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Livre / « Vocation : promeneur », recension par Jean Martin

Mercredi 28.09.2016

Vocation : promeneur

De Christoph Simon, traduit de l’allemand par Marion Graf, Editions Zoé, Genève, 2016, 190 pages

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique : Un récit sympathiquement « suisse »

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Ecrivain alémanique et adepte de « slam poetry », Christoph Simon raconte ici la vie dans un home bernois, les réflexions, les paroles et les gestes de Lukas Zbinden, instituteur retraité de plus de quatre-vingt ans. La vie des aînés est décrite par touches subtiles et avec un humour léger et même pétillant. Beaucoup de scènes quotidiennes y excellemment contées, notamment les rapports de Lukas avec les autres pensionnaires, les soignants, les auxiliaires. Quelques citations :

  • « Le grand problème de notre vie, c’est l’apathie. Le monde sans éclat ni contours définis, gris terne. Une seule lueur : le sympathique brossage des dents avec l’aide du civiliste ou le vague à l’âme rempli d’attente qui précède la visite de la famille à Pâques. »
  • « Comprenez-moi bien : ce ne sont pas les mots qui importent mais le vécu. Mais une grande partie de notre vécu se noie dans les paroles. Parfois, je me surprends à penser que le temps que nous prenons pour raconter nos promenades serait mieux employé à en faire de nouvelles. »
  • « Que vous le vouliez ou non [dit le pensionnaire à Kâzim, le civiliste qui le suit tout au long], un jour ou l’autre vous commencerez à vous creuser la cervelle au sujet des gens parmi lesquels vous êtes tombés ici. Et le plus curieux, c’est que dès que vous commencez à vous intéresser à ces vieillards inconnus, il n’y a plus de ‘vieillards’ mais seulement des exceptions à la règle. »
  • « Il y a des chemins heureux, qui chantent une ode au soleil. Des chemins souffreteux. Des chemins sournois qui font des crocs-en-jambe à chaque passant, des chemins tyrans qui s’étalent aux dépens des autres, des ascètes qui ont renoncé à tout ornement. Des chemins pleins de sagesse, qui ont tout vu. »
  • « Je crois que nous venons au monde pour devenir des promeneurs. Pour toucher les arbres qui gardent leur feuillage en hiver. Pour frotter entre nos doigts le thym et le romarin. Pour caresser le pelage des chiens. Pour prendre chaque jour un autre chemin quand il faut aller à la salle de séjour. Pour laisser fondre sur sa langue des fraises des bois. »
  • « J’ai envie de vous révéler quelque chose : l’art de ne pas s’ennuyer en promenade consiste à examiner le même objet que la veille, mais en pensant à autre chose. »

A propos de la vie conjugale. La très chère épouse disparue, Emilie, qui avait toutes les qualités, occupe une place importante dans le récit. « Regarde l’évidence en face, me disait-elle, la personne avec laquelle tu passes le plus clair de ton temps, c’est toi. Apprends à t’aimer toi-même. » Et à propos de leurs tensions occasionnelles, par exemple parce que Lukas était bavard : « Il y a le grand et le petit bonheur. Le grand, c’est notre amour. Le petit, ce serait que maintenant tu écoutes le silence. »

Quelle bonne chose que cet ouvrage attachant ait été traduit en français ! Parce qu’il est drôle et si bien observé. Aussi parce qu’il est très « suisse », il décrit ce que nous sommes, notre vie quotidienne, ses joies et/ou ses petitesses, une certaine sagesse aussi. Hautement recommandé à qui apprécie un bon moment de lecture : nos seniors, qu’ils vivent chez eux ou en habitat collectif, compagnons de route de Lukas Zbinden, leurs proches, puis toutes celles et ceux qui, professionnellement ou comme bénévole, ou encore comme responsable d’établissement ou dans un rôle public ou politique se préoccupent de la vie des personnes âgées dans notre société.

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