Bien vieillir chez soi: attentes et besoins
En Suisse, l’espérance de vie à la retraite est élevée et implique de grands défis de société, comme le logement des seniors. A Genève, la politique de maintien à domicile a été récemment révisée.
Par Irina Ionita, secrétaire générale, Plateforme des associations d’aînés, Genève
L’espérance de vie à la retraite en Suisse est l’une des plus élevées au monde. Dans une telle société de longue vie, les enjeux économiques, socio-sanitaires et politiques liés au vieillissement sont nombreux. Toutefois, les multiples potentialités de la vieillesse ne doivent pas être négligées : l’expérience, les connaissances et le savoir-faire, l’entraide intergénérationnelle, l’apport des personnes âgées en tant que citoyennes et actrices sociales.
Ces deux aspects en apparence opposés sont en réalité interdépendants et devraient toujours être pensés ensemble. C’est un défi sociétal lancé au monde politique, aux décideur·euse·s et aux domaines privés et publics.
La question de l’habitat [1] « pour les vieux jours » dans le canton de Genève est un des enjeux à laquelle la société fait face. Cependant, une réflexion globale doit être menée et elle inclut tant les défis du vieillissement que les opportunités offertes cette étape de la vie.
Vieillesses multiples : besoins diversifiés
Chaque vieillesse témoigne d’un parcours de vie particulier et se construit tout au long de l’existence. La manière dont on vieillit dépend d’une multitude d’aspects. La génétique et les changements liés à l’âge sont des paramètres internes indépendants du comportement individuel, alors que ce dernier influe aussi sur l’état de santé et engage la responsabilité individuelle. Cependant, ce sont les facteurs externes à l’individu qui sont les plus déterminants dans la manière dont il avance en âge : l’environnement, le logement, la mobilité, l’accessibilité physique et financière ou encore la participation sociale. Ces facteurs nécessitent une intervention collective, ils impliquent une responsabilité commune à traduire par des politiques publiques adéquates.
La crise sanitaire a mis en exergue l’importance de ces paramètres externes, tout comme les limites actuelles des réponses apportées. Des défis inédits sont à relever de manière cohérente, comme la lutte contre les risques d’isolement social, mais aussi l’accessibilité physique et financière. Il faudra également prendre en compte de nouveaux groupes sociaux avec besoins spécifiques : les personnes âgées avec une déficience intellectuelle et leurs proches par exemple, ou les hommes et les femmes souffrant d’addictions et toxicomanie à la vieillesse.
La pandémie a vu augmenter les troubles cognitifs et psychiques. Finalement, la reconnaissance et l’accompagnement des proches aidant·e·s deviennent d’autant plus pressants et il s’agit également de les intégrer dans la réflexion sur l’habitat.
De plus, l’arrivée à la retraite des baby-boomers est en train de modifier l’évolution démographique. Ces générations souhaitent participer activement aux décisions qui les concernent, notamment par rapport à la qualité de leur lieu de vie.
Volonté de maintien à domicile
Dans ce contexte général, la majorité des seniors continue à souhaiter vivre à domicile le plus longtemps possible. Dès lors, l’habitat doit répondre au mieux à leurs attentes et besoins, afin de créer des conditions adéquates et favoriser une bonne qualité de vie.
Pour répondre à la volonté du peuple genevois, le canton de Genève a adopté une politique de maintien à domicile, récemment révisée [2]. Il bénéficie ainsi d’un important réseau de soins qui apporte des réponses aux personnes âgées en situation accrue de dépendance et en perte d’autonomie. Dans le cadre de la planification sanitaire cantonale, en plus des soins et de l’accompagnement à domicile, le modèle des Immeubles à encadrement pour personnes âgées (IEPA) s’est bien développé depuis plusieurs années. Il s’agit de structures intermédiaires destinées aux seniors en situation de fragilité accrue, dans le but de retarder l’entrée en institution et offrir une réponse alternative à l’offre des établissements socio-sanitaires (EMS).
Néanmoins, ces solutions d’habitat concernent aujourd’hui moins de 10% des personnes en âge de retraite dans le canton. Fin 2020, Genève a recensé 83’800 hommes et femmes de 65 ans et plus [3], dont près d’un tiers avait plus de 80 ans. Or, seul·e·s environ 6'000 seniors résident dans un lieu de vie spécialement conçu pour des besoins spécifiques, comme les EMS ou les IEPA. Il s’agit de retraité·e·s ayant un besoin important d’accompagnement médical dû à une situation de fragilité ou de dépendance.
Corollairement, la grande majorité des personnes vieillissantes, et ce jusqu’au grand âge, vit dans un logement classique de manière indépendante ou en ayant peu d’aide extérieure. Seulement la moitié des plus de 80 ans ont recours aux prestations de soins et d’aide à domicile, même s’il est vrai que ce groupe d’âge totalise plus de 60% des heures de soins [4].
Les prestations dont les seniors ont besoin pour continuer à vivre à domicile sont plus larges que les soins médicaux. Elles concernent autant l’infrastructure que son environnement : les aménagements et les rénovations du logement ou l’architecture sans obstacle par exemple.
Les prestations d’accompagnement social contribuent de manière substantielle à prévenir les problèmes de santé et à assurer le bien-être des bénéficiaires, en leur permettant de demeurer plus longtemps chez eux·elles. Cela contribue à lutter contre l’isolement, à assurer une participation à la vie sociale et aux activités de loisirs, à apporter une aide administrative ou un soutien aux tâches de la vie quotidienne.
Or, une majeure partie du parc immobilier genevois n’est pas adapté aujourd’hui au vieillissement de la population. Quant à l’accompagnement social, le milieu associatif et les services de proximité apportent différentes solutions, mais la variété des aides existantes requiert une meilleure coordination et reconnaissance ; ce qui permettrait de gagner en visibilité et répondre à tous les besoins.
Par conséquent, vieillir chez soi et maintenir une bonne qualité de vie nécessite une vision politique cantonale plus globale de la personne âgée [5]. Cette vision devra se traduire par une réponse transversale qui engage les pouvoirs publics cantonaux et communaux, dans leurs responsabilités respectives. Certains besoins ont d’ailleurs été identifiés à différents niveaux par les instances publiques, mais cela nécessite aujourd’hui une réalisation coordonnée et concrète, avec le concours de tout·e·s les partenaires concerné·e·s [6].
Inventaire des logements adaptés
Munie d’une expertise pluridisciplinaire émanant du terrain associatif et de l’expérience des seniors, la Plateforme des associations d’aînés de Genève apporte un éclairage utile à ces réflexions au croisement entre vieillissement et habitat. Sur la base d’une série de recommandations pour l’habitat destiné aux seniors publiées en 2017 [7], l’association souhaite s’assurer que Genève offre des logements qui répondent aux besoins de chacun·e tout au long de sa vie.
Pour ce faire, le premier pas a été d’identifier et valoriser ce qui a déjà été réalisé dans le canton, en révélant une palette de choix selon différents publics, besoins, ressources ou sensibilités individuelles. La Plateforme vient ainsi de publier « Habitat(s) seniors – Typologie des logements adaptés dans le canton de Genève » [8]. En prenant comme variable le degré de dépendance de la personne âgée sur son lieu de vie, trois critères d’analyse ont été utilisés pour dresser l’inventaire : les prestations au niveau de l’infrastructure, les prestations sociales et les soins.
Neuf catégories ont été identifiées, dépassant largement la dichotomie entre domicile et EMS : les projets intergénérationnels novateurs, les solutions communautaires ou les coopératives participatives par exemple. Chaque catégorie est illustrée par une réalisation genevoise.
A partir de cet état des lieux, et en gardant à l’esprit les considérations initiales sur les défis et les potentialités d’une société de longue vie, il devient possible de travailler concrètement sur l’habitat de demain. Des pistes d’action sont esquissées en guise de conclusion et l’association se donne comme mission de veiller à leur mise en pratique.
Agir pour l’habitat de demain
Pour répondre aux besoins des hommes et des femmes à la retraite en matière de logement, plusieurs pistes doivent être suivies. Il s’agit de favoriser un habitat adaptable et un environnement accessible à tous les parcours de vie, en fonction de l’évolution individuelle de l’état de santé du·de la bénéficiaire.
Par ailleurs, lors de chaque rénovation et nouvelle construction, le milieu politique doit imposer le strict respect du cadre légal et des normes d’adaptation. Cette exigence favorisera l’accès à tou·te·s les locataires et contribuera au maintien d’un lien social adéquat avec leur environnement. Les milieux associatifs et locataires, en tant que premières et premiers « expert·e·s » de leur propre habitat doivent être systématiquement consultés.
Pour la Plateforme, le Canton doit également encourager la création d’un fond de soutien. Celui-ci serait destiné aux adaptations mineures du logement existant, adaptations nécessaires au maintien à domicile des personnes à mobilité réduite, ou souffrant d’une déficience visuelle, entre autres.
La coordination entre les services du logement, de la construction, de l’aménagement, du social et des soins doit également gagner en efficacité. Et enfin, il est essentiel que les instances politiques et sociales s’ouvrent plus à l’innovation et à la mixité sociale et intergénérationnelle.
[1] L’habitat comprend trois niveaux interdépendants de réflexion et d’action : le logement, l’environnement immédiat et la mobilité ou l’accès à la cité.
[2] Loi sur l’organisation du réseau de soins en vue du maintien à domicile et le Règlement d’application de la loi sur l’organisation du réseau de soins en vue du maintien à domicile entrées en vigueur le 27 mars 2021.
[4] OCSTAT Maintien à domicile, résultats 2017
[5] PLATEFORME des associations d’aînés de Genève, 2019 Pour une vision politique globale des seniors à Genève. Maintenir leur autonomie et leur place dans la société.
[6] Voir consultation GENÈVE 2050 ; axe 6 du Concept cantonal de promotion de la santé et de prévention 2030; objectif 4 du Plan d’action contre la précarité à Genève
[7] PLATEFORME des associations d’aînés de Genève, 2017, Recommandations pour l’habitat destiné aux seniors
[8] PLATEFORME des associations d’aînés de Genève, 2021, Habitat(s) Seniors – Typologie des logements adaptés dans le canton de Genève
Lire également :
- « Innover en équipe et co-concevoir les services à la personne », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 8 février 2022
- « Principes de logements pour personnes à mobilité réduite », REISO, Revue d'information sociale, mise en ligne le 28 juillet 2021
- Laurent Beausoleil, «Un nouvel habitat pour la société de longue vie», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 21 novembre 2019
- Cathy Berthouzoz et Leila Raboud, «Pourquoi choisir la colocation entre seniors?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 13 décembre 2018
- Marion Zwygart, Florinel Radu et Nicole Jan, «De quels types d’habitat rêvent les baby-boomers?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 1er octobre 2018
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Irina Ionita, «Bien vieillir chez soi: attentes et besoins», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 11 avril 2022, https://www.reiso.org/document/8845