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Se reconnecter au pouls de la Terre, aux rythmes de la nature

Jeudi 06.07.2023

Parfois controversé, le scientifique Ernst Zuercher signe un ouvrage questionnant notamment le lien des humains à la terre, et l’ouverture de la science —encore trop timide à ses yeux— à des phénomènes jusqu’à peu relayés au rang de croyances.

Parfois controversé, le scientifique Ernst Zuercher signe un ouvrage questionnant notamment le lien des humains à la terre, et l’ouverture de la science —encore trop timide à ses yeux— à des phénomènes jusqu’à peu relayés au rang de croyances.

pouls nature salamandre zurcher jean martin reiso 170Recension par Jean Martin

L’ingénieur forestier et enseignant dans plusieurs Hautes Écoles, Ernst Zuercher, est une personnalité qui, après avoir œuvré discrètement, est aujourd’hui très présente, y compris médiatiquement. Chercheur au contact intime de la nature, il s’intéresse assidûment aux relations des végétaux, particulièrement les arbres, avec les êtres humains ainsi qu’entre les éléments, notamment l’influence de la lune sur leur vie et croissance.

D’abord considéré avec réserve — pour ne pas dire incrédulité —, il voit maintenant reconnaitre ses apports, y compris par des revues prestigieuses. Son ouvrage « Les arbres, entre visible et invisible — S’étonner, comprendre agir » (Actes Sud, 2016), est un succès de libraire, récemment réédité.

Publié dernièrement, Le pouls de la Terre [1] est le récit d’une trajectoire personnelle, humaine et scientifique, marquée par son attrait pour la forêt. Ce fils de fromager né dans le Jorat y narre sa pratique pulsionnelle de la marche depuis l’enfance. Il témoigne de sa randonnée de 25 jours, à l’âge de 58 ans, entre la Suisse et la Méditerranée, passant par le massif de la Chartreuse et le col de la Croix-Haute pour arriver à La Ciotat.

Suivant ces éléments autobiographiques, les chapitres traitent du lien avec la nature. Ernst Zuercher y affirme l’importance de le faire revivre, du chant de cette nature, des rythmes de la terre, pour arriver au mystère des synchronicités observables (référence à C.G Jung). Il relate aussi l’expérience d’un arboriculteur de Floride, dont les récoltes d’agrumes s’améliorent par la diffusion dans les vergers de chants d’oiseaux. Il explore la résonance de Schumann, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, le nombre d’or et la série de Fibonacci, avant de proposer une conclusion philosophique intitulée « Retour à l’essentiel et à la joie ».

Questionner le rapport à la Terre

Ce qui retient l’attention, c’est la présentation de ce qui n’est pas saisi par la science « usuelle », ce qui a trop aisément été tenu pour des croyances paysannes, des rêveries voire des dérives du registre magique. « Une question qui m’accompagne de plus en plus est celle du juste rapport que nous humains devrions développer et cultiver avec la Terre. Face à l’ampleur et la gravité de l’impact humain dont elle souffre aujourd’hui, force est de constater que le lien autrefois naturel et vital est rompu » (p. 45).

Puis le botaniste de souligner l’importance de l’ouverture de la science contemporaine aux savoirs ancestraux :

« C’est grâce aux méthodes de la science moderne, mais ouverte à de tels sujets, que des vieux savoirs ont pu être réhabilités par la mise en évidence de phénomènes statistiquement significatifs. La thématique de la chronobiologie lunaire est devenue pour moi l’un de mes cœurs de métier de chercheur. Pour un scientifique marcheur, il est devenu évident que les liens entre les choses et entre les évènements ne peuvent se réduire à des rapports purement physiques de cause à effet, le passé étant supposé seul à conditionner le présent. Ne constate-t-on pas sur notre chemin des surprises inattendues, “bienveillantes” ? Le réductionnisme scientifique s’efforce d’expliquer un système par des sous-systèmes auxquels on a accès par la dissection par exemple (...) Un moyen majeur est d’appliquer la méthode par essais et erreurs. Les composantes du système sont supposées liées par des processus d’action et rétroaction de nature causale » (p. 52-53).

Pourtant…

Résister aux conventions pour susciter la réflexion

Il écrit plus loin au sujet de la démarche d’acquisition de savoir non limitée par le paradigme mécaniste de l’impérialisme cognitif occidental. A ce sujet, il évoque l’anthropologue Jeremy Narby, qui a travaillé avec des chamanes amazoniens en rapport avec l’ayahuasca, ainsi qu’avec le curare, le paralysant utilisé en anesthésie. Contrairement à ce que la science classique postulerait, qu’il n’y a pas là, selon lui, des démarches essais-erreurs. Des entretiens avec les préparateurs de cette substance complexe, il ressort une origine mythique en lien avec un plan spirituel, et non pas expérimentale… (p. 54).

Surprenantes paroles, défrisantes... qu’on tend à écarter du dos de la main et auxquelles l’auteur de cette recension ne saurait formuler d’appréciation catégorique. Zuercher a toutefois le mérite d’affirmer l’insuffisante prise en compte, en science classique, de choses qui sont de l’ordre de facteurs et influences non encore « cataloguées », d’énigmes, voire de pratiques inspirées ! « J’ai une grande sympathie, dit-il, pour les “braconniers de la science” qui font de la résistance aux conventions et aux idées reçues ».

A ce sujet, il évoque le « chemin parcouru par la recherche médicale en lien avec les bienfaits de la forêt », faisant référence à la thérapie japonaise des bains de forêt — Shinrin-yoku (p. 61). Des chercheurs occidentaux aussi parlent maintenant de « Nature Deficit Disorder » ; empiriquement en tout cas, ce syndrome de manque de nature apparaît plus que plausible.

Finalement est abordée la question des co-bénéfices, thème majeur aujourd’hui à propos de relation entre santé, maladie et climat. « Cela amène la question du rôle que pourrait/devrait jouer l’humain dans la nature qui l’entoure et le traverse. Nous attendons d’elle de multiples bienfaits. A contrario, pourrait-on imaginer que la nature attende quelque chose de nous, dans un sens de coévolution qui veut qu’il y ait un équilibre entre le recevoir et le donner ? » (p. 72).

[1] Ernst Zuercher, « Le pouls de la Terre ». Éditions de la Salamandre, Neuchâtel, 2023, 139 pages

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