi que les personnes résidant à l’étranger.

Les motivations ou l’imaginaire du possible

Comprendre le choix de quelqu’un qui sollicite une assistance au suicide demande un véritable travail d’ouverture et d’engagement chez les scientifiques. Dans cet ouvrage, c’est un espace ouvert de raisons, de motivations, d’intentions, d’expériences, de craintes et d’événements qui est exploré, décrit. L’imaginaire des scientifiques rentre en résonnance avec l’imaginaire de celui ou celle qui sollicite l’assistance au suicide. Toutefois, les signataires de cette étude ethnographique ont clairement mis de côté la volonté de saisir l’imaginaire de la mort, du suicide d’une collectivité, tenant également à distance l’impressionnante littérature en bioéthique relative à l’assistance au suicide. C’est bien dans une histoire individuelle, unique, que les scientifiques s’immergent. À cet effet, les scientifiques prennent comme postulat théorique la notion du « possible » et donc de « l’imaginaire du possible », toutes deux notions inspirées des réflexions du philosophe Henri Bergson.

Dans la narration de chaque rédacteur et rédactrice se déploie ce qui a été pensable, devient pensable avant d’être actualisé. Dans le cas présent, pour les personnes accompagnées, il s’agit de leur propre mort.

À l’appui, un travail d’écriture précis

Il est à souligner le remarquable travail d’écriture de cet ouvrage. Pour inviter cet imaginaire à s’ouvrir, les scientifiques ont choisi de rédiger leur texte à la première personne du singulier. Dans la narration des différentes situations, le « je » est pleinement investi, campé sur le fil tendu de l’observation. Il s’y dresse entre un présent foisonnant, un passé qui ressurgit et un futur d’incertitudes, d’interrogations, de soulagement. L’émotion n’est jamais loin. La complexité des situations écrites est redonnée avec une intensité jamais arrêtée dans des conlusions de vérités scientifiques irréfutables.

(LC)

[1] Arzt Gunther (2009), “Sterbehilfe in de Grauzone”, Recht, 6B, 48/2009, Zweiter Basler Fall

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